Si le rendement est un critère essentiel pour la mise au point de nouvelles variétés de céréales, les résistances aux maladies et la qualité des grains prennent une place de plus en plus importante au sein des programmes de recherches. Pour les sélectionneurs, la difficulté consiste à additionner ces différents critères au sein d’une même plante sans perdre en productivité.
Alors que l’innovation variétale se penchait déjà sur la tolérance aux maladies depuis quelque temps, le contexte des dernières années ne fait que renforcer cette tendance.
Face aux interdictions de certaines matières actives et à la pression sociétale et réglementaire, les gênes résistants prennent aujourd’hui le relai, dans une certaine mesure, des traitements phytosanitaires. De fait, les attentes des agriculteurs sont de plus en plus fortes sur ces critères. C’est le cas de Julien Voegelin, qui cultive du blé tendre, du blé dur et de l’orge à Chesnaie dans le Sud-Vendée. « C’est important pour moi d’avoir des variétés résistantes à la septoriose et aux rouilles. L’idée en parallèle est d’aller vers une diminution des traitements fongicides » indique-t-il. L’exploitant tient le même raisonnement pour le choix de ses orges. Pour cette culture, le gêne de résistance à la Jaunisse nanissante de l’orge (JNO) est un pré-requis lorsqu’il sélectionne ses variétés. La tolérance de l’orge face à cette maladie est l’une des grandes avancées de la recherche variétale des dernières années. « Les sélectionneurs qui ont anticipé sur la JNO ont fait le bon choix. Maintenant nous aimerions pouvoir trouver des résistances sur le blé » évoque Philippe Lemaire, directeur général de l’entreprise de sélection Lemaire-Deffontaines.
Sur les autres maladies, il constate des avancées plus ou moins importante. « Il y a de vrai progrès sur la septoriose, nous sortons aujourd’hui des variétés très tolérantes. Mais je reste plus humble face aux rouilles pour lesquelles il est encore possible d’obsever des levées de résistances » décrit-il.
Au-delà des maladies, le sélectionneur travaille également sur les résistances au froid avec une plateforme de sélection dans le Haut-Doubs. Dans ce département, les températures descendent fréquemment jusqu’à -25°C l’hiver. Il constate aussi, de manière assez général chez les agriculteurs, une demande de régularité sur la récolte. « Aujourd’hui, les exploitants cherchent plus de sûreté et se tournent plus rarement vers des variétés Formule 1. Ils vont moins chercher les derniers quintaux qu’auparavant » compare Philippe Lemaire. Un constat que partage Julien Voegelin. « L’année prochaine, je vais implanter cinq variétés de blé tendre. Je les choisis pour qu’elles ne décrochent pas et tiennent la route, même si en parallèle je sais que je ne vais pas tout exploser en terme de rendement » détaille l’agriculteur. Il attend maintenant des avancées des sélectionneurs sur les mélanges variétaux pour augmenter encore la résistance aux maladies de ses cultures.
Les résistances ne sont pas les seuls axes de travail des sélectionneurs. Le taux de protéine est toujours primordial dans le processus d’élaboration de nouvelles variétés. « Aujourd’hui mon premier critère de choix, c’est la valorisation variétale avec les primes filières, affirme Julien Voegelin, pour mes blés biscuitier, je touche 7 €/t s’ils ont moins de 10,5 en taux de protéine. À l’inverse, pour les blés meuniers, la prime représente 40 €/t lorsque la récolte dépasse 14,5 de protéine ». L’agriculteur explique que cette valorisation économique est particulièrement importante dans les terres à plus faible potentiel.
Selon Philippe Lemaire, la qualité boulangère est maintenant obligatoire pour accéder au marché. « C’est un pré-requis car un blé fourrager va être compliqué à valoriser, même si certains blé meunier partent ensuite vers l’alimentation animale » commente-t-il. L’un des objectifs principaux de l’innovation variétale est de conserver un taux protéique élevé lorsque les rendements augmentent. Pour ce faire, la recherche travaille par exemple sur la valorisation de l’azote par la plante. « C’est ce qui nous bloque aujourd’hui. La réglementation n’a pas changé sur les apports d’azote alors que les rendements, eux, ont évolué. Ça limite forcément le taux de protéine » regrette Julien Voegelin. Il constate sur son exploitation que ce taux reste fortement lié au rendement de l’année. « Si j’arrive encore à atteindre les 14,5 de protéine demandé par la prime filière, c’est grâce aux OAD mais aussi parce qu’il y a eu du progrès sur les variétés » analyse-t-il.
Mais la recherche ne se cantonne pas au taux de protéine. Les innovations variétales doivent être au diapason avec les tendances de consommation des clients finaux. « Il faut sans cesse s’adapter. Sur l’avoine par exemple, la production n’est plus à destination des filières équines. Il faut développer des variétés qui répondent aux critères des floconneries » indique Philippe Lemaire. Toujours en diversification, les variétés d’épeautres conventionnelles et bio sont également en plein développement avec des débouchés pour la meunerie. « Ces dernières années, il s’est crée différents petits marchés biomasse. Il faut des céréales avec de la paille pour y répondre. C’est une vraie évolution que nous avons du prendre en compte. Il y a quelques années, le blé devait avoir le moins de paille possible » se souvient-il.
En agriculture biologique, l’interdiction d’utiliser des produits phytosanitaires de synthèse pousse la recherche à proposer des variétés avec des résistances adaptées à ce mode de culture. « Nous travaillons ce créneau depuis de 15 ans, nous avons actuellement deux variétés en cours d’inscription. Il existe de plus en plus de débouchés pour le blé meunier et biscuitier, contrairement au blé fourrager » indique Philippe Lemaire. Il explique que les céréales adaptées à l’agriculture biologique doivent présenter un profil de résistance avec une tolérance globale aux maladies. « En bio, il n’est pas question d’avoir des variétés avec une super résistance sur un point particulier, mais qui soient très vulnérables à d’autres pathologies » précise-t-il.
Pour ce mode de culture, les sélectionneurs travaillent également sur le pouvoir couvrant de la plante. Ceci afin de minimiser le développement des adventices qui ne peuvent pas être détruire à l’aide de désherbant chimique. Mais le grand défi à venir sur les céréales bio concerne la qualité. « Aujoud’hui, il faut des variétés à petit rendement pour monter en protéine. Nous cherchons à casser cette corrélation négative » affirme Philippe Lemaire.