La crise laitière est à son comble, et les récentes déclarations du commissaire européen à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, minimisant sa portée, ont suscité de nombreuses réactions. Parmi celles-ci, nous en relevons une digne d’intérêt, car illustrée d’arguments chiffrés, celle du député européen Michel Dantin.
Lors d’une interview accordée le 30 septembre au média vi eu ws (vous en avez la vidéo, en version originale – en anglais – tout à la fin de cet article), le commissaire européen à l’agriculture Phil Hogan a minimisé l’impact de la crise agricole sur le secteur laitier. De fait, cette opinion entraine une réaction de sa part proportionnellement faible par rapport à l’ampleur de la crise, telle qu’elle est constatée sur le terrain. Et donc des mesures insuffisantes pour la contrecarrer.
Il y a eu plusieurs réactions, par exemple syndicales (un communiqué des JA notamment), ou à l’étranger. Nous vous proposons ici de nous attarder sur celle de Michel Dantin. Car Michel Dantin fait partie du cercle très fermé des rares hommes (ou femmes) politiques français à réellement bien connaître l’agriculture. Après, chacun apprécie comme il l’entend ses affinités politiques, mais au moins nous sommes sûrs, avec lui, d’avoir des arguments qui portent d’autant plus qu’ils sont issus d’une réelle connaissance du terrain.
Michel Dantin a ainsi communiqué en deux temps. D’une part en direction des médias, avec un communiqué de presse. D’autre part directement auprès de Phil Hogan à travers une lettre, dans laquelle les arguments chiffrés (de ceux qui ne laissent pas insensible un commissaire européen…) sont cités avec leurs sources.
Dans son communiqué de presse (vous avez le lien plus bas si vous souhaitez le lire en entier), Michel Dantin part des déclarations de Phil Hogan (en substance : « Le Commissaire à l’agriculture a récemment déclaré dans une interview qu’il ne croyait pas que beaucoup d’exploitants laitiers produisent en dessous des coûts de production. Il a également annoncé qu’il ne disposait pas de chiffres indiquant un phénomène de faillites des exploitations laitières.« ) pour apporter derrière ses contre-arguments chiffrés : « Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture et de l’interprofession, les exploitants laitiers français produisent en dessous du coût de production depuis mars dernier. Il leur manque en moyenne 30 à 40 euros par 1000 litres produits. Devant faire face aux charges et à un prix non-rémunérateur, 10 % des exploitations laitières françaises, soit 40 000 emplois directs, sont déjà en situation de faillite ; 20 % déposeront le bilan d’ici à la fin de la crise. »
La lettre adressée à Phil Hogan ne manque pas d’intérêt. Je l’ai personnellement demandée aux services de Michel Dantin avec l’autorisation de la publier, je les remercie d’avoir accepté, elle est ci-dessous.Je vous invite à la lire. Sur un ton cordial et respectueux, le député européen n’en avance pas moins ses arguments, ceux évoqués dans le communiqué de presse, mais également d’autres, à travers des exemples piochés dans d’autres pays européens, y compris en Irlande, puisque Phil Hogan est irlandais. C’est très intéressant, à mon sens, de découvrir ainsi comment une intervention fonctionne, et le ton qu’il faut adopter pour qu’elle ait des chances d’aboutir : pas de « rentre-dedans », rester dans le respect, tout en étant ferme dans ses positions. Vous noterez également qu’il termine par une proposition concrète, en précisant le cadre légal européen qui autorise sa mise en oeuvre : c’est la grande différence entre une demande syndicale, qui reprend des préoccupations du terrain mais ignore ce cadre légal (parce qu’il ne le connait pas forcément, chacun son métier), et donc cette demande issue d’un parlementaire européen compétent – encore une fois nonobstant l’opinion politique que chacun peut avoir – qui asseoit à l’inverse sa demande sur une proposition reposant sur les lois européennes et les possibilités offertes au commissaire européen.
Il est donc particulièrement utile pour une corporation comme la profession agricole de savoir sur quels parlementaires européens essayer de s’appuyer par rapport à tel ou tel type de sujet. Les élections européennes qui se sont déroulées en 2014 ont montré un relatif désintérêt en France avec une forte abstention et un vote sanction, notamment de la part de la profession agricole. Il faut dire que les partis politiques y avaient mis du leur en ne mettant qu’un nombre pour le moins limité de candidats connaissant bien le monde agricole en position éligible. Pour autant, pour faire fléchir un commissaire européen qui s’oriente dans une mauvaise direction, on se rend compte aujourd’hui qu’il faut passer par ces parlementaires européens, et leurs compétences. Des milliers d’éleveurs ont manifesté partout en Europe depuis le début de l’été. Mais pour arriver à les faire entendre par des mesures concrètes, il faut aussi des élus du peuple… A méditer.
Ci-dessous, le courrier adressé par Michel Dantin au commissaire européen Phil Hogan (en 2 feuillets).
En savoir plus : http://www.micheldantin.net/crise-agricole-retour-a-la-realite-monsieur-le-commissaire-20-des-exploitations-francaises-ne-passeront-pas-la-crise (le communiqué destiné à la presse, ici in extenso, de Michel Dantin).
Ci-dessous, la vidéo polémique, celle de l’interview de Phil Hogan (uniquement en anglais, désolé pour ceux qui ont du mal à suivre).
Par Antoine Jeandey
Journaliste professionnel depuis 1987. Rédacteur en chef de WikiAgri depuis sa création, en janvier 2012. Par ailleurs élu, adjoint au maire de Chaudon (commune rurale d'Eure-et-Loir, 1700 habitants). Co-auteur (avec Camille Beaurain) de "Tu m'as laissée en vie - Suicide paysan, veuve à 24 ans" paru au Cherche Midi éditeur. 
