marque du consommateur

Le lait équitable de la Marque du consommateur

En pleine crise du lait, des consommateurs entendent commercialiser leur propre marque de lait en souhaitant garantir un revenu décent aux producteurs. Est-ce une utopie ? Non, c’est un projet réel, celui de la Marque du consommateur

Dans le contexte de la nouvelle crise du lait, il convient de signaler une initiative très intéressante. Elle n’est pas bien entendu « la » solution à la crise, mais plutôt ce que l’on appelle, selon l’expression créée par le prospectiviste Philippe Cahen, un « signal faible » ou ce que d’autres prospectivistes nomment des faits porteurs d’avenir. C’est une tendance encore peu perceptible, qui ne fait pas la « une » des journaux, comme peut l’être un signal fort, mais qui n’en a pas moins du sens, d’autant plus si d’autres signaux faibles se manifestent parallèlement. Or, c’est exactement ce qui se passe en l’occurrence.

L’émergence d’un « prosommateur »

De quoi s’agit-il ? Il s’agit du lancement de « La Marque du consommateur », une initiative au terme de laquelle les consommateurs vont créer leur propre marque de produits de consommation. Elle a été lancée au début de l’année et elle commence à se concrétiser avec un premier produit, qui est justement le lait.

Deux hommes sont derrière cette initiative : Nicolas Chabanne, qui est à l’origine du collectif des « gueules cassées », une initiative à succès en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire, dont nous avons déjà parlé dans WikiAgri, et Laurent Pasquier, le fondateur d’un moteur de recherche alimentaire, mesgouts.fr, qui permet aux internautes d’évaluer les produits alimentaires en fonction de sept critères (qualité, nutrition, prix, environnement, origine, éthique/social, appréciation). Ils sont partis de deux constats, un constat général et un plus spécifique au produit qu’ils comptent commercialiser. Le premier constat est que les consommateurs sont prêts à payer un produit plus cher s’il correspond à leurs valeurs, s’ils sont bien informés, s’ils obtiennent un certain nombre de garanties. Le second est plus précisément relatif au lait. Nicolas Chabanne et Laurent Pasquier sont partis du constat selon lequel il manque sept centimes par litre pour que les producteurs de lait puissent dégager un revenu décent, ce qui représente 3,50 euros par an et par Français.

Mais leur vision apparaît plus globale. Les créateurs de la marque du consommateur expliquent ainsi leur démarche de la manière suivante : « Depuis des années nous consommons des produits dont nous ne savons finalement pas grand-chose et qui ne nous rapportent rien. Alors que tout dépend de nous, nous n’avons aucune influence réelle sur ce que nous consommons ! Pour que tout change enfin nous avons décidé de prendre les choses en main. Nous allons créer notre propre marque de produits. Une marque utile et qui donne du sens à notre consommation. Une marque qui propose uniquement des produits bons, sains et responsables. […] Tous les produits qui seront mis sur le marché seront directement issus de nos attentes et de nos critères de choix. »

Ce projet entend donc contribuer à modifier la façon dont nous consommons en ne nous cantonnant pas à une consommation que l’on pourrait qualifier de passive ou bien de réactive : le consommateur ne fait qu’acheter des produits qui sont mis à sa disposition par les producteurs sur le « marché », principalement dans la grande distribution. Son seul moyen d’action est d’acheter ou pas ces produits ou éventuellement de les « boycotter » en fonction de différents critères : prix, normes sociales, environnementales ou éthiques, etc. Il ne fait donc que réagir à une situation qu’il ne maîtrise pas. Il peut tout de même déléguer à des associations de consommateur le soin d’évaluer ces produits via ces mêmes critères ou encore acheter des produits « équitables » qui respectent ces critères.

La marque du consommateur entend changer la donne en privilégiant une consommation plus active, collaborative ou participative, pour reprendre des termes désormais à la mode, à partir du moment où le consommateur participe lui-même à la conception du produit en fonction de ses propres attentes. Il n’est plus simplement « consommacteur », il devient en fait « prosommateur », en étant à la fois consommateur et producteur. En anglais, on dirait que l’on passe d’une démarche de type top-down (de haut en bas) une démarche bottom-up (de bas en haut).

