Avec le soja, la viande bovine est l’autre grande production de l’Argentine, une viande produite… sans soja mais pas sans saveur. Et sans grandes marges non plus.
200 kg/ha : c’est le « rendement » en viande bovine enregistré par Federico Zerboni, qui élève 600 têtes de bétail à San Antonio de Areco, dans la province de Buenos-Aires. Avec son musée et son festival dédiés, la ville de 18 000 habitants est le sanctuaire de la culture gauchesca. Le gaucho, c’est le cow-boy, version sud-américaine. A peine deux gauchos sont nécessaires à Federico pour conduire ses 600 Aberdeen Angus noires et rouges, tous soins compris. Il faut dire que les bêtes pâturent 12 mois sur 12 (un peu de foin en hiver si nécessaire) et que la sélection est naturelle, pour ne pas dire rustique : fertilité et facilité de vêlage sont en effet obligatoires pour perdurer au sein du troupeau.
L’élevage de bovins n’est pas la production la plus rentable de Federico qui, avec ses frères, tous ingénieurs agronomes, exploitent 3950 ha sur plusieurs sites. Les Zerboni, qui combattent la monoculture de soja et pratiquent la rotation, s’accrochent à leur production bovine, toujours moins rentable. A 1,5 €/kg de carcasse, le prix de la viande bovine n’a pas évolué depuis trois ans, alors que l’inflation, fléau argentin, pointe à 10 % en donnée officielle et 25 % en donnée officieuse. Soucieux de préserver le pouvoir d’achat des Argentins, gros consommateurs de viande bovine (55 kg/an mais 80 kg/an avant la crise de 2001), le gouvernement bloque les prix. La viande bovine est ainsi moins chère que la volaille. Conséquence : entre 2009 et 2012, le cheptel bovin argentin a perdu 10 millions de têtes, soit 20 % de ses effectifs. Si la quantité baisse, la qualité reste. La réputation de la viande argentine n’est pas usurpée. Même si les argentins ont l’habitude de forcer la cuisson du fameux asado (barbecue), les sensations demeurent. La recette ? Une savante combinaison alliant race, mode de conduite (sevrage à 7 mois, pâturage), âge des animaux (24 mois environ et 400 à 420 kg), maturation de la viande etc. Pas de vaches de réforme donc…
A propos de vache laitières, la situation économique des producteurs de lait est à peine plus envieuse que celles de producteurs de viande. A Bigand, dans la province de Santa Fe, Gustavo Tettamanti est un jeune ingénieur agronome travaillant pour le compte de la coopérative locale (Afa), tout en conduisant deux petites exploitations de polyculture-élevage totalisant 183 ha. Il élève notamment un troupeau laitier de 80 vaches produisant en moyenne 4500 litres par lactation.
Fin 2013, l’éleveur vendait son lait 2,2 pesos/l (1 peso = 0,111 €) alors que son coût de production était de 2,5 pesos/l. A titre indicatif, le salaire d’un ouvrier travaillant 44 heures par semaine est de 7000 pesos par mois. L’éleveur compense ses pertes par les bénéfices qu’il réalise sur les grandes cultures, la viande bovine, la vente de foin ou encore la prestation de service. Il souhaite conserver son troupeau laitier pour diversifier ses revenus et ses activités, tout en escomptant bien entendu un retour du profit sur le lait.
L’Argentine produit bon an mal an 11 milliards de litres de lait. Elle en exporte 20 %, majoritairement sous forme de poudre de lait. La production est concentrée dans les provinces de Buenos-Aires, Santa Fe et Cordoba. Les exploitations laitières (moins de 10 000 unités) ont des cheptels moyens compris entre 120 et 150 vaches. Le pic de production est enregistré entre octobre et janvier. Les pluies abondantes intervenant à cette période peuvent affecter ici ou là la collecte sur des portions de routes instables. La qualité du lait est équivalente à celle produite en France.
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12 millions d’ha : c’est la surface de pâturages reconvertis en terres à soja au cours des vingt dernières années. Pour accélérer la finition des bovins, des stations d’engraissement (feed-lots) se sont développées pour accueillir les bovins pendant leur trois ou quatre derniers mois, ce qui les distingue de leurs homologues états-uniens accueillant les bovins dès leur plus jeune âge. La pratique concernerait environ 40 % du cheptel bovin.
