champignon sur racine

Et si les fongicides devaient devenir sélectifs pour laisser certains champignons ?

Certains champignons jouent un rôle non négligeable dans la croissance des plantes. De là à les intégrer dans un itinéraire technique agronomique, il y a encore un pas, celui d’une connaissance accrue, et donc de moyens donnés en ce sens à la recherche. Découverte.

En forêt, à la recherche de cèpes, trompettes de la mort ou girolles, le promeneur du dimanche – qui est peut-être agriculteur – imagine-t-il que les champignons ont aussi un rôle dans les parcelles cultivées ? Si, dans le langage populaire, les champignons représentent ce que l’on cueille et que l’on met dans un panier, le produit de la récolte n’est qu’une fructification. La partie principale, le mycélium, forme un lacis de filaments pouvant mesurer jusqu’à plusieurs kilomètres sous un mètre carré de sol de forêt !

Si une majorité des champignons que nous consommons se développe en forêt, c’est parce qu’ils forment une symbiose avec les arbres : la mycorhize (du grec « mukês » pour champignon et « rhiza » pour racine). Ce n’est ni un champignon, ni une racine, mais bien un organe mixte avec les deux partenaires.

Chez les arbres, on observe un épais manteau de filaments de champignons autour des racines. Le champignon s’introduit dans la racine mais n’entre pas dans la cellule ; c’est ce que l’on appelle des ectomycorhizes. En revanche, le champignon est plus discret chez les céréales par exemple ; là, invisible de l’extérieur, il pénètre dans la cellule racinaire et se ramifie en poussant la paroi de la cellule, formant des arbuscules. Dans ce cas, ce sont des endomycorhizes ; le champignon ne forme pas de fructification, il produit ses spores directement dans le sol.

Nutrition de la plante

La flore de Rhynie, en Ecosse, est un écosystème fossilisé datant de 400 millions d’années. Elle montre une association entre une plante vasculaire primitive et un champignon formant des arbuscules. Selon Marc André Selosse, spécialiste de la microbiologie des sols au muséum national d’Histoire naturelle, « le champignon aurait permis l’alimentation hydrique et minérale du végétal et donc la colonisation des écosystèmes terrestres par les ancêtres des plantes ».

Aujourd’hui, 90% des plantes terrestres vivent en symbiose avec un champignon. Si ce mariage a persisté dans temps, c’est parce que chacun des partenaires a tiré son épingle du jeu…

Les premières associations étaient endomycorhiziennes. « On pense que les ectomycorhizes ont, elles, permis aux plantes de se développer dans des sols à faible minéralisation, c’est-à-dire sous nos latitudes », ajoute Marc André Selosse. Alors qu’en zones tropicales les conditions climatiques entraînent une minéralisation rapide de la matière organique (procurant une quantité importante de nutriments aux plantes), ce n’est pas le cas dans tous les sols de la zone tempérée. « On a observé des filaments de champignons issus d’ectomycorhizes pénétrant directement dans les cristaux de la roche mère pour prélever des minéraux précipités, que la plante ne peut évidemment pas capter », précise le chercheur. Les champignons peuvent également prélever les nutriments dans la matière organique.

Des expériences simples montrent le rôle essentiel des mycorhizes dans la nutrition des plantes. « Semez du poireau dans deux pots contenant de la terre stérilisée, inoculez l’un des pots avec un champignon endomycorhizien. Le poireau sans mycorhizes, nanifié, ne ressemblera tout simplement pas à un poireau. » Le champignon constitue en fait une prolongation des racines de la plante ; il augmente le volume de sol exploré. Il va chercher les nutriments (N, P, K) et l’eau là où les racines ne peuvent aller, et les transfère à la plante.

Certaines plantes, comme les brassicacées ou les chénopodiacées, ne sont pas mycorhizées. « On estime que les plantes de ces familles sont surtout des plantes pionnières qui se sont adaptées à des zones sans champignons », explique Marc André Selosse.

Un rôle essentiel de protection

Le champignon ne joue pas seulement un rôle de nutrition. Il entraîne également une résistance accrue de la plante à diverses agressions extérieures, par trois voies différentes : les champignons forment un écran protecteur, ils produisent des toxines pour éliminer leurs concurrents pour les ressources, et modifient le fonctionnement (et notamment renforce les défenses) de la plante.

La seconde voie peut être illustrée par l’exemple suivant : des cyprès de Lawson (certains mycorhizés, d’autres non) ont été cultivés dans un sol inoculé par le pathogène phytophtora. Les arbres ayant des mycorhizes ne sont pas tombés malades : 95 % des plants mycorhizés survivent au pathogène contre seulement 10 % pour les plants non mycorhizés..

