prix du lait 2020

Lait en Europe, la crise sanitaire aggrave les écarts de prix entre pays producteurs

Le marché intérieur de l’Union européenne est certes un marché unique mais les prix payés aux agriculteurs peuvent être fortement divergents. Pour le lait liquide, le prix de la tonne payé aux éleveurs européens varie d’une région à l’autre et d’un pays à l’autre, mettant en exergue des différences de prix surprenantes. Cela, en raison de la crise sanitaire due au Covid-19.

Le prix moyen UE 27 en mai 2020 était de 331 €/1000 l avec la plupart des pays rapprochés autour de 350 €. Seuls la Pologne (289 €), et les Pays Baltes (270 €) sont nettement en dessous de cette moyenne, et Chypre et Malte nettement au-dessus (respectivement 578 € et 490 €).

« Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le marché intérieur de l’Union européenne est un marché unique mais pas pour tous les produits agricoles et agroalimentaires, rapporte Jean-Paul Simier, économiste, spécialiste des marchés agricoles. Dans chaque pays de l’UE et dans leurs régions, la commercialisation du lait liquide repose sur une multitude de marchés de gré à gré avec des prix et des règles de fonctionnement spécifiques. »

En fait, le lait liquide collecté dans les fermes est un produit consommé localement, peu transportable sur de longues distances et pas stockable en l’état.

Prix du lait lié à l’export (prix mondial)… Ou pas !

A l’échelle mondiale, seuls 10 % de la production laitière sont exportés et uniquement sous forme de produits transformés (poudre de lait, beurre, etc.). Dans l’Union européenne, l’Irlande écoule 88 % de sa production à l’export, la France 42 % alors que l’Italie et l’Espagne sont déficitaires.

Dans ces conditions, le prix du lait payé aux éleveurs néerlandais ou irlandais dépendra davantage des cours mondiaux de la poudre de lait et de beurre qu’en Italie, avec des fromages sous appellation.

En France, le mix-produit très varié génère des disparités de prix importantes entre les régions de productions. Dans le Grand-Ouest, le prix de la tonne de lait est davantage lié et dérivé des cours des produits laitiers industriels qu’en Franche-Comté, et en zone AOC en particulier, où la production de lait reste très encadrée et avec une valorisation produit plus forte (avec le comté notamment).

Globalement, le prix du lait payé au producteur dépend beaucoup de la valorisation finale (demande), variable au sein de l’UE, entre pays voire entre régions, et même entre entreprises : fromages de spécialité ou produits industriels, contractualisation spécifique notamment avec des détaillants (Royaume-Uni)… Ainsi en France, des coopératives appliquent un système de prix différenciés (A, B, C), selon la transformation finale.

« L’autre facteur déterminant est, analyse Jean-Paul Simier, une variable d’offre : le niveau de coût de production, notamment des fourrages et de l’alimentation, très différent entre Nord et Sud de l’Europe, zone de plaine ou de montagne, zone humide ou zone sèche… En Irlande, les vaches sont nourries à l’herbe, au foin et à l’ensilage toute l’année, alors qu’en Espagne ou Grèce, le fourrage est rare et coûteux à produire. »

Par ailleurs, la taille des élevages et notamment le volume de lait produit par unité de travail, influe aussi fortement sur le coût de production (économie d’échelle).

Les différentes variables dont dépend le prix du lait

En outre, le prix du lait payé aux éleveurs dans chaque pays dépend :

– du mode de rémunération de la matière sèche utile ;
– de la qualité du lait : elle est diversement rémunérée d’un pays à l’autre. Elle l’est davantage en France qu’en Allemagne par exemple ;
– du type de contrat éventuel entre le producteur et sa laiterie (notamment avec le développement de la contractualisation encouragée par la dernière réforme de la Pac, via les organisations de producteurs) ;
– du pouvoir d’achat des consommateurs des pays producteurs ;
– du mode de rémunération des éleveurs : outre le prix de base, des coopérateurs perçoivent, dans certains pays, des compléments en fin de campagne, des primes aux volumes livrés et même un intéressement sur les bénéfices réalisés par leur coopérative et leurs filiales à l’étranger. « Autant d’éléments qui ne sont pas pris en compte dans le prix payé aux éleveurs et diffusés par la Commission européenne, mais qui permettent aux éleveurs de mieux résister à la conjoncture », précise Jean-Paul Simier.

Le prix du lait payé aux éleveurs à l’intérieur de chaque pays dépend aussi :

– des mesures fiscales favorables : elles équivalent à des compléments aux prix payés (forfait TVA en Allemagne par exemple) ;
– de la proximité des fermes collectées des entreprises de transformation : c’est un facteur d’intégration des pays dans le marché. En Lituanie ou en Pologne, le prix du lait repose davantage sur des facteurs conjoncturels propres à leur marché intérieur ;
– de la zone de production : en AOP et IGP, le lait est mieux valorisé ;
– de la parité des monnaies des pays qui ne sont pas membres de la zone Euro : si la valeur du zloty augmente, le prix du lait converti en euro est plus élevé ;
– du mix-produit des pays producteurs : certains pays ont la possibilité de désengorger leur marché national en produisant des fromages stockables qui seront exportés quand la conjoncture sera plus favorable.

Enfin, le prix du lait est lié :

– à la part de la production de lait destinée à l’export : le prix du lait livré pour être transformé en beurre et en poudre exportables est lié aux cours mondiaux de ces produits dérivés. Si le lait est voué à la consommation intérieure, les marchés pèsent moins sur la formation du prix intérieur. Notons la grande résilience du modèle irlandais et de la capacité des éleveurs à supporter des prix bas ;
– aux rapports professionnels intra-filières : selon les pays, les producteurs sont en mesure ou pas d’accepter des baisses de prix plus ou moins fortes ;
– à la situation géopolitique et climatique: les pays baltes et la Finlande sont les pays les plus impactés par l’embargo russe. Dans les régions les plus extrêmes (sud du bassin méditerranéen, cercle polaire), le maintien de l’élevage et l’approvisionnement des marchés en produits locaux repose sur des prix de production attractifs (Finlande, Chypre, pays du sud de l’UE).

« L’incidence de ces facteurs varie dans le temps, précise Jean-Paul Simier. Le faible coût du fret permet d’exporter du lait liquide en briques en Chine à moindre frais. » Après avoir livré leurs produits industriels, les navires prennent le chemin du retour chargés de briques de lait plutôt que de revenir les cales vides.

La crise du Covid-19 pourrait de nouveau accentuer les écarts de prix

Un choc de marché inédit, d’offre et de demande, tel celui du Covid-19 depuis mi-mars 2020, déséquilibre fortement le marché européen. Mais les filières nationales laitières n’ont pas toute la même résistance, selon leur mix-produit et leur faculté à trouver de nouveaux débouchés, leur organisation logistique, la santé économique initiale de leurs producteurs et laiteries… Et il est probable, que si la crise sanitaire perdure et que la crise économique s’aggrave, les écarts de prix du lait s’accroissent de nouveau fortement. Ainsi l’Europe du sud : Grèce, Espagne, Portugal, Italie, en perte de revenu touristique qui représente plus de 15 % de leur PIB, risque de nouveau de connaître des prix bas comme en 2016.

La Commission européenne a annoncé, le 22 avril 2020, plusieurs mesures pour tenter d’amoindrir le choc : aide au stockage privé de lait en poudre, beurre et fromage, accord d’autolimitation nationale de la production laitière comme en France…

Mais si la récession économique s’installe durablement, les écarts structurels existants entre filière nationale laitière seront déterminants et les écarts de prix seront de nouveau profonds.

 

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