A Santa Lucia, dans la province de Buenos-Aires, Ignacio Rivarola est l’un des 12 éleveurs propriétaires du feed-lot Las Mercedes, un « hôtel » pour bovins aime-t-il à dire. Fondé en 1995, ses 95 parcs couvrent 60 ha des 140 ha du de la propriété et peuvent accueillir des lots de 12 000 bovins pendant quatre mois, ce qui porte la capacité annuelle d’engraissement de la structure à 36 000 têtes par an. Les « résidents » bénéficient de tous les services (alimentation et soins éventuels), facturés chaque quinzaine aux éleveurs qui restent propriétaires des animaux. La pension revient à 10 pesos par jour et par animal hors alimentation et soins vétérinaires. La transition entre le tout à l’herbe et le tout énergie s’opère en trois semaines via trois rations différentes. Le maïs est le principal aliment distribué, à hauteur de 43 % pour les grains secs et humides, complété par des rafles de maïs, du gluten feed humide (sous-produits produit du sucre et de l’huile de maïs) ou encore des sous-produits du maïs éthanol. Le soja est absent sinon anecdotique. En fin d’engraissement, les animaux sont acheminés par camions vers Buenos Aires distante de 200 km. Les animaux destinés à l’exportation sont dirigés vers des abattoirs et entrepôts frigorifiques disséminés dans le grand Buenos Aires. Ceux destinés au marché local passent par le marché de Liniers, couvrant 34 ha au cœur de Buenos-Aires.
Créé en 1900 et privatisé en 1992, le marché est animé par 55 commissaires priseurs et voit transiter 10 000 bovins par jour, soit 13 % du marché total des bovins. Le marché a valeur de référence pour la formation des prix intérieurs. Il s’est doublé il y a quelques années d’un marché numérique (www.e-liniers.com.ar).
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Basée à Santa Fe, l’entreprise agroalimentaire est spécialisée dans la fabrication de produits charcutiers depuis 1923. Leader en Argentine, elle réalise un chiffre d’affaires de 250 millions de pesos, dont 5 % à l’export. Signe particulier : l’entreprise élève ses propres cochons qu’elle nourrit en grande partie avec ses propres aliments avant de les transformer à 98 % en produits charcutiers et 2 % en produits frais. L’usine en cours d’agrandissement et de rénovation traite 32 000 porcs par mois ainsi que 3000 bovins.
Paladini gère un effectif de 12 000 truies et de 200 000 porcs alimentés pour 50 % avec du maïs et pour 20 à 30 % avec de la farine de soja. L’entreprise estime que son modèle de production intégrée lui procure un avantage concurrentiel de 20 % sur ses concurrents. La consommation de viande de porc est en augmentation en Argentine (9 kg/personne/an) mais loin derrière celle de bœuf (en baisse à 55 kg) et de poulet (en hausse à 39 kg). L’entreprise emploie 2200 personnes. Le salaires des ouvriers varie entre 8000 et 12 000 pesos par mois selon la qualification (1 peso = 0,111 €).
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/argentine (retrouvez tous nos articles concernant l’Argentine sur ce lien).
Ci-dessous, un gaucho et son troupeau d’Aberdeen Angus, dans la région de San Antonio de Areco, porte-étendard de la tradition gauchesca.
Ci-dessous, 13 % des bovins argentins transitent par le marché de Liniers de Buenos-Aires, un des plus grands marché au monde.
Ci-dessous, l’asado ou barbecue : une institution pour les Argentins, grands consommateurs de viande grillée.
Ci-dessous, les feed-lots compensent la perte des surfaces fourragères dues au développement du soja.
Bonjour Stéphane, en attendant la réponse de Raphaël Lecocq, je vous renvoie à notre dernier article sur l’accord de libre-échange Etats-Unis – Europe :
https://wikiagri.fr/articles/lagriculture-est-davantage-prioritaire-aux-etats-unis-quen-europe/976
Bonjour Stéphane,
Merci pour votre commentaire. Je ne me sens ni compétent ni légitime pour faire une analyse des politiques agricoles et industrielle française, même si je suis censé être un peu plus à l’aise en agriculture qu’en industrie.
