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#aveniragri les manifestants font leurs calculs

La manifestation du 3 septembre organisée par la Fnsea a été une réussite en terme d’organisation, mais a laissé un goût d’inachevé aux acteurs qui ont l’impression de rester face à leurs problèmes. Témoignages divers et variés.

Les 5000 manifestants sont venus avec précisément 1733 tracteurs selon un comptage réalisé par l’organisateur, la Fnsea. Occupant d’abord, sur le boulevard périphérique, des portes de Paris aux quatre points cardinaux, ils ont convergé vers la place de la Nation, dans l’attente des annonces de ce que devaient obtenir leurs dirigeants auprès des plus hautes instances du pays. L’attente était énorme, comme l’avait d’ailleurs exprimé Sébastien Louzaouen, président des Jeunes agriculteurs du Finistère, dans nos colonnes (lien en fin d’article).

Quelques témoignages de ce que représente la crise pour commencer.

Que vont devenir les produits laitiers « made in Normandie » ?

Une première rencontre, avec Jocelyn Pesqueux. Il est président de la section laitière à la Fdsea de Seine-Maritime, ainsi que responsable « vente directe » à la FNPL (fédération nationale des produits laitiers). « La situation chez nous ? C’est simple. Nous sommes en majorité polyculteurs-éleveurs. Les gars font des céréales, et du lait. Ils gagnent de l’argent avec les céréales, et pas du tout avec le lait, alors qu’ils passent beaucoup plus de temps avec les bêtes, sacrifient les week-ends, ne peuvent pas sortir avec leur épouse… Alors forcément, il arrive un moment où tout le monde se pose des questions. Ceux qui ne sont pas polyculteurs arrêtent tout carrément, et les polyculteurs songent tous, sérieusement, à ne plus faire que des céréales. On ne fait pas la manche, mais on travaille, beaucoup, et on veut être rémunérés pour cela…« 

Quand on analyse son propos, alors qu’on a encore en tête la musique qui accompagnait la publicité pour les produits « made in Normandie » inspirée d’une chanson de Stone et Charden, diffusée il n’y a pas si longtemps encore, on peut se poser des questions. Notre pays évolue, sa ruralité change, ses paysages vont changer. Au fil des années, les vaches normandes (pour ne citer que la vache locale en lien avec le témognage recueilli) ont laissé leur place aux prim’holstein, aujourd’hui il est donc même question de ne plus avoir de vaches du tout…

« Je me suis équipé, j’ai créé deux emplois, je dois en arrêter un… »

Rencontre suivante, Philippe Meurs, polyculteur dans l’Aisne, qui fut président national du syndicat des Jeunes Agriculteurs de 2006 à 2008. Syndicaliste convaincu, il a le profil du chef d’entreprise qui endosse ses responsabilités et souhaite être un acteur à part entière de la vie économique. Il raconte son cas personnel. « J’en suis à me demander si je n’aurais pas mieux de ne pas m’engager… J’ai investi dans le développement de mon élevage. Je m’en suis mis sur le dos à chaque fois (Ndlr : des emprunts pour investir dans des équipements nouveaux). J’ai créé deux emplois. Ça m’a demandé beaucoup de travail. Et là, ça ne va plus. Je ne suis rémunéré derrière en fonction de mon investissement. L’un de mes deux salariés part à la retraite à la fin de l’année, je ne pourrai pas le remplacer. Et je songe très sérieusement à réduire mon élevage… » Effectivement, un salarié en moins, cela signifie aussi encore plus de travail pour le chef d’exploitation, et il y a un moment où ça ne va plus, en particulier si derrière la rémunération ne suit pas…

Et si on organisait l’agriculture à l’échelon européen ?

