Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. La célèbre maxime – même si elle n’est en rien une règle absolue, a le mérite de nous rappeler combien sont nombreuses les situations où les systèmes ressortent plus robustes après avoir encaissé des chocs. Les exemples sont légion dans la nature, dans nos sociétés et dans la vie des individus. L’histoire, la science, la médecine, la biologie, l’agronomie sont, entre autres, des disciplines qui doivent en rendre compte très régulièrement. Depuis 2013, cette propriété est connue sous le nom d’antifragilité, grâce à la publication des premiers travaux consacrés à ce sujet par l’ancien trader américain de renom et professeur, Nassim Nicholas Taleb.
L’antifragilité s’applique sous différentes formes et à différents niveaux. Un corps soumis à une activité physique, se renforce et se prépare à développer par la suite encore plus de puissance. Un système immunitaire qui est suffisamment exposé aux agressions est ensuite capable d’apprendre à détecter les pathogènes et à tolérer ce qui ne l’est pas. Il est moins sensible aux allergies. « La nature se prépare toujours au prochain combat dans une logique de surcompensation, souligne Nassim Nicholas Taleb, dans son ouvrage Antifragile. La parfaite robustesse est inatteignable, il nous faut un mécanisme grâce auquel le système se régénère sans cesse en tirant profit d’événements fortuits, de chocs imprévisibles, du stress et de la volatilité, plutôt qu’en les subissant. Tous les systèmes qui doivent faire face à des situations complexes bénéficient de l’antifragilité ». Selon lui, l’antifragilité est la source même de l’innovation. Les systèmes qui ne sont pas soumis aux stress deviennent en effet paresseux et incapables d’apprendre. « Lorsqu’on prive les systèmes de pression, ce n’est pas une bonne chose. Cela peut même se révéler carrément nuisible », insiste le professeur. Pour faire face à la désertification en Rhodésie, le biologiste Allan Savory recommanda, dans les années 60, de tuer plus de 40 000 éléphants afin de préserver les herbages qui faisaient rempart au désert. Sauf que l’opération conduisit à une accélération de la désertification du fait que les plantes herbacées ne se trouvaient plus régénérées par le broutage et plus suffisamment fertilisées. L’effet antifragile lié à la pression entretenue entre l’herbivore, la plante, le sol et le climat avait en effet été complètement ignoré. Cette expérience malheureuse a cependant été féconde, puisqu’elle a donné des bases écologiques qui sont utilisées encore aujourd’hui en élevage, par exemple avec le pâturage tournant ou les gestions de fauche de l’herbe. Pour préserver la ressource en eau, nous sommes tentés de verrouiller son accès. Or les usages agricoles de l’eau seraient capables en partie de régénérer le cycle en combinaison avec une couverture végétale active en été.
L’excès de stress est une situation toujours dangereuse. Cependant, l’absence de stress peut l’être tout autant. Une juste dose est souvent féconde, lorsqu’elle entretient l’antifragilité des êtres, des organisations ou des écosystèmes, en suscitant des processus de résistance, d’innovation et d’apprentissage. Selon Nassim Nicholas Taleb, l’antifragilité est la seule façon de se préparer à profiter des chocs de l’incertitude qui sont par nature ni définissables ni prédictibles.
Alexis Dufumier