Sans champignons, des plantes refusent le sol calcaire

Un autre exemple est celui de l’eucalyptus qui, notamment cultivé pour la production de pâte à papier, a fait l’objet de nombreuses recherches. C’est toujours le même type de protocole qui est répété : on compare des plants mycorhizés et non mycorhizés, cette fois en croisant avec des sols calcaires ou non calcaires. Le résultat est flagrant : l’eucalyptus non mycorhizé pousse mal en sol non calcaire, et quasiment pas en sol calcaire. En fait, c’est comme si le champignon constituait un écran qui empêche l’arbre d’assimiler le calcaire. Scientifiquement, le champignon produit des oxalates qui précipitent le calcium ; celui-ci ne peut donc plus pénétrer dans la racine. Ce mécanisme de détoxification est également observable dans les contextes de sols pollués par les métaux lourds : l’eucalyptus est sensible au nickel. Les eucalyptus mycorhizés avec certaines souches de champignon résistants au nickel se sont révélés dix fois plus tolérant au nickel que les eucalyptus mycorhizés par une souche sensible. Finalement, si une plante peut se développer dans tel ou tel type de sol, c’est  parce qu’elle y est adaptée par un champignon.

Amélioration de la structure du sol

De même, une nette amélioration de la structure du sol a souvent été notée en présence des mycorhizes. D’une part le vaste réseau d’hyphes constitue un squelette fin et dense dans le sol. D’autre part, la libération par les champignons des endomycorhizes de glomaline (une protéine qui agit comme une colle des sols), entraînerait une meilleure stabilisation du sol par la formation d’agrégats beaucoup plus stables.

Tous les champignons ne sont pas bénéfiques aux plantes

Par son évolution, chaque plante a testé différents partenaires fongiques. Si on souhaite mycorhizer une plante, cela ne fonctionnera donc pas avec n’importe quel champignon. Selon le chercheur du Muséum, la plante interagira avec le champignon qui lui donnera suffisamment de minéraux et d’eau en échange d’une quantité raisonnable de sucres, et vice-versa « Un partenaire qui prend beaucoup à son conjoint en donnant trois fois rien en échange est un parasite. Le couple ne durera pas, car l’un des conjoints finit par interrompre l’interaction ! »

La symbiose incompatible avec les sols fertilisés

Quid des mycorhizes dans nos sols agricoles ? Les itinéraires culturaux actuels ne les préservent pas. A commencer, du fait de la fertilisation. « Dans un sol riche en nutriments sous forme minérale, la plante n’a plus besoin d’investir des ressources dans un champignon alors qu’elle peut prélever à moindre coût les minéraux dans le sol, explique Marc André Selosse. La majorité de nos variétés de plantes élites, sélectionnées dans des sols riches, ne sont plus capables de trouver les partenaires adaptés ou de les utiliser au mieux. »

Les produits phytosanitaires ne favorisent pas non plus le lien avec les champignons : des apports de glyphosate affectent la survie des spores des champignons formant des mycorhizes. Au final, la plante non mycorhizée est davantage sensible aux pathogènes. Il faudra lui appliquer des fongicides qui vont diminuer la quantité de mycorhizes dans les sols.

De son côté, le travail du sol détruit les filaments des champignons. « Nous savons qu’en termes quantitatifs, il y a autant de champignons dans un sol labouré que dans un sol non labouré. C’est la diversité des espèces et la forme sous laquelle se trouvent les champignons qui va changer », explique le scientifique. On trouvera beaucoup de spores de champignons et peu de mycéliums développés.

Demain, des itinéraires techniques avec champignons ?

La recherche a pour le moment peu de moyens pour travailler sur le thème des mycorhizes dans les sols agricoles : les ponts entre recherche fondamentale et appliquée restent insuffisants.

Il est toutefois possible de préserver un minimum de vie fongique dans les sols. Partant du principe que certains champignons mycorhiziens régressent si la plante hôte est absente de la parcelle une année, la couverture des sols permanente est une piste de recherche. Elle permettrait au champignon d’avoir toujours un végétal avec lequel interagir, à condition de bien réfléchir aux espèces de la rotation, et/ou des cultures en association.

 

Nos photos, mycorhize sur les racines d’un arbre…

…mycorhize du pin…

… mycorhize sur maïs…

… spores de champignons mycorhiziens.

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