Le lait, première initiative de la marque des consommateurs

Comment cela fonctionne-t-il ? Concrètement, la marque du consommateur entend faire fabriquer des produits de grande consommation « par des structures partenaires engagées à nos côtés (petites ou grandes) suivant les mêmes valeurs » sur la base d’un « cahier des charges durable et responsable » élaboré suite à un véritable processus de « validation » par les consommateurs des produits en question et de leurs caractéristiques via un questionnaire qui leur sera soumis avant leur lancement. Elle met notamment à ce propos l’accent sur deux critères fondamentaux : (1) une « traçabilité totale sur la fabrication et la composition des produits nous assurera une garantie alimentaire constante et durable » et (2) le soutien des « petits producteurs ». Sur la boîte de lait « Marque du consommateur » devrait ainsi apparaître la mention suivante : « Ce lait rémunère au juste prix son producteur » (ce qui tendrait à démontrer, a contrario, que ce n’est pas toujours le cas pour les autres marques). Les produits devraient être reconnaissables via un logo, qui n’est pas sans rappeler celui des « gueules cassées », avec la mention « C’est qui le patron ? ».

La première expérience concerne le lait, en l’occurrence un litre de lait demi-écrémé, en défendant l’idée ô combien d’actualité d’un lait « plus durable, plus équitable et plus responsable ». Le questionnaire relatif à ce lait est actuellement en ligne depuis le mois d’août. N’importe qui peut y répondre. Fin août, 5 000 internautes avaient joué le jeu. Le 10 septembre, date de clôture de cette consultation, une cinquantaine de producteurs seront choisis. Au passage, la laiterie LSDH à Saint-Denis, qui s’est fait connaître par son lait équitable « Faire France », a été la première à signer un accord avec la Marque du consommateur. La commercialisation du lait est prévue pour la deuxième quinzaine d’octobre. Elle devrait s’effectuer dans une grande enseigne commerciale, dont le nom n’a pas encore été révélé. D’autres produits devraient suivre : des yaourts, du beurre, des pâtes ou de l’eau.

Le questionnaire définit différents critères : la rémunération des producteurs, l’origine du lait (France ou pas), la mise au pâturage (oui ou non), l’alimentation des vaches hors pâturage (avec ou sans OGM, apport ou pas en luzerne favorisant les Oméga-3 dans le lait), l’origine des fourrages et l’emballage. Les consommateurs peuvent répondre au questionnaire en indiquant quelles sont leurs préférences. Mais ce qui est intéressant dans cette initiative, c’est qu’elle ne se réduit pas à un simple sondage en ligne. Or, on sait très bien qu’entre les déclarations des consommateurs (qui veulent tous de la qualité, c’est bien connu) et leurs pratiques d’achat une fois dans le magasin (leur premier critère reste avant tout le prix, on le sait), il existe souvent un grand décalage. Elle se présente plutôt comme une forme d’étude de marché « citoyenne » qui devrait se traduire par un cahier des charges que les producteurs devront respecter et donc, au final, par une autorisation « citoyenne » de mise sur le marché du produit concerné.

Ensuite, ces critères ne sont pas abstraits puisqu’à chaque réponse faite par le consommateur le prix correspondant du lait s’affiche sur l’écran. En clair, si l’on répond de la manière suivante : alignement sur le cours mondial du lait pour la rémunération des producteurs, origine du lait sans importance, pas de mise au pâturage, alimentation des vaches hors pâturage non garantie sans OGM et alimentation du bétail sans apport particulier dans l’alimentation, fourrages sans distinction d’origine, brique de lait avec bouchon, dans ce cas, on obtient un litre de lait demi-écrémé à 69 centimes, soit ce que l’on pourrait appeler un lait « low cost ». En l’occurrence, le critère fondamental pour le consommateur est celui du prix, et ce, au détriment de la qualité du produit et du producteur. En revanche, si l’on répond rémunération qui permet au producteur de se faire remplacer et de profiter de temps libre, origine France du lait, mise au pâturage des bêtes 3 à 6 mois dans l’année, alimentation des vaches garantie sans OGM, apport en luzerne dans leur alimentation favorisant les Oméga-3 dans le lait, fourrages locaux (moins de 100 km du lieu d’élevage), bouteille en plastique sans opercule, on obtient alors un lait à 1,04 euro le litre, soit un surcoût de 51 % par rapport au lait « low cost ». Les critères fondamentaux sont, dans ce cas, la qualité du produit et la juste rétribution du producteur, mais au détriment de son prix de vente.

