paysanchinois

La faim du monde

S’il est un sujet préoccupant aujourd’hui, et pour lequel les agriculteurs détiennent une partie de la réponse, c’est bien la faim du monde.

L’agriculture est au carrefour d’enjeux phénoménaux. Mais son importance, pourtant cruciale, n’est finalement appréciée comme telle que par un nombre trop peu élevé de personnes. Cet article est écrit le 21 décembre 2012, tout le monde, médias, politiques, ne parle que d’une fin du monde qui fait sourire tant elle ne repose sur rien, ou pleurer lorsque l’on constate la bêtise que cette « prédiction » entraîne.

Mais qui parle de la faim du monde ? Sujet autrement plus préoccupant s’il en est. Aujourd’hui, nous sommes 7 milliards d’habitants sur la planète. Aucun ne risque la fin du monde. Mais 868 millions (selon les derniers chiffres fournis par la FAO en octobre 2012) souffrent de la faim.

A l’horizon 2050, nous serons entre 9 et 10 milliards d’humains. Avec cette fois 1 milliard à crier famine. Et à ce milliard, il faut en ajouter 2, de personnes qui rencontreront des difficultés alimentaires.

Nourrir 3 milliards de personnes en plus que ce qu’elle pourrait faire dans les circonstances actuelles, voilà le challenge posé à l’agriculture. Et comme si ça ne suffisait pas, on lui demande aussi de participer à d’autres missions, d’avoir sa part dans les énergies vertes, de produire plus oui, mais également mieux, en qualité.

La faim du monde, voilà le vrai sujet de ce 21 décembre 2012.

Quelle solution ? Erreur, quelles solutions ? Il est terminé le temps de la solution miracle. De même que la société évolue en se démocratisant et en acceptant plusieurs formes de gouvernances et de politiques, de même la faim dans le monde ne sera résolue qu’avec le concours d’une multitude d’acteurs, et des mentalités prenant conscience du problème. Et donc en conjuguant de nombreuses solutions.

Mais d’abord, posons le problème. Aujourd’hui, l’agriculture nourrit 6 milliards de personnes sur 7 ; en 2050, si rien ne change, elle en nourrira toujours 6 milliards mais sur 9. Un calcul démontre pourtant qu’il augmenter de 70 % la production céréalière pour parvenir à l’objectif. Car non seulement la population augmente, mais elle aspire légitimement à améliorer le contenu de son assiette. En Chine, l’ère du bol de riz pour tous promis par Mao-Tsé-Toung est révolue depuis longtemps. Il faut aussi de la viande, au moins une fois par semaine, proportion en constante augmentation. Ce qui signifie que les champs céréaliers doivent non seulement nourrir plus d’humains, mais encore davantage d’animaux d’élevage.

C’est un enjeu « é-nor-me », que tous les responsables connaissent aujourd’hui, mais qu’il convient de rappeler sans cesse, car malheureusement on s’en éloigne parfois aussi dans les politiques choisies.

Aujourd’hui en effet, tous les efforts devraient être rassemblés autour de cet objectif de produire 70 % de céréales en plus d’ici à 2050, tout en sachant que le foncier sera dans le même temps inférieur ou égal (vraisemblablement plutôt inférieur) à ce qu’il est ce 21 décembre 2012.

Est-ce réellement le cas ? En France, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll vient de conclure une conférence sur l’agroécologie. C’est très intéressant, car il s’agit de concilier les modes de cultures avec les attentes sociétales. Les agriculteurs se reconnaissent dans ce discours, car ils retrouvent du crédit auprès de la population, qui trop longtemps les a taxés de « productivistes ». Qui plus est, se rapporcher de la nature, ça leur va bien, car c’est leur credo inital. Et il est un fait, on ne peut pas se permettre de revenir en arrière quand aux méthodes utilisées vis-à-vis de la terre. Je pense donc que Stéphane Le Foll a raison de passer par cette étape, indispensable. Les agriculteurs ont besoin du soutien de la société dans leur action, ce soutien devrait venir grâce à une image restaurée par de nouveaux modes de cultures allant dans le sens de l’environnement.

Mais je pense aussi qu’il ne doit s’agir que d’une étape : une fois les agriculteurs réconciliés avec les citoyens, nous allons être dans l’obligation, à moins de décider sciemment de faire mourir de faim 3 milliards de personnes, de passer à une nouvelle ère du « produire plus ». La grande question est : comment ? Comment y parvenir sans se renier, sans déchirer aussitôt le pacte que l’on signe aujourd’hui avec la société ?

Des solutions existent, elles sont nombreuses, variées. Tout autant que celles que prône aujourd’hui Stéphane Le Foll en faveur de l’agroécologie. Des exemples existent déjà à (trop ?) petite échelle autorisant une réévaluation des objectifs de rendements sans (re)vendre son âme au diable. Mais pour cela, il faut accepter le progrès, ou plus exactement le canaliser, mais pas le rejeter. En être encore aujourd’hui à se poser la question « pour ou contre les OGM », c’est exactement comme croire que la fin du monde de ce 21 décembre peut effectivement arriver.

Laissons passer le temps de la reconnaissance sociétale. Mais bientôt, il va falloir se poser la question de la coexistence des types de cultures dans le respect les unes des autres, et non rejeter d’emblée celles qui sont porteuses d’avenir, à savoir de vie pour 3 milliards d’habitants.

La photo ci-dessous a été prise fin 2004 au Brésil à l’occasion d’un voyage de presse organisé par l’AJFA, association française des jounalistes agricoles) : je me retrouve en l’occurrence avec trois coupeurs de cannes à sucre, ces ouvriers agricoles du bout du monde payés à 1 $ la journée, et qui doivent travailler 7 jours sur 7 pour espérer se nourrir.

En médaillon, un paysan chinois.

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