Au titre de président de la Cogeca (confédération des coopératives européennes), Christian Pèes s’est récemment rendu aux Etats-Unis pour mieux comprendre les tenants et aboutissants des négociations en cours sur l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe. Il livre ses impressions à WikiAgri.
Début février, une délégation européenne est allée aux Etats-Unis pour mieux apprécier les enjeux de l’accord de libre-échange en cours entre les Etats-Unis et l’Europe, et en particulier son volet agricole. C’est ainsi que Albert Jan Maat, président du Copa (des producteurs européens), Christian Pèes, président de la Cogeca (des coopératives européennes) et Pekka Pesonen, secrétaire général du Copa-Cogeca ont rencontré leurs homologues représentants, notamment, les producteurs américains.
Interviewé par WikiAgri lors du Salon de l’agriculture, Christian Pèes livre ses impressions. Sur le contexte général : « D’abord, concernant l’aboutissement des discussions en cours, il faut connaître les interlocuteurs. Ce n’est pas certain que Barack Obama ait l’autorisation de négocier, les conservateurs peuvent le bloquer. Or, les producteurs agricoles américains sont très méfiants vis-à-vis de leurs négociateurs, très exigeants aussi. Et le système est tel qu’ils ne peuvent pas choisir, mais ils peuvent bloquer.«
Ensuite, sur les intérêts que pourraient avoir les Européens : « Je prends l’exemple de ma propre coopérative, Euralis. Nous exportons du foie gras aux Etats-Unis. Nous avons d’abord créé une structure en Bretagne spécifique pour nous mettre aux normes américaines. Mais ça ne suffisait pas, alors cette structure a déménagé au Canada. J’ose espérer qu’avec des accords de libre-échange sur les produits, nous aurons la possibilité de conserver les unités de production chez nous, tout en exportant.«
Concernant l’arrivée en Europe (et donc en France), de produits américains, Christian Pèes estime qu’il faut faire très attention aux flux : « Aussi bien en viandes qu’en grains, nous pouvons avoir des importations massives qui pourraient déstructurer nos marchés internes. Pour la viande, le côté « boeuf aux hormones » est très médiatisé. Mais il n’y a pas que ça. L’importance du flux peut nous nuire. Les Américains peuvent tout à fait produire beaucoup de viande qui réponde à nos principes européens, ce qui entraînerait une crise dans notre production, et leur permettrait ensuite de combler les vides créés par la faillite de nos élevages avec leurs viandes, selon leurs critères. Il ne faut donc pas s’arrêter à la viande aux hormones, mais bien considérer les flux. »
Christian Pèes estime ainsi que l’on doit « être très vigilants, d’autant que l’agriculture est davantage prioritaire aux Etats-Unis qu’en Europe« , expliquant qu’outre Atlantique, « rien ne se fera sans l’accord du lobby agricole« , alors qu’en Europe il fait partie de ceux qui sensibilisent ceux qui ont le mandat pour négocier, notamment Ignacio Garcia Bercero, directeur général de la commission du Commerce de la Commission européenne, mais « sans avoir d’assurances« .
Il poursuit : « Il y a également un autre point : l’Europe négocie en ce moment des accords de libre-échange avec les Etats-Unis, mais aussi avec le Mexique, le Mercosur (Ndlr : Brésil, Argentine et autres pays d’Amérique du Sud), alors que nous venons de nous accorder avec le Canada. Or, pour l’agriculture européenne, il nous manque aujourd’hui une vue globale. Il existe une marge de négociation avec les Etats-Unis, mais que ferons-nous ensuite avec les pays suivants ? Si on nous prend un peu avec le Canada, un peu avec les Etats-Unis, puis ensuite un peu avec le Mexique et ainsi de suite, que nous restera-t-il ? Pour bien négocier avec les Etats-Unis, il faudrait aussi savoir ce que l’on attend de nous pour les négociations suivantes.«
Prochaine étape, une délégation américaine est attendue à Bruxelles ce 10 mars.
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/les-enjeux-agricoles-dun-accord-entre-leurope-et-les-etats-unis/631 (notre précédent article sur le même sujet).
Ci-dessous, Christian Pèes.
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Sous le nom « d’accords de libre-échange », se cachent surtout des rapports de forces économiques, des politiques « expansionnistes » de pays étrangers (surtout les Etats-Unis), et des parts de marchés à gagner… Les Etats-Unis sont déjà un marché fédéré et un outil politique unique et homogène ; ils n’ont pas la « morcellisation » de l’Europe ; et ils n’hésitent pas à prôner le libre-échange tout en continuant à protéger leur marché intérieur (lire à ce sujet l’instructif livre d’Erick Orsena : « le Coton »). Méfions nous des grands accords de libre échange ! Ils ne sont bons que s’ils sont équilibrés, mais ils ne sont pas faits pour…