Cette prestation plutôt haut de gamme combine des débits de chantier hors norme avec un respect maximum des sols. Elle apporte des solutions pour épandre en conditions délicates et valoriser des créneaux en sortie d’hiver et sur cultures à végétation active. Pour la valoriser au mieux auprès de ses clients, la technique mobilise un savoir-faire et un temps de préparation qui peut être important. Décryptage.
Apporter des unités d’azote organique au plus près du besoin des cultures en sortie d’hiver. Dégager au plus tôt les réserves de lisier pour éviter d’atteindre le remplissage maximum. Epandre rapidement de gros volumes pour des structures disposant de quantités importantes de digestats ou de lisiers. Limiter la compaction des terres par le passage d’un attelage de poids réduit… L’épandage sans tonne (dite aussi à ravitaillement ombilical) présente de multiples bénéfices en complément des techniques plus classiques. Il tend à se démocratiser depuis la deuxième moitié des années 2010 où la pratique était encore très confidentielle. Sa mise en œuvre s’est d’ailleurs largement perfectionnée avec la promesse d’atteindre des débits de chantier pouvant dépasser la barre des 300 m3/heure avec certains types de matériels. Aujourd’hui, l’épandage sans tonne retrouve un regain d’intérêt avec le développement de la méthanisation et d’importants volumes de digestat à épandre. La restructuration des élevages et le manque de main d’œuvre pousse par ailleurs les agriculteurs à trouver des solutions pour se décharger de la corvée de l’épandage de ces gros volumes. L’inflation pousse également à une valorisation maximum des unités d’azote issue des engrais organiques en réalisant les apports assez tôt en sortie d’hiver, où la valeur ajoutée de l’épandage sans tonne est maximale. En outre d’ici 2025, les systèmes d’épandage à buses seront interdits et les rampes devront être équipées de pendillards pour réduire les pertes d’azote ammoniacal dans l’air. Cela pousse les producteurs à réfléchir au renouvellement. Cependant le prix d’acquisition à neuf des matériels d’épandage a été multiplié par presque deux en quelques années. Le besoin de pouvoir trouver des solutions mutualisées à gros débit est donc présent. Dans ce contexte, la prestation de l’épandage sans tonne par les ETA présente de nombreux atouts. Les attelages sans tonne pèsent entre 9 et 15 t, tandis que les autres systèmes d’épandage à gros débits de chantier atteignent parfois les 50 t. L’option sans tonne limite donc les effets de la compaction des sols sachant que les épandages sont répétés plusieurs fois dans l’année. Sur prairies, la possibilité d’apporter de l’azote de façon précoce permettrait le maintien d’une flore plus riche en protéine et plus diversifiée qu’avec des apports tardifs favorisant le ray-grass. En outre, de plus en plus de cahiers des charges de production privilégient la fertilisation organique avec parfois un encadrement strict des apports d’engrais minéraux, comme dans la filière AOC Comté. Avec des débits parfois records, la technique de l’épandage sans tonne raccourci le nombre de jours d’épandage et donc les nuisances. C’est intéressant en période estivale dans des secteurs touristiques, ou vis-à-vis des voisins à une période où la population est plus souvent dehors.
