march interdit carrefour

Avec Carrefour, je prosélytisme

La démagogie de Carrefour atteint son paroxysme pour se forger une image pseudo-environnementaliste au détriment de l’agriculture… Décryptage détaillé.

Profitant d’une quasi absence de régulation de la publicité en France (l’organisme officiellement « compétent », si l’on peut dire, l’ARPP, travaille avec les annonceurs, donc pas pour ceux qui reçoivent la publicité, en se vantant même de ne pas recevoir un denier public pour son fonctionnement), Carrefour brave un à un les interdits. Après avoir dénigré la langue française (trouvez-moi un académicien capable d’expliquer le verbe « optimismer », et essayez d’apprendre l’orthographe aux momes après ça…) sans que cela ait soulevé la moindre contradiction, l’enseigne de grandes surfaces s’en prend désormais au monde agricole en usant cette fois de désinformation.

En l’espace de quelques jours, deux spots publicitaires assènent des « vérités made in Carrefour ». Premier spot, vantant les mérites de « nuggets végétariens » annoncés, je cite « meilleurs pour l’environnement« . Meilleurs que quoi ? On suppose que les nuggets à la viande (que l’enseigne n’a pourtant pas arrêté de vendre). Mais sur quoi repose cette affirmation ? Mystère ! On comprend donc qu’il s’agit de se forger une image « environnementaliste » à moindre coût en tapant sur le dos des éleveurs au passage, donc d’une partie de ses fournisseurs, puisqu’il y a des boucheries dans les magasins Carrefour. On appelle cela les « relations commerciales »… Il est de bon ton d’évoquer l’empreinte carbone des élevages sans tenir compte de l’entretien des pâtures ni de la santé publique, alors on suit le mouvement… Le sens du vent…

Plus récemment encore, un spot au ton franchement militant est apparu. Il s’intitule « Le marché interdit » et fourmille de désinformations flagrantes, et préméditées. Il y est décrit un monde agricole qui aurait accepté des règles invraisemblables sur les semences, lesquelles seraient à l’origine de l’absence de choix dans les variétés mises en vente sur les étals. Rien que ça ! En exonérant au passage les grandes surfaces (et donc Carrefour en particulier, pourtant fer de lance de la FCD, fédération du commerce et de la distribution) de toute responsabilité sur le contenu des étals, pour la rejeter sur « des lois » et par prolongement sur le monde agricole accusé d’avoir favorisé ces lois (comme s’il n’avait jamais existé de lobbying de la part des grandes surfaces en direction des parlementaires…).

Le spot de la polémique

Voici le spot en question, je poursuis en-dessous démonter un à un chacun de ses éléments.

La vidéo commence ainsi par évoquer un taux invraisemblable de variétés ayant disparu « parce que non inscrites au catalogue officiel« . Ce catalogue, tenu par le ministère de l’Agriculture rappelons-le (le Gnis, groupement national interprofessionnel des semences et plants, se contentant de l’éditer : s’il y a quelque chose à reprocher à ce catalogue, c’est donc au ministère qu’il faut s’adresser), est obligatoire pour lister les variétés susceptibles d’être mises sur le marché, avec une seule dénomination par variété, dénomination qui ne peut être donnée à une autre variété. En d’autres termes, il est là pour encadrer les pratiques, à la fois pour les professionnels des semences aux différents niveaux des filières, et pour les consommateurs pour les protéger de pratiques qui ne répondraient pas, par exemple, aux critères sanitaires définis pour notre société. L’objet du catalogue officiel n’est donc pas de « choisir » les « bonnes » semences au détriment d’autres pour des intérêts sous-entendus obscurs.

