apli dominique pilet

2009-2019, dix ans plus tard, que reste-t-il de la grève du lait ?

C’est à la fin août 2009 que commençait la grève du lait, un mouvement se voulant apolitique et asyndical qui devait durer près d’un mois, avec pour objectif de réclamer un meilleur prix pour les producteurs de lait. On connait l’histoire, le mouvement a dû cesser sans obtenir gain de cause. Pour autant, les acteurs d’alors conservent toujours un goût d’inachevé, et les dix années qui ont suivi n’ont fait, selon eux, que leur donner raison… WikiAgri réécrit l’histoire avec l’un des protagonistes de l’époque, Dominique Pilet.

Vous vous souvenez sans doute du leader charismatique du mouvement, Pascal Massol, ou encore de Sophie Poux, qui avait été jusqu’à donner la réplique au Président de la République Nicolas Sarkozy dans une émission en « prime time » à la télévision. Également de ces images choquantes – et c’était le but – montrant des dizaines de producteurs laitiers épandant la plaine devant le Mont-Saint-Michel de lait, de tonnes et de tonnes de lait. Cette action désespérée du Mont-Saint-Michel, c’était le 9 septembre.

A l’origine, une chute du prix du lait

« Un producteur ne travaille pas pour jeter, résume aujourd’hui Dominique Pilet. C’était terrible pour nous d’en arriver à cette extrémité, on en pleurait. Mais il fallait réagir, montrer, dire… » A l’époque, Dominique Pilet avait un quota de 650 000 de lait, à Machecoul (sud-ouest de Nantes), en Loire-Atlantique, département où a d’ailleurs eu lieu un autre épandage « blanc » au lendemain de celui du Mont-Saint-Michel. Une exploitation à trois associés, avec son épouse et l’un de ses frères. « Deux ans plus tôt, se souvient-il, nous avions robotisé la traite, et refait un bâtiment. Des investissements lourds. Quand le prix du lait s’est mis à baisser en 2009, on n’y arrivait plus ! » 250 000 € mis dans ces outils avec un retour de moins en moins lisible, telle était sa situation.

Une situation partagée par beaucoup. Les investissements, c’était la norme à l’époque, tous les conseillers y poussaient. D’où cette révolte. « J’étais syndiqué, à la Coordination rurale, j’ai même participé à sa création en 1992. J’étais membre de l’OPL – l’organisation des producteurs de lait -, mais j’ai tout de suite apprécié ce mouvement, l’Apli, association des producteurs de lait indépendants, que j’ai rejoins. Je faisais partie de ceux qui pensaient qu’un mouvement ne serait que plus fort que s’il sortait des cases syndicales. Je n’étais pas un représentant de la CR à l’Apli, j’étais un producteur laitier voulant faire cause commune avec le plus de producteurs laitiers possible, qu’elles que soient leurs origines.« 

Objectif : négocier un meilleur prix auprès des industriels et coopératives

Rapidement, le mouvement s’est organisé. Principale revendication : un prix décent pour les producteurs. Les actions furent variées : blocage des livraisons de lait, « grève du lait » (c’est-à-dire refus de livrer le lait aux collectes des coopératives ou autres industriels privés), don du lait au public avec messages de sensibilisation au passage. Dominique Pilet a participé à tout, pendant près d’un mois. « Nous voulions bloquer l’approvisionnement en lait des coopératives et industriels, pour les obliger à renégocier le prix de la matière première, le lait. Aujourd’hui encore avec le recul, je reste persuadé que nous aurions pu y parvenir si tout le monde avait suivi le mouvement… » Mais si la popularité de cette révolte fut indéniable, il lui a manqué, effectivement, un engouement fourni. En particulier, le syndicat majoritaire, la Fnsea, a mis très rapidement le hola sur cette initiative (notamment en différenciant industriels et coopératives, ne voulant pas prendre les secondes pour cibles). « Nous étions trop isolés pour réussir…« 

Pourtant, ils ont y cru. Faire venir le camion de collecte pour verser le lait au fossé devant son chauffeur, c’était gonflé. « C’était terrible d’en arriver là« , répète Dominique Pilet. Mais la situation était désespérée pour beaucoup, « il fallait faire quelque chose« . Dominique Pilet se souvient « de la mère d’un jeune collègue qui a mis fin à ses jours, d’un autre collègue auquel j’ai quasiment enlevé la corde du coup juste avant qu’il ne commette l’iiréparable…« 

Les deux épandages, du Mont-Saint-Michel et de Loire-Atlantique, ont représenté 800 000 tonnes de lait déversé dans les champs. « Nous préférions encore ça que de le vendre une misère et se faire avoir…« 

Don du lait, les gens donnaient spontanément 60 centimes le litre en moyenne !

Mais c’est peut-être une autre action, moins spectaculaire, qui a le plus marqué l’esprit de Dominique Pïlet. « Nous donnions du lait, dans des marchés, aux sorties des écoles, dans des flacons en respectant la chaine du froid… Les gens ne voulaient pas la gratuité, ils demandaient à nous payer. Et nous, notre action, c’était le don. Mais nos trésoreries étaient exsangues, alors finalement on a opté pour un pot commun, et on a dit aux gens « mettez ce que vous voulez ». En moyenne, ils donnaient spontanément, sans qu’on ne leur demande rien, 60 centimes par litre. Alors que nos interlocuteurs nous refusaient un lait rémunérateur à 45-50 centimes…« 

Le 18 septembre 2009, moins d’un mois après son commencement, mot d’ordre fut donné pour lever le mouvement. Pas assez de suivi, pas de marges de négocaitions créées, ceux qui continueraient iraient droit dans le mur… « Pendant ce mois, j’ai été sur tous les fronts, je n’ai presque pas mis les pieds sur mon exploitation, se souvient Dominique Pilet. Il nous a fallu six mois pour nous en remettre… Mais au moins nous avions essayé…« 

Dominique Pilet a même fait partie d’un petit groupe qui a réussi, « au bout de 6 ans d’effort et de persévérance« , à créer une « laiterie des éleveurs ».

Pour lui, le problème du lait, « ce sont les prix rémunérateurs, quotas ou pas quotas, ça ne change rien à l’affaire, si les prix avaient été rémunérateurs, personne n’aurait été tenté de produire plus pour s’en sortir, la fin des quotas n’aurait rien changé en France« . A titre personnel, il s’en tire, moralement, parce que très engagé par ailleurs : adjoint au maire de sa commune, responsable associatif… Mais il sait que l’absence de prix sur le lait fait des dégâts considérables sur les hommes censés en vivre.

Le 1er janvier 2016, Dominique Pilet a vendu le robot, et les vaches. Ne conservant que les cultures, « sur des terres qui ne sont pas faites pour cela…« 


Ci-dessous, Dominique Pilet et quelques confrères de son secteur local, il y a 10 ans.

Ci-dessous, une étoile dessinée avec des tracteurs a clôturé l’épisode de la grève du lait.

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