Vers un consommateur plus responsable

Cette initiative présente à l’évidence de nombreux avantages. Le premier est de nature pédagogique. Elle permet aux consommateurs de bien comprendre comment fonctionne l’économie réelle de façon concrète, que le producteur doit faire face à un certain nombre de coûts de production et que la qualité d’un produit a bel et bien un coût. Il apparaît, en effet, essentiel de sortir de l’image de boîte noire à propos des produits alimentaires aboutissant en particulier à l’idée que l’on ne sait plus trop ce que l’on mange, qui les fabriquent, où cette production est effectuée et dans quelles conditions. Ce caractère de plus en plus « abstrait » du produit alimentaire, plus précisément lorsqu’il est transformé – le sociologue Claude Fischler parle d’OCNI, d’objet comestible non identifié – vaut également pour le premier bout de la chaîne de production, à savoir le producteur de la matière première qu’est l’agriculteur.

Or, il paraît absolument nécessaire en la matière de remettre de l’humain dans les rapports qu’entretiennent les consommateurs et les producteurs. C’est sans aucun doute ce que permet la transparence du processus de production. Cela devrait être l’une des principales garanties fournies par les produits de la Marque du consommateur. Ainsi, d’après Nicolas Chabanne, « un QR code sur chaque brique de lait permettra au consommateur de savoir qui sont les producteurs de son lait. Il saura si les vaches sont en pâturage trois mois dans l’année, s’il y a des OGM dans son alimentation… ».

En outre, cela tend à démontrer que tout n’est pas possible en économie. On se heurte, en effet, à une sorte triangle d’incompatibilité entre qualité, rétribution équitable du producteur et faiblesse du prix. En l’occurrence, on pourrait dire, puisque l’on parle du lait, que l’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre…

Le second avantage de cette initiative est qu’elle met le consommateur face à ses responsabilités en lui montrant de façon concrète les conséquences de ses actes d’achat sur le sort économique du producteur, sans pour autant le culpabiliser : il ne peut plus dire qu’il ne savait pas et il voit bien que le prix ne peut pas être le seul critère qui vaille en matière d’alimentation.

Plus largement, la marque du consommateur contribue également de facto à remettre en cause deux principes fondamentaux de l’économie de marché. Le premier est la loi de l’offre et de la demande selon laquelle le prix d’un produit ou d’un service est le résultat de la confrontation de l’offre et de la demande. Même si dans la réalité les choses sont plus compliquées (sauf à marchander pour chaque produit ou service acheté), il est évident qu’une demande abondante pour un produit rare va conduire à une hausse de son prix de vente et, au contraire, une demande faible pour un produit abondant va entraîner la chute de son prix. Avec la Marque du consommateur, il est davantage question d’un juste prix ou d’un prix d’équilibre entre les intérêts des consommateurs et ceux des producteurs.

Le second principe est celui de la division du travail selon lequel chacun tend à se spécialiser dans le secteur où il a un « avantage comparatif » et à déléguer par conséquent à d’autres la production de tel ou tel bien ou la fourniture de services. L’autoconsommation sur le plan alimentaire a, en effet, laissé de plus en plus la place à une consommation de produits alimentaires que l’on se procure principalement dans la grande distribution. Or, il est évident que la situation est en train d’évoluer de ce point de vue. Une première étape de cette évolution est sans aucun doute le développement des circuits courts, notamment via des plateformes numériques, qui contribue de plus en plus à court-circuiter la grande distribution. Une seconde étape est l’explosion de la consommation collaborative, notamment basée sur le partage, et non plus uniquement sur l’échange monétaire, et sur l’usage des biens, plutôt que leur propriété. L’expérience de la Marque du consommateur pourrait constituer une nouvelle étape de cette réappropriation par le consommateur et, au-delà, par le citoyen de ce qui avait été délégué à d’autres jusqu’ici sur le plan économique.