Autre rencontre, Hervé Coupeau, président de la Fdsea de l’Indre. Il témoigne déjà de l’engagement de son département (« Nous avons 10 tracteurs venus de l’Indre… ») dans la manifestation, avant d’estimer que « même si le gouvernement accordait une année blanche (Ndlr : il a été rencontré avant les annonces officielles), cela ne réglerait pas le problème, car nous l’avons déjà consommée : nos exploitations ont perdu l’équivalent d’une année d’aides Pac en compétitivité, et cela en un an.« 

Hervé Coupeau a la particularité d’avoir siégé jadis au conseil économique et social européen à Bruxelles, il a donc conservé une sensibilité, une vision européenne pour régler les problèmes. Il propose : « Je vais prendre un exemple précis. La Hongrie, aujourd’hui, exporte énormément de maïs hors Europe, alors que ce pays n’a aucune entrée maritime : le transport jusqu’aux ports européens coûte déjà cher avant l’export en question. Alors pourquoi ne pas organiser l’agriculture au niveau européen ? Dire aux Hongrois : produisez surtout pour nos besoins intérieurs. Et à ceux qui ont des entrées portuaires : exportez, participez à la balance commerciale européenne. Aujourd’hui, de très nombreuses décisions sont prises au niveau européen, mais pas forcément en regardant l’Europe comme une entité qui doit vivre chacun de ses territoires. Chaque pays organise son agriculture, mais l’Europe non. Dans le même ordre d’idées, pourquoi l’Europe autorise-t-elle que certains pays tirent à fond les prix vers le bas – grâce à cotisations sociales plus basses – au point de mettre en danger l’agriculture des pays voisins ? Un exemple : si les fruits ne sont plus produits qu’en Espagne, cela signifierait que l’Europe entière en serait privée en cas de propagation d’une maladie…« 

« Le groupe Géant – Casino ne joue pas le jeu des accords passés avec la grande distribution »

Rencontre suivante, Frédéric Rannou, producteur laitier finistérien (100 vaches), également responsable syndical cantonal. Pendant la manifestation place de la Nation, il n’a pas pu s’empêcher d’aller au magasin Casino. Opération contrôle des prix, et contrôle de l’origine France. Lui et deux ou trois « collègues » ont rempli un caddie de produits d’origine étrangère, mal étiquetés. Sur le coup, le directeur du magasin a pris peur, un cordon de CRS est venu à toute vitesse « protéger » l’entrée du magasin. Mais il y avait une raison à cette initiative, que raconte Frédéric Rannou : « Fin juillet, on a fait une opération du même sur le magasin Géant Casino de Quimper. On a rempli 12 caddies de produits non conformes aux accords que nous avions passés avec la grande distribution, qui par ailleurs, dans la plupart des autres groupes, a joué le jeu jusqu’à présent. On ne voulait pas mettre de la nourriture à la poubelle, alors nous avions passé un accord avec le directeur du magasin de Quimper : qu’il donne le contenu des 12 caddies à des associations caritatives, et remplace à terme dans ses rayons les vides créés par des produits français. Or, à peine avons nous quitté le magasin que le contenu des caddies était remis dans les rayons. Depuis, nous contrôlons systématiquement tous les magasins Casino que nous croisons.« 

En tout cas, le face à face CRS – manifestants qui suivit pendant quelques instants sur la place de la Nation a occupé les médias…

Des annonces perçues avec méfiance

Lorsque Xavier Beulin, président de la FNSEA, a annoncé aux 5000 agriculteurs de la place de la Nation les mesures obtenues auprès du gouvernement, la réaction fut mitigée. Il y eut peut-être une centaine d’applaudissements, mais aussi presque autant de sifflets, tandis que l’immense majorité n’a pas bronché : un côté « technique » dans les libellés de l’annonce n’a pas permis une compréhension immédiate. Etait-ce réellement bon ? L’impression donnée fut que beaucoup ont dû se dire qu’il fallait prendre les calculettes… Et qu’aucun ou presque ne s’estimait dès lors sauvé. Il y eut même quelques cas particuliers montrant du désespoir, comme ce jeune de 25 ans qui a apostrophé le président de la Fnsea à sa descente de la tribune pour lui demander ce qu’il pourrait dire au retour à sa banque…

