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Déclin des oiseaux ou déclin de l’éthique scientifique ?

Par André Heitz*

Une étude scientifique pour le moins discutable a fait l’objet d’une communication scandaleuse par le CNRS. Le comble ? Le communiqué de presse contribue à jeter le doute sur l’étude.

Des allégations sans nuances

Les prêcheurs d’apocalypse et les agribasheurs ont été approvisionnés en munitions par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) le 16 mai 2023. Son communiqué de presse s’intitulait péremptoirement : « L’intensification de l’agriculture est à l’origine de la disparition des oiseaux en Europe».

Pour l’obsédé textuel, ce titre signifie que l’« intensification agricole » – une notion à définir, mais qui est évocatrice pour le plus grand nombre –  est la seule responsable d’un événement. Et cet événement, c’est la « disparition » des oiseaux. Or, jusqu’à plus ample informé, il n’y a pas de disparition. Et un coupable unique est, au mieux, hautement improbable.

Les faits allégués – qu’il nous faut vérifier – sont partiellement rétablis dans les points à retenir :

« Le nombre d’oiseaux a décliné de 25 % en 40 ans [en fait, c’est 36 ans, de 1980 à 2016] sur le continent européen, voire de près de 60 % [en fait, c’est 56,8 % ± 4.9, de sorte que 55 aurait été une meilleure approximation] pour les espèces des milieux agricoles.

L’agriculture intensive est la principale pression associée au déclin des populations d’oiseaux. »

La mise en cause de l’agriculture est tout aussi cinglante sur Twitter.

perte oiseau agriculture 1

(Source)

Le troisième point à retenir est un cocorico sur l’ampleur et la complexité de l’étude faisant l’objet du communiqué. La routine pour les services de communication…

Pour l’étude, il s’agit de « Farmland practices are driving bird population decline across Europe » (les pratiques agricoles sont à l’origine du déclin des populations d’oiseaux en Europe) de Stanislas Rigal, Vasilis Dakos, Vincent Devictor et 48 autres auteurs dont la contribution essentielle aura été de fournir des données (et de donner à l’étude l’apparence d’une recherche internationale). L’article avait été publié la veille (outre-Atlantique, avec décalage horaire) dans PNAS.

Ce titre est guère moins nuancé s’agissant de la responsabilité d’un « déclin » – et non plus de la « disparition » ; en revanche, il reste vague sur les « pratiques » et offre même une certaine ouverture, « farmland » ayant pour sens premier les « terres agricoles ». Mais c’est essentiellement cosmétique.

Le déclin des oiseaux

Le déclin des oiseaux est devenu un mantra. Pourtant…

Le communiqué de presse du CNRS comporte une série de graphiques dont le plus grand montre l’évolution de l’abondance (des effectifs) des oiseaux entre 1980 et 2016 (leur présentation, quasiment sans repères, est d’une rare indigence). Selon ce graphique, les populations ont décliné de manière abrupte, de quelque 25 %, pendant la première moitié de la décennie 1980 et se sont relativement stabilisées par la suite, c’est à dire sur une période de quelque 30 ans.

Il est par conséquent difficile de parler de déclin des oiseaux ! Et de chercher des coupables.

supplementary information appendix 2

Mieux encore : les auteurs de l’étude ont produit une série de trois graphiques – mais dans les informations supplémentaires et non dans le corps de l’article – sur l’évolution de l’indice multi-espèces, de l’abondance et de la biomasse de 115 espèces d’oiseaux communes (utilisées pour les indices supranationaux parmi les 170 espèces) entre 1980 et 2016 au niveau européen (Union Européenne, Norvège, Royaume-Uni et Suisse).

Légende des graphiques

  • Figure S1 : Indice multi-espèces, abondance et biomasse […] des 115 espèces d’oiseaux communes (utilisées pour les indices supranationaux parmi les 170 espèces) entre 1980 et 2016.
  • a) L’indice multi-espèces d’abondance relative est calculé en attribuant un poids commun à chaque espèce, quelle que soit son abondance ou sa biomasse, et montre qu’une majorité d’espèces sont en déclin.
  • b) L’abondance correspond au nombre d’individus […] La biomasse a été obtenue en multipliant le poids moyen de chaque espèce par l’abondance.
  • c) La trajectoire de la biomasse montre une forme convexe interprétée comme une augmentation des oiseaux protégés et rares (souvent des espèces lourdes) tandis que les espèces plus communes (et légères) diminuent.