Ensuite, la même vidéo évoque « la loi » (il faut aller cliquer sur la pétition lancée simultanément par Carrefour pour comprendre qu’il s’agit plus précisément du décret du 18 mai 1981, amendé ou modifié à différents niveaux depuis) qui « interdit la commercialisation de leurs semences » (« leurs » : semences autres que celles inscrites au catalogue). D’où, selon Carrefour, un « marché interdit« . Or la vente de légumes issus de semences non inscrites au catalogue n’est pas interdite du tout, en revanche elle est encadrée : si Carrefour indique des noms de variétés, elles doivent correspondre à une réalité, c’est-à-dire au descriptif fourni à l’origine par celui qui a mis la vériété sur le marché. Carrefour, comme tout autre vendeur, n’a pas le droit (et il s’agit ainsi de protéger tant les filières que les consommateurs) d’inventer de « nouvelles » variétés. Or, parmi les variétés « oubliées » citées dans la vidéo de Carrefour figure le « coco du Trégor », un haricot qui ne serait en fait, d’après les producteurs, rien d’autre que le « coco de Paimpol », identifié et protégé par une AOP (appellation d’origine protégée), sur laquelle Carrefour s’asseoirait donc en l’occurrence en prétendant vendre une variété nouvelle.

Ensuite, Carrefour avance dans sa publicité en s’arrogeant le courage de « vous faire découvrir ces fruits & légumes« . En oubliant son appartenance à la FCD, et l’histoire des étals des grandes surfaces manquant de choix variétaux : faut-il rappeler toutes les manifestations d’agriculteurs face aux grandes surfaces pour obtenir le respect du droit de vendre des variétés diffrérentes ? En s’arrogeant la connaissance des préférences du consommateur, les enseignes des grandes surfaces, dont Carrefour, n’ont pas laissé le choix à leurs fournisseurs, réclamant les calibres (la taille des fruits et légumes), l’aspect (surtout pas la moindre tache ou forme biscornue), et bien sûr les variétés facilement identifiables, donc limitées en nombre.

Une campagne « d’information » sur fond d’actionnaires identiques à Carrefour et à la presse

Pour justifier sa publicité, Carrefour a obtenu un soutien quasi unanime de la presse. Mais des questions se posent. Prenons l’exemple des Echos, dithyrambique sur cette publicité : son actionnaire principal est LVMH, donc Bernard Arnaud, plus grosse fortune de France, et surtout également au conseil d’administration de Carrefour. Il est tout de même étrange que des articles venus d’un média ayant un conflit d’intérêt avec Carrefour mette en cause ceux qui s’interrogent sur le contenu de la publicité de cette enseigne, en particulier le Gnis, dont la qualification de « statut hybride » pouvant mener à un « conflit d’intérêt » convient tout à fait aux Echos eux-mêmes lorsqu’ils évoquent Carrefour !

Par ailleurs, il semble légitime de se demander le montant du salaire du Pdg de Carrefour, Alexandre Bompard. Lors de ses précédents postes, ce monsieur touchait plus d’un million d’euros par mois. On n’ose imaginer que son transfert vers Carrefour l’ait mené à revoir ses ambitions à la baisse, c’est très probablement l’inverse. Question toute simple : quand ses dirigeants ont ce niveau de salaire, comment peuvent-ils prétendre défendre le pouvoir d’achat des consommateurs ?

Le contexte des états généraux de l’alimentation

Le moment choisi pour ces affichages publicitaires n’est pas anodin. Nous sommes en pleines négociations, pour ne pas dire en pleines confrontations, sur les marges au niveau des états généraux de l’alimentation. Les agriculteurs (je généralise, il existe bien sûr des nuances selon les organismes ou syndicats) réclament ainsi une part qui soit suffisante pour permettre aux producteurs de vivre… Évidemment, il faudrait la prendre quelque part, ce qui suscite des réactions. En discréditant le monde agricole à travers ses publicités, un groupe comme Carrefour peut espérer entacher la crédibilité de ces interlocuteurs, en vue de préserver ses intérêts propres. Pour cela, il faut aussi des alliés, d’où cette communication en direction des consommateurs, totalement à charge vis-à-vis du monde agricole. D’ailleurs, autre enseigne de grandes surfaces sans lien avec Carrefour, Michel-Edouard Leclerc est sur le même registre d’arguments.

Les associations de consommateurs seront-elles dupes ?

Notre illustration ci-dessous est une copie d’écran de la vidéo publicitaire controversée de Carrefour.

 

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