Le ravitaillement ombilical consiste globalement à confier l’épandage à un tracteur (voire à un automoteur) sur lequel est attelée une rampe d’épandage. Celle-ci est reliée à un tuyau souple branché directement à la ressource d’effluent (lagune ou fosse à lisier) via une pompe. La délocalisation du chantier avec ravitaillement par tonne ou citerne est également possible via une remorque tampon ou des caissons dédiés. Dans tous les cas, une pompe et un compresseur à poste fixe relient le réservoir et le tuyau d’alimentation du tracteur pour assurer une pression comprise entre 13 à 17 bars à l’entrée du circuit selon les systèmes. Dans la parcelle d’épandage, un enrouleur embarque le tuyau suiveur. Il est positionné selon les systèmes au niveau de la pompe ou bien directement sur l’attelage du tracteur. Le chauffeur qui pilote l’attelage contrôle en général la pompe directement en cabine via un système de communication connecté sans fil. Il peut ainsi moduler le régime de la pompe et l’arrêter à distance pour éviter les doubles recouvrements, ou pour intervenir sur l’installation. Il est fréquent d’embarquer un enrouleur au-devant du tracteur avec un supplément de linéaire de tuyau et des raccords en cas de besoin. Selon la pression dans la rampe, le débit d’épandage est plus ou moins fort. Un boîtier qui équipe la cabine donne la vitesse cible à atteindre pour respecter la consigne de dosage à l’hectare. Il est possible de coupler le système avec un capteur de concentration comme le Harvest-lab, pour pouvoir moduler le débit instantané des lisiers, boues ou digestats en fonction de la teneur en minéraux (N, P, K et taux de matière sèche). Ce système est grandement utile en végétation, non seulement pour s’adapter au plus près des besoins des plantes, mais également pour limiter les risques de brûlure des feuilles par un surdosage.
La solution avec caisson ou benne tampon nécessite une logistique particulière et de la main d’œuvre additionnelle pour maintenir le système alimenté en permanence en effluent. Une solution alternative est d’installer un réseau de tuyaux à demeure. Dans tous les cas, lorsque les distances de transport excèdent un certain seuil qui dépend de la puissance des matériels et des sections de tuyau, il peut être judicieux de coupler des pompes relais pour maintenir une pression suffisante du liquide. La solution de pompage direct dans la lagune ou la fosse est presque toujours préférable en termes de débit de chantier, d’optimisation du matériel et de la main d’œuvre. Elle nécessite cependant souvent une préparation plus importante du chantier en amont. En effet, il est nécessaire de tirer un tuyau d’alimentation dédié jusqu’à la parcelle, tandis qu’autrement, il suffit de déposer le caisson de ravitaillement.
La planification du chantier relève d’un vrai savoir-faire technique qui participe grandement à tirer le meilleur parti de ce dispositif en termes de qualité de travail et de débit de chantier. Quand on pilote un chantier, on se retrouve en effet avec un fil à la patte, lié au tuyau branché au tracteur. Il s’agit de gérer au mieux cette contrainte en planifiant le trajet des engins dans la parcelle. Les constructeurs sont plusieurs à proposer des applications pour tablette ou smartphone qui aident les entreprises à organiser leurs chantiers avant le démarrage.
La planification du tracé mérite dans de nombreux cas de reprendre les traces de passage du pulvérisateur lorsque la conception de la rampe le permet. Il s’agit bien entendu de préserver les sols du tassement, et de pouvoir valoriser pleinement cette valeur ajoutée de la prestation. Le télégonflage, l’usage de pneumatiques larges ou de roues jumelées, ajoutent encore à cet aspect. Certaines rampes intègrent une vanne trois voies permettant également de compenser les débits d’un bout à l’autre dans les virages en fonction de l’angle de braquage. C’est d’autant plus utile que la rampe est large et que les angles de braquage sont serrés.