La meilleure courbe de régression pour l’indice est une droite. Mais cet indice est trompeur car il attribue un même poids à chaque espèce, quelle que soit son effectif. Il peut varier dans un sens, alors que les effectifs totaux varient dans un autre. Si une espèce A, avec 1 million d’individus, a augmenté de 10 %, et une espèce B, avec 10.000 individus a diminué de 10 %, l’indice reste inchangé, alors que le nombre total d’oiseaux a augmenté de 95.000.

C’est le phénomène que tend à montrer le deuxième graphique : selon la meilleure courbe de régression présentée par les auteurs, les effectifs remontent à partir du milieu de la décennie 2000. La remontée, à partir de 2000 est encore plus nette pour la biomasse. Mais l’explication des auteurs laissent un peu perplexe… Beaucoup d’agriculteurs confrontés aux dégâts des corvidés et des pigeons resteront sceptiques.

Cette évolution n’apparaît pas évidente dans les graphiques du communiqué de presse du CNRS. C’est qu’il manque un groupe d’espèces, les « généralistes », lesquels ne sont pas non plus référencés spécifiquement dans l’article scientifique. Ces « oublis » interrogent…

Les généralistes sont en hausse comme le montre un graphique souvent reproduit sur les résultats du STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) en France.

variation indicateur groupe de specialisation 1

Attention : les bases 100 se rapportent à des effectifs initiaux différents. (Source)

Les effets de l’agriculture

Les données de l’article scientifique sur l’évolution de l’avifaune ne sont pas seulement incomplètes, mais aussi problématiques. Ainsi, le texte annonce des déclins des abondances (sans le chiffre pour les espèces généralistes…) entre 1980 et 2016 et renvoie à des graphiques montrant des évolutions des indices multi-espèces, entre 1996 et 2016, avec des pentes moyennes (indiquées par un code couleurs) issues de courbes de variations qui peuvent être très irrégulières.

declin oiseaux

Établir des corrélations à l’échelle européenne apparaît comme une mission impossible. Les auteurs affirment pourtant avoir fait mieux, en évoquant des « quasi-causalités »…

Selon leur résumé, notamment :

« Nous constatons que l’intensification de l’agriculture, en particulier l’utilisation de pesticides et d’engrais, est la principale pression à l’origine du déclin de la plupart des populations d’oiseaux, en particulier celles qui se nourrissent d’invertébrés. »

Et, selon le communiqué de presse :

« Si les populations d’oiseaux souffrent de ce « cocktail » de pressions » – l’évolution des températures, de l’urbanisation, des surfaces forestières et des pratiques agricoles –, « les recherches montrent que l’effet néfaste dominant est celui de l’intensification de l’agriculture, c’est-à-dire de l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides utilisée par hectares. Elle a entraîné le déclin de nombreuses populations d’oiseaux, et plus encore celle des oiseaux insectivores. En effet, engrais et pesticides peuvent perturber l’équilibre de toute la chaîne alimentaire d’un écosystème. »

Ici aussi, les travaux sont problématiques.

Les auteurs ont utilisé pour l’agriculture un indicateur comptable, le High Input Farm Cover qui donne la part de surface agricole occupée par les 33 % de fermes dont les dépenses en intrants par hectare sont les plus élevées. Il y a certes un lien avec l’emploi d’engrais et de pesticides, mais lequel, précidément ?

Sur une nouvelle échelle de temps – de 2007 à 2016 – cet indicateur augmente, si nous avons bien compris le texte de l’article, de 2,1 % ± 0,9 (en fait de points de pourcentage) au niveau européen, avec une légère baisse sur quelque quatre ans suivie d’une hausse et d’un plateau à partir de 2014 (selon notre interprétation du mini-graphique). Les évolutions nationales sont très disparates (par exemple, le Danemark enregistre une forte baisse ; la courbe est grosso modo en cloche pour l’Allemagne, et en dents de scie pour le Royaume-Uni).

Libération a mis côte à côte la carte des déclins (allégués) et celle de l’intensification agricole (également alléguée). Le lien de « quasi-causalité » allégué est très loin d’être évident.

décil des oiseaux champs en europe

(Source)

On ne saurait nier que les activités économiques et autres se déroulant en milieu rural ont un effet – complexe sur l’avifaune. Mais on voit mal l’effet des engrais et des fongicides. Tout comme un effet qui serait différencié entre les espèces dites « des milieux agricoles » et les espèces « généralistes ».