Je ne vais pas, pour le moment, commenter moi-même les mesures en question. Vous les trouverez ci-dessous avec un lien direct vers la page du ministère de l’Agriculture dédiée. Il faudra décrypter, calculer, voir qui va être réellement aidé, et pour combien de temps. Juste une première impression : sans doute y a-t-il du positif, mais a-t-on réellement attaqué le problème comme il le fallait ? Pour reprendre les témoignages cités plus haut, la Normandie va-t-elle pouvoir continuer à produire du lait ? Les entrepreneurs agricoles vont-ils pouvoir poursuivre leurs embauches ? Les magasins, sans distinction, vont-ils enfin jouer le jeu vis-à-vis des producteurs français conformément à leurs propres engagements récents ? Nous reviendrons bien sûr prochainement sur ces points avec des analyses plus fines.

Et maintenant, lundi 7 septembre à Bruxelles…

La prochaine manifestation d’importance a lieu ce lundi 7 septembre à Bruxelles. De nombreux agriculteurs français y participeront, Xavier Beulin a d’ores et déjà annoncé qu’il y prononcerait un discours. L’idée d’une organisation européenne telle que souhaitée Hervé Coupeau plus haut dans cet article ne sera pas d’actualité pour ce coup-ci. Les agriculteurs européens, en particulier les éleveurs, y feront part de leur détresse… Au niveau « diplomatique » français, Stéphane Le Foll a annoncé ce matin sur Europe 1 (lien en fin d’article) qu’il renvoyait la balle à l’Europe pour régler le problème de la surproduction laitière… Là encore, il semble que de nouvelles mesures seront adoptées (un conseil européen des ministres de l’Agriculture a lieu en même temps que la manifestation), qu’elles auront bien sûr leur intérêt… Mais pas sûr en revanche qu’elles répondent à plusieurs questions cruciales à cet échelon européen : quid de l’embargo russe, et comment structurer l’agriculture en Europe pour que tout le monde en vive dignement…

 

En savoir plus : http://agriculture.gouv.fr/manuel-valls-annonce-des-mesures-de-soutien-lagriculture (les mesures annoncées par le gouvernement pour tenter d’arrêter la crise ; https://wikiagri.fr/articles/je-viens-a-paris-parce-que-cest-notre-derniere-chance/5642 (ce qu’attendaient de nombreux agriculteurs avant les annonces, ici le président des JA du Finistère) ; http://www.europe1.fr/economie/le-foll-cest-leurope-qui-doit-traiter-la-crise-agricole-2509853 (interview accordée à Europe 1 par Stéphane Le Foll, à propos de la journée de lundi).

Ci-dessous : une partie des 5000 manifestants place de la Nation.

Ci-dessous : Jocelyn Pesqueux, président de la section lait de la Fdsea de la Seine-Maritime.

Ci-dessous, Frédéric Rannou a « contrôlé » le magasin Casino de la place de la Nation, d’où l’intervention des forces de l’ordre…

1 Commentaire(s)

  1. Quelle belle intention que de vouloir organiser la production agricole à l’échelle européenne. Hervé Coupeau a siégé au Conseil Economique Et Social Européen ? Ba, il a pas du être souvent présent au réunion.
    L’Union Européenne n’a pas pour but d’organiser quoi que ce soit. Il s’agit d’une entité de libre échange, ce qui veut dire que c’est le marché qui régule et organise la production…pas les instances politiques….
    Les quotas laitier en sont la preuve…et son syndicat a toujours été favorable a une suppression des quotas…. ! Faut pas venir demander maintenant de l’organisation.
    Il serait aussi intéressant d’avoir la position de la FNSEA et JA sur la question du Traité de Libre échange Libre Atlantique ? Jusqu’a présent je n’ai vu aucun communiquer s’opposant clairement a cet accord..juste quelques demande reconnaissant les AOP et IGP. Rien pour le reste de la production agricole……
    Il faudrait quand même que les adhérents de ces structures analysent les positions de leur syndicats.

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