La longueur totale du tuyau depuis le point de pompage est un paramètre essentiel à prendre en compte dans la préparation du chantier. Avec une longueur de tuyau de 1200 m, il est possible de couvrir une surface de près de 250 ha à partir du même point de pompage. Plus la longueur de tuyau est importante et plus l’organisation du chantier est ainsi facilitée. Cependant, le débit dans la rampe est aussi réduit au détriment du débit de chantier sachant que le débit est un des premiers critères de choix pour l’épandage sans tonne. La présence de dénivelé positif entre le point de pompage et la zone d’épandage a des effets qui peuvent être également très négatifs sur les débits. C’est absolument à prendre en compte dans la préparation du travail. Au-delà de 60 m de dénivelé positif il vaut mieux privilégier les systèmes de ravitaillement par caisson, selon plusieurs retours de terrain. Avec caisson, le remplissage peut se faire avec des tonnes à lisier ou bien directement par des camions citernes dédiés. Il est important de bien planifier le ravitaillement en effluent afin que le chantier ne subisse pas de rupture d’approvisionnement. Il s’agit de prendre en compte le temps de trajet depuis le lieu de puisage, et les temps pour remplir et vider. Il est courant de devoir également dédier un, voire plusieurs tracteurs, pour le brassage de la fosse ou de la lagune spécialement lorsque l’effluent n’a pas bénéficié d’une séparation de phase. Les rampes utilisées pour l’épandage sans tonne sont souvent équipées de broyeurs pour éviter tout phénomène de bouchage. Il peut même être conseillé de brasser l’effluent quelques jours avant le chantier.
Lors de la préparation du chantier, certains obstacles, (routes, ponts, bosquets, talus, cours d’eau, poteaux, bâtiments…) méritent des aménagements spéciaux qu’il faut pouvoir contourner par différents dispositifs lorsqu’on se branche en direct de la lagune ou de la fosse. Le trajet effectué par le tuyau peut mériter d’être accompagné par un opérateur dédié qui assure la bonne circulation et le contournement de certains obstacles à l’aide d’une poulie montée sur tracteur. Les systèmes d’approvisionnement par caisson limitent ces problèmes. Dans tous les cas, ces chantiers sont plutôt adaptés aux grandes parcelles dégagées pour profiter au maximum du potentiel de débit élevé. En ETA, cette prestation est donc très complémentaire de celles avec tonnes, y compris à gros volumes pour s’adapter à la diversité du parcellaire des clients.
Dès la planification du chantier, il est opportun d’anticiper la clôture de clui-ci qui nécessite de vider le volume dormant dans les tuyaux à l’arrêt. Cela représente plusieurs mètres cubes d’effluents. Pour éviter de sur fertiliser une partie, il faut prévoir de réserver une partie de la parcelle dédiée à la vidange de fin de chantier. La chasse du liquide se fait de façon originale à l’aide d’une balle en mousse qui pousse le liquide grâce à la pression du compresseur.
Pour l’ETA, malgré un besoin élevé en puissance de pompage, le coût en carburant de ces chantiers est réduit de 30% à 50% par rapport à un épandage classique, selon les communications des concessionnaires de ces matériels. Le besoin en traction est en effet assez faible, bien qu’il ne faudrait pas sous-estimer le poids des tuyaux une fois remplis sur toute la longueur. La question du besoin en main d’œuvre est en revanche très variable selon le mode d’organisation. Une fois mis en place, les chantiers sans tonne peuvent en théorie se piloter à une personne seule en pompage direct. Cependant une deuxième personne est souvent mobilisée notamment pour contrôler la course du tuyau et gérer les obstacles, par exemple avec un système de poulie montée sur tracteur.
L’épandage sans tonne présente l’avantage de pouvoir avancer le calendrier de ces travaux (dans la limite du respect des dates réglementaires évidemment) en travaillant sur des sols moins ressuyés et moins portants. Certaines zones fortement sensibles au gel en sortie d’hiver ne pourront toutefois pas valoriser pleinement cet avantage. L’avantage ou l’inconvénient de l’avancement du calendrier d’épandage est dans tous les cas à prendre en compte dans l’organisation de l’ETA. Cependant, les apports en végétation (maïs jusqu’au stade 7-8 feuilles selon les matériels ou sur colza à l’automne) qui sont également bien valorisés par cette technique, peuvent s’étendre à des périodes chargées pour les entreprises, du fait des travaux d’ensilage d’herbe ou de préparation des sols par exemple. A chacun d’adopter sa politique auprès de ses clients et sa logique d’amortissement du matériel pour concilier les impératifs de tous.