Deux mots du contexte de ces papiers argentins. En novembre 2013, l’Association française des journalistes agricoles a organisé un voyage de neuf jours en Argentine.
L’occasion était trop belle pour ne pas décrire ce qui nous a été permis d’entrevoir et de comprendre, avec une vingtaine de confrères, grâce à notre guide agronome (Purpan) Daniel de Laguarigue, cité dans plusieurs papiers, et travaillant dans ce pays depuis des décennies.
Même si les articles s’appuient sur des informations bien renseignées, ils restent nécessairement partiels (et j’espère impartiaux) étant donné le temps imparti. Ce que j’ai écrit mérite d’être recoupé avec d’autres informations pouvant arriver jusqu’à vous en provenance de ce pays. Y compris avec les papiers de mes confrères dont la perception et le traitement peuvent être différents. Ni modèle, ni contre-modèle : telle était ma ligne concernant ma retranscription.
Concernant les politiques française et européenne en matière d’élevage, je vous renvoie au hors-série édité par Entraid Ouest en mars dernier. Il y est question mixité et de synergies entre productions végétales / productions animales. Il y a semble-t-il (?) une prise de conscience des enjeux, même si on pourra toujours estimer qu’elle est insuffisante, ou tardive ou pas traduite en actes.
En France et en Europe, il me semble (?) que les politiques agricoles évitent les décisions brutales qui désorganisent les producteurs, les productions, et l’environnement socio-économique avec comme contrepartie, des lenteurs et blocages indéniables, le tout sans s’affranchir de certaines inepties ou d’inepties certaines. Les contre-exemples sont certainement légion. En Argentine, l’Etat bloque d’un jour à l’autre les exportations de blé et de viande bovine et débrouillez-vous avec votre assolement et votre cheptel.
Je connais mal la filière bovine, je sais qu’elle est à la peine mais je n’en connais pas les ressorts. La transcription française de la Pac 2015-2020 a pour objet de la renforcer mais je lis ici ou là qu’elle confine au saupoudrage et qu’elle risque de décevoir les bénéficiaires tout en se mettant à dos les contributeurs indirects !
Pour finir, deux exemples d’arbitrage de politique Ue en matière d’élevage. La fin des restitutions sur les exportations de poulet, décidée mi-2013 par la Commission européenne, avec des conséquences lourdes pour les éleveurs et les salariés concernés, était l’aboutissement lointain de l’Uruguay Round bouclé en 1994, il y a 20 ans ! On peut discuter du bien-fondé mais c’était acté depuis longtemps. Autre exemple, mais plus positif. En 2015, l’Ue va sonner la fin de 30 ans de quotas laitiers, une décision qui remonte à 2004. Si j’ai bien compris, on va ainsi donner aux filières française et européenne les moyens de se développer et de conquérir des marchés mondiaux dans le domaine du lait, marchés promis à une croissance durable mais qui ne devrait pas faire l’économie d’accidents de parcours et de cours, avec son cortège futur et légitime de dénonciations, de manifestations etc.
En tout cas, au moment présent, les perspectives dans le domaine du lait traduisent le fait que notre agriculture est parfois plus compétitive qu’on ne le dit, tandis que sa réputation qualitative, au sens large (sanitaire etc.) n’est pas usurpée.
Concernant le projet de traité Ue-Etats-Unis, on ne sait même pas quel est le contenu du mandat donné au négociateur européen, on part de très loin…
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Bonjour Raphaël,
Ça fait toujours du bien d’avoir des nouvelles de l’extérieur de l’Europe.
Peut on considérer cette situation comme une projection possible de ce qui attend les producteurs de vaches allaitantes en Europe ?
Nos dirigeants européens ne sont ils pas en train de préparer et négocier les bases du Traité Transatlantique ?
Quand on voit partir, avant la signature effective du Traité, un fleuron industriel comme Alsthom, on est en droit de s’interroger sur les capacités de nos représentants à défendre notre avenir d’éleveurs.
Mon intervention n’a pas vertu à être polémique, juste à ouvrir un débat constructif et à être une force de proposition constructive et effective.