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Guerre des prix et des marges, le monde d’après est-il si différent ?

Le pouvoir d’achat du consommateur est redevenu l’argument n°1 des grandes surfaces pour attirer la clientèle. Ce qui signifie un retour à la guerre des prix, tel qu’on l’a quasiment toujours connu, alors que beaucoup espéraient que l’élan de sympathie envers les agriculteurs pendant le confinement auraient des prolongements au-delà.

Bien sûr, ce n’était pas pour les agriculteurs que tout le monde a pointé la tête à sa fenêtre tous les soirs à 20 heures pour saluer l’effort altruiste d’une catégorie socio-professionnelle pendant le confinement. Il n’empêche, même sans obtenir un élan aussi unilatéral que les personnels soignants, les agriculteurs ont aussi gagné le leur, poursuivant leur mission consistant à nourrir la population dans cette période compliquée de coronavirus. De fait, des habitudes ont changé, payer plus cher pour du « made in France » n’a pas semblé poser problème, de nombreux citoyens allant même jusqu’à s’approvisionner ailleurs que dans la grande surface, directement chez le producteur, ou dans le magasin d’alimentation le proche de chez eux, lequel approvisionnait volontiers ses rayons avec des produits locaux.

Dès lors, la grande question que l’on pouvait se poser concernait la durabilité de ce changement d’attitude des consommateurs. Désormais, malheureusement, nous sommes fixés…

L’exemple précis de Michel-Edouard Leclerc, décrypté par Thierry Merret

Il y a quelques jours, Michel-Edouard Leclerc a apposé noir sur blanc sa réflexion sur l’avenir de l’agriculture française en livrant ses conclusions de la période du confinement. Précisément le 13 juin dernier, sur son blog personnel (source : cliquez ici), il a tiré ses propres enseignements de la consommation alimentaire pendant la période du confinement. En l’espèce, il estime que « l’appel à « acheter français, même plus cher » a trouvé ses limites pendant le confinement« . Et que « tout le monde n’a pas les moyens de consommer local« .

Bien vu ? Probablement, mais attention, derrière ses affirmations se cache un loup. Un agriculteur le connait très bien, le Finistérien Thierry Merret, aujourd’hui président des fruits et légumes à la Fnsea. Il décrypte le propos du célèbre distributeur sur les incidences vraisemblables envers les agriculteurs.

Ainsi, Michel-Edouard Leclerc émet trois propositions sur l’après confinement et l’agriculture française. La première, il souhaite voir un allègement des charges qui pèsent sur les fermes. « Attention, commente Thierry Merret. Il vise ainsi, il le dit un coût de production plus bas chez les producteurs français. Mais ce n’est pas pour eux, c’est pour lui, pour augmenter sa propre marge. Lorsqu’il dit que, pour vendre des produits français, ils doivent descendre aux prix des produits espagnols, il ne pense clairement pas perdre un centime lui-même sur l’opération, au contraire. Et en plus il aura tiré l’ensemble des prix agricoles français vers le bas, sans la moindre reconnaissance des filières de qualité, ou autres précautions et normes environnementales qui sont plus drastiques chez nous.« 

La deuxième proposition de Michel Edouard-Leclerc consiste à mieux segmenter les gammes sur tous les produits, sur le modèle des vins, avec les appellations supérieures et les grands crus. « Alors là, s’emporte Thierry Merret, c’est vraiment n’importe quoi. Le chou fleur français, pour prendre un exemple, a un coût incompressible. Il faut reconnaitre le « made in France », moins de transport, de gaz carbonique utilisé, le mode cultural français répondant à des normes environnemental particulièrement importante chez nous… Mais on ne fera jamais un « grand cru » de chou-fleur, la comparaison avec le vin ne tient pas. Pour des produits de ce type, il faut accepter le « plus cher » – qui reste tout de même très raisonnable compte-tenu du nombre de personnes que l’on peut nourrir avec un chou-fleur – pour la production française.« 

La troisième proposition de Michel-Edouard Leclerc consiste à aller clairement vers le « moins cher », pour répondre, dit-il, à la demande des consommateurs urbains. Il prône ainsi la construction « de filières engagées pour optimiser les coûts et diminuer les marges« . Selon Thierry Merret, il s’agit d’un avertissement sévère pour les agriculteurs : « Cela signifie qu’il sera intransigeant sur les prix lors des contractualisations avec ses fournisseurs, nous les agriculteurs… » Comprenez : il faut s’attendre à une guerre des prix des plus féroces !

Une tendance globale générale

Evidemment, Michel-Edouard Leclerc ne représente que sa chaine de magasins. Pour autant, ses réflexions répondent à une observation du marché et à une tendance générales. Il est dans une forme de pragmatisme consistant à poursuivre dans ce qu’il a toujours connu, dire qu’il protège les consommateurs avec des prix bas en termes de communication, et se montrer intraitable dans toutes les transactions en amont pour justifier cet affichage médiatique.

Or, ce côté « moins cher pour les consommateurs » convient parfaitement à la majorité des enseignes. « Lidl excepté, selon Thierry Merret, qui respecte son engagement contractuel de départ sans chercher à en modifier les termes en cours de route, quelles que soient les circonstances. » Il n’empêche, la « défense du pouvoir d’achat des consommateurs », c’est sacré !

Or cet aspect a toujours existé. Il n’est pas nouveau. La nouveauté, en fait, réside dans le fait que la belle image dégagée par les agriculteurs pendant le confinement n’a, en définitive, rien changé ! L’argument consistant à faire accepter de payer plus cher du « made in France » pour préserver un tissu productif intérieur dont nous avons tous besoin n’aura finalement tenu que quelques semaines. Il faut trouver autre chose…

Apporter le circuit court dans les villes, l’exemple de Direct Market

Répondre aux demandes du consommateur est bien sûr une nécessité. Or, l’une d’entre elles concerne, aujourd’hui plus qu’hier, le circuit court. C’est en réalité là que se situe le coeur de la nouveauté après l’épisode de confinement dû au coronavirus. On l’a vu, les agriculteurs n’auront pas plus la main qu’avant pour faire évoluer les prix et améliorer leurs revenus dans le cadre des tractations avec les grandes surfaces (à de rares exceptions près, et dont on ne sait si elles sont pérennes). Et cela malgré tous leurs efforts dans le cadre du suivi de la loi Egalim. En revanche, ils savent désormais que le citoyen français est avide de circuit court.

Dans cette optique, il semble clair que des start-up telles que Direct Market (lire nos articles précédents sur la société créée par Sébastien Pelka en cliquant ici), visant à réduire considérablement le nombre d’intermédiaires de la chaine alimentaire pour apporter des produits frais au consommateur y compris au coeur des mégapoles urbaines, apportent une réelle réponse, dont peut profiter le producteur agricole. Ou la création de magasins de producteurs au coeur des villes, comme récemment à Vandoeuvre, au coeur de l’agglomération de Nancy.

Parce que sinon, l’autre réponse de proximité urbaine qui pend au nez du paysan, c’est le développement de l’agriculture urbaine, déjà en plein essor mais encore à ses balbutiements et pas encore capable de répondre à de trop fortes demandes. Une agriculture sans agriculteurs au sens où on l’entend aujourd’hui, et qui peut donc, elle aussi, espérer profiter des révélations tendancielles du confinement pour se projeter comme une solution valable…


Notre illustration ci-dessous est issue de Adobe.

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