Fnsea, FNOB, Cooop de France, Apca : l’ensemble de ces organisations professionnelles dresse le même bilan : l’agriculture française ne produit plus ce que les Français consomment. Aussi, les importations de produits agroalimentaires progressent et le solde commercial agricole et agro-alimentaire s’effondre.
En cette période de rentrée, l’ensemble des responsables professionnels de la FNSEA, de la FNB (éleveurs bovins viande), de la Coopération française, et de l’APCA (chambres d’agriculture) dressent le même constat : la souveraineté alimentaire de la France est menacée.
« Or l’indépendance de la France passe pas l’indépendance », rappelle Dominique Chargé, président de La Coopération agricole, reprenant à son compte les propos d’Emmanuel Macron, le président de la république.
Sur le front de l’énergie, la dépendance de la France aux importations de pétrole et de gaz, dont les prix évoluent au gré des intérêts financiers et géopolitiques de la Russie et de l’Arabie saoudite, pénalise l’économie de notre pays.
Pour le président de la Coopération française, l’agriculture française et l’industrie agroalimentaire doivent produire pour toutes les catégories de consommateurs.
Aussi, elles doivent être compétitives pour tous les produits « entrée de gamme » et « premier prix ».
En fait, l’erreur magistrale faite en 2017, lors des Etats généraux de l’alimentation, est d’avoir voulu monter en gamme les produits déjà de « haut de gamme » en renonçant à améliorer l’offre « premier prix » et « entrée de gamme ».
Or en cette période d’inflation, les consommateurs ont changé leurs habitudes de consommation, ils ont réduit de 7 % en volume les achats de produits alimentaires et ils se sont tournés vers les produits « entrée de gamme » et « premier prix ».
Et que constate-t-on alors ? La France n’est plus compétitive pour ces produits importés en majorité de pays où les normes sanitaires ne sont pas celles imposées aux agriculteurs français et où les coûts de production sont plus faibles.
Mais les consommateurs qui se détournent des produits haut de gamme – l’alimentation étant devenue pour la plupart d’entre eux la variable d’ajustement de leur budget – sont souvent les citoyens qui refusent l’implantation d’élevages de poulets et de porcs conventionnels en zone rurale.
Le déficit commercial des viandes a crû de 420 millions d’euros (M€) au cours des cinq premiers mois de l’année pour atteindre 1,34 milliard d’euros (Mds d’€).
En volailles, le déficit atteint 520 M€. Près de 6 poulets sur 10 consommés en France sont importés, notamment de Pologne et d’Ukraine, tandis que les poulaillers sous label fonctionnent au ralenti. Faute de débouchés, les industriels imposent de très longs vides sanitaires aux aviculteurs.
La Fédération nationale bovine, section spécialisée de la FNSEA, souligne que le solde commercial déficitaire de notre pays en viande bovine traduit là encore l’inadéquation de l’offre à la demande. Chaque mois, le déficit est de 70 millions d’euros environ. Jusqu’à 30 % de la viande bovine consommée est importée.
Par ailleurs, les exportations de bovins vifs (broutards et gros bovins) fléchissent car moins de veaux naissent.
Enfin, les éleveurs de bovins ne parviennent pas à couvrir leurs charges. Les prix de la viande n’ont jamais été aussi élevés mais ils restent toujours inférieurs de 0,5 €/kg de carcasse au coût de revient, souligne la FNB. Pour les races à viande, il est de 6,17 €/kg.
Les exemples de filières en perte de vitesse sont multiples. Le vin s’exporte moins et la baisse des prix des céréales fait fléchir le chiffre d’affaires à l’export de « La ferme France ».
L’excédent commercial de produits laitiers est passé en cinq mois sous la barre du milliard d’euros. Sébastien Windsor, président de l’APCA prédit qu’il sera négatif dans cinq ans.
Cet été, la collecte de lait est inférieure de 10 % à la moyenne de 2016. Depuis le début de l’année, elle a baissé de 4,7 % par rapport à 2017. Chaque année, elle est inférieure à la précédente.
Dans le même temps, les importations de produits laitiers « premier prix » croissent continument.
Toutes filières confondues, le solde commercial de produits agricoles et agro-alimentaires français au cours des cinq premiers mois de l’année 2023 est négatif avec les vingt-six membres de l’Union européenne (- 880 M€, en repli de 1,3 Mds d’€).
Avec les pays tiers, l’excédent commercial français ne compense plus le déficit de l’Hexagone sur le marché européen. Comparé à 2022, il s’est replié de 500 M€ à 3,1 Mds d’€.
Or au niveau européen, l’excédent commercial des Vingt-sept pays membres croit de près de 5 Mds d’€ en cinq mois par rapport à l’année passée. Il atteint 26,5 Mds d’€.
Les importations (69,2 Mds d’€) ont moins augmenté (+ 2,1 Mds d’€) que les exportations (95,7 Mds d’€ ; +7,1 Mds d’€). Pourtant l’Ukraine fait une percée spectaculaire sur le marché européen en devenant le troisième pays exportateur derrière le Brésil et le Royaume Uni. Il a écoulé 5,6 Mds d’€ de produits en cinq mois (+2,1 Mds d’€ sur un an) et dégage un excédent de 4 Mds d’€.
Les éleveurs de bovins viande, les céréaliers et les producteurs de lait subissent de plein fouet l’effet ciseau : les charges restent à des niveaux élevés alors que les prix de vente baisse. En fait, la diminution des prix des intrants se répercute avec plusieurs mois de décalage sur les coûts de revient.
De nombreux céréaliers produisent à perte. Les prix des grains sont inférieurs à ceux de 2021 alors que pour les cultiver, les producteurs de grains ont acheté leurs intrants quand leurs cours flambaient à la fin de 2022.
Dans les coopératives, l’augmentation de plusieurs milliards d’euros de leur chiffre d’affaires (il a atteint au niveau national 84 Mds d’€) ne garantit pas une hausse des bénéfices. Leurs charges ont aussi fortement crû, tirées par la hausse des salaires et de l’énergie entre autres.
Selon Dominique Chargé, président de la Coopération française, la future loi d’orientation agricole en cours de rédaction est un outil idéal pour créer un choc de compétitivité en cessant de sur-transposer la réglementation européenne, en baissant davantage les impôts de production et en réduisant le coût du travail – mais pas des salaires!
Les agriculteurs français doivent avoir accès aux mêmes produits de protection des plantes que leurs voisins euros. L’interdiction des néonicotinoïdes a failli détruire la filière betteravière.
Le président de la Coopération française mise beaucoup sur le changement de réglementation en cours portant sur les biotéchnologies et l’édition génomique en particulier.
La future loi d’orientation agricole devra leur faciliter l’accès à l’installation. Les porteurs de projets doivent avoir la possibilité de bâtir des projets viables et durables dans le temps pour que les agriculteurs n’abandonnent pas en cours de carrière.
La contractualisation est un outil à promouvoir pour garantir des prix à la production.
Dominique Chargé mise aussi sur la planification écologique. Les investissements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone moderniseront les entreprises agroalimentaires, faiblement robotisées.
L’effort d’investissement est colossal pour atteindre 9 Mds d’€ par an, soit près de cinq fois le niveau actuel 1,75 Mds d’€.
Pour certaines filières, la neutralité carbone est en bonne voie. Citons celle de la luzerne déshydratée réalisée à plus de 90 % mais aussi du sucre et de la poudre de lait.
La planification écologique impose aussi l’assouplissement des règles d’utilisation de la ressource en eau. Un effort considérable doit être fait pour recycler l’eau à usage industriel !