Alors, pourra-t-on facilement trouver ces produits en rayon dans notre supermarché ? Est-ce que cela va prendre ? Cela va-t-il concerner d’autres produits ? D’autres initiatives de ce type vont-elles voir le jour ? A ce stade, il est bien entendu encore trop tôt pour répondre à ces différentes questions. Il est néanmoins évident que la Marque du consommateur s’inscrit dans une tendance plus générale à l’autonomisation grandissante des citoyens et à l’auto-organisation croissante de la société française. Les initiatives dans ce sens se multiplient d’ailleurs ces derniers temps. C’est bien connu, les citoyens paraissent être de plus en plus défiants vis-à-vis de la capacité du gouvernement, des politiques, de l’administration ou des grandes entreprises privées à régler un certain nombre de problèmes. Mais, ce qui est rassurant, c’est que la société française n’est pas uniquement tentée par la solution populiste. Elle semble aussi de plus en plus se prendre elle-même en main sans rien attendre des politiques ou du marché en essayant de résoudre par elle-même les problèmes auxquels elle est confrontée. On le voit bien avec une initiative comme Bleu blanc zèbre portée par l’écrivain Alexandre Jardin, par exemple. C’est ce que de nombreux observateurs commencent à appeler une « révolution positive ». A coup sûr, la Marque du consommateur en est l’un des exemples les plus intéressants.

Bien entendu, ce n’est pas la solution qui va régler l’ensemble des difficultés du secteur laitier français, mais la multiplication d’initiatives de ce genre tend à démontrer la volonté croissante du consommateur de se rapprocher du producteur, sans passer par l’intermédiaire de l’industrie ou de la grande distribution, de savoir comment il travaille au quotidien et donc de prendre conscience de sa situation réelle et par conséquent encore une fois de mettre de l’humain dans l’économie car ce que les agriculteurs attendent, ce n’est pas uniquement sept centimes de plus, c’est aussi une reconnaissance de leur travail et de leur savoir-faire.

En savoir plus : https://lamarqueduconsommateur.com (site de la Marque du consommateur) ; https://questionnaire.lamarqueduconsommateur.com (questionnaire relatif au lait de la Marque du consommateur) ; www.wikiagri.fr/articles/lutte-contre-le-gaspillage-alimentaire-tour-dhorizon-des-initiatives/8438 (article de WikiAgri de mars dernier sur la lutte contre le gaspillage alimentaire présentant l’initiative des « gueules cassées ») ; www.fairefrance.fr/cms (label de lait équitable de la laiterie LSDH à Saint-Denis) ; http://www.ouest-france.fr/agriculture/crise-agricole/des-consommateurs-votent-pour-une-brique-de-lait-au-prix-plus-juste-4431202 (source de la citation de Nicolas Chabanne extraite d’un article de Ouest France du 23 août 2016) ; www.bleublanczebre.fr/ (site de l’association Bleu blanc zèbre) ; @C_qui_le_Patron (compte Twitter de la Marque du consommateur).

Notre illustration est issue de la page Facebook de La Marque du Consommateur.

1 Commentaire(s)

  1. On en revient toujours au cahier des charges et à sa propriété : ici c’est le « prosommateur » qui rédige son « cahier des charges durable et responsable » vers l’amont (producteur et « transformateur ») ce n’est plus le produc’acteur qui rédige son cahier des charges vers l’aval (« transformateur » et consommateur) Le coté intéressant de ces deux démarches c’est que dans les deux cas c’est le « transformateur » qui devient la « variable » d’ajustement du système ….exactement l’inverse de la réalité « économique » de notre système mondialisé « libre et non faussé »…marrant non ?
    Pour le lait, le système mondialisé à inventé l’animal génétiquement adapté à l’élevage intensif par paquet de mille , gros producteur de volume par unité de 10 000 litre et qui de plus vient ajouter sa jeune carcasse (on ne devient pas une vieille carne dans le système productiviste) dans un marché de la viande déjà en crise de production et de confiance : 80% de la production des grosses multinationales du lait (touche pas à mon Yop) est issue de notre valeureuse Holstein bien recadrée par nos amis canadiens dans la bonne logique productive où le CETA (toujours en discussion depuis qu’on a déchiré le tafta ) nous mène.
    Aujourd’hui, Il nous reste donc 20% de production laitière avec les « autres » races génétiquement adaptées aux écosystèmes régionaux et donc aux logiques d’un cahier des charges « durable et responsable » dans une la logique « raisonnable et équilibrée » plus que « raisonnée et efficiente » (ce qui semble écrit au verso de ce pot de yaourt de la « marque du consommateur »)…. si vous avez du temps libre allez en discuter aux rencontres de « la transition citoyenne » le 24 septembre organisées dans toute la France (dont à CHATEAUROUX, dans l’Indre place de la république à partir de 15 h)

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