En revanche, les modifications des habitats et les disponibilités en ressources alimentaires sont des facteurs pertinents, tout comme la météo, la concurrence entre espèces, la prédation, les maladies, etc. Ces facteurs agissent dans un sens ou dans l’autre. Les auteurs ont choisi de les ignorer très largement.

Dans « Oiseaux d’Europe : les populations remontent !  (mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle», M. Philippe Stoop a écrit :

« Si l’expression n’avait pas pris des connotations politiques nauséabondes, on serait tenté de dire qu’il y a un « grand remplacement » des espèces spécialistes par les espèces généralistes. Reste à savoir pourquoi. »

Et pour le « pourquoi », l’étude de Rigal et al. n’est pas convaincante.

Une étude militante

Si l’on s’en tient à leur texte, l’effet de l’urbanisation est aussi important que celui de la couverture agricole à haut niveau d’intrants (coefficient PLS pour la tendance de l’urbanisation = -0,036 ± 0,015 contre -0,037 ± 0,022 pour le volet agricole).

Mais les auteurs ont choisi de communiquer sur le volet agricole. Selon le résumé :

« Cet article contribue au plus grand défi politique et technique auquel est confrontée la politique agricole en Europe, qui s’efforce d’équilibrer la productivité élevée des pratiques agricoles intensives avec la protection de l’environnement. Les résultats sont donc cruciaux pour les décideurs politiques, les scientifiques et le grand public concernés par les questions de biodiversité et de changement global. »

Ou encore, en conclusion du résumé, ils soulignent :

« …le besoin urgent de changements transformateurs dans la façon d’habiter le monde dans les pays européens, si l’on veut que les populations d’oiseaux aient une chance de se rétablir. »

Une chance de se rétablir ? M. Philippe Stoop, s’est livré à quelques calculs pour la France. Ils montrent par exemple que l’augmentation des effectifs et de la biomasse des pigeons ramiers depuis 2001 est supérieure à la diminution correspondante de l’ensemble des espèces des milieux agricoles. En Europe, les effectifs de pigeons ramiers ont plus que doublé entre 1980 et 2021

Quels changements ? Pour quels effets ? Nous ne sauront pas…

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André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

2 Commentaire(s)

  1. Ce qui tue massivement toute la biodiversité de façon durable ce sont les sécheresses de plus en plus longues : pas d’eau pas de vie ! Les sécheresses de plus en plus longues ont des conséquences monstrueuses qui entraînent l’effondrement accéléré des pollinisateurs, des insectes, des oiseaux, impactent l’ensemble du vivant, y compris la santé humaine ! 1.1 millions d’hectares de prairies en Nouvelle Aquitaine avec des haies et des arbres, sans labour et sans pesticide pourtant tous les étés ce sont des cimetières de biodiversité, même les vieux arbres sèchent …Une sécheresse c’est juste un manque d’eau l’été, un comble quand on a passé l’hiver les pieds dans l’eau (inondations) sans faire de réserve …En France ce sont uniquement les « écologistes » qui s’opposent à la construction de réserves d’eau et qui vont même jusqu’à en faire détruire … cherchez l’erreur ! C’est le climat qui a besoin d’eau et de végétation l’été. Le secret d’un bassin hydrologique en bonne santé c’est sa densité végétale l’été (la référence étant la forêt de feuillus), plus on génère de biomasse plus on augmente le pouvoir de rétention d’eau des sols et donc de filtration, plus la densité végétale est importante et plus on alimente le cycle des pluies.
    https://www.youtube.com/watch?v=j4kvghjIxUo

  2. Comment se fait-il que les pratiques agricoles tant décriées n’impactent pas les pigeons et les corbeaux qui vivent en permanence sur les cultures et qui eux, se multiplient exponentiellement ? Comment se fait-il que cette étude n’évoque pas la grippe aviaire qui ne sévit pas que sur les volailles des élevages ? Comment se fait-il que ne soit pas évoqué le virus URUBU qui s’est manifesté depuis 2001 : https://papyrural.blog4ever.com/disparition-des-oiseaux-la-verite-cachee
    Cette étude n’est qu’une action militante, parmi tant d’autres, pour tenter d’imposer une agriculture du 19ème siècle à des agriculteurs qui devraient tirer la charrue à mains nues !

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