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S’approprier l’agriculture de précision

« Je pense que mes parcelles sont de moins en moins hétérogènes du fait de cette compensation qui s’opère année après année avec la modulation de la fertilisation », explique Eric Mahaut.

 
S’approprier l’agriculture de précision
Eric Mahaut, est agriculteur dans l’Eure-et-Loir en agriculture Bio et conventionnelle sur environ 240 ha de terres très hétérogènes. Il s’est lancé dans l’agriculture de précision en 2014 en adaptant la pratique à ses besoins et à son matériel. Il estime avoir beaucoup gagné sur le plan agronomique.
  
« J’ai commencé à m’intéresser à l’agriculture de précision en 2013. À l’époque, la coopérative CapSeine devenue NatUp aujourd’hui, organisait des réunions d’informations autour des services d’aide à la décision Défisol pour la gestion des fumures de fonds », retrace Eric Mahaut, agriculteur sur environ 240 ha à Rueil-la-Gadelière en Eure-et-Loir. Ces réunions sont tombées au bon moment pour l’agriculteur qui n’était plus satisfait de ses pratiques. « J’achetais mes engrais ou mes amendements en fonction des promotions plus qu’en fonction des besoins spécifiques réels de mes sols, témoigne-t-il. Or mes sols sont très hétérogènes. J’avais besoin de retrouver de la maîtrise sur le plan de la gestion de la fertilité ». Situés à un jet de pierre de Verneuil sur Avre à la frontière du Perche, les sols des parcelles d’Eric Mahaut sont en effet constitués de limons battants ou d’argiles à cailloux avec une très grande hétérogénéité y compris au sein de chaque parcelle. Cette région agricole fait d’ailleurs la part belle aux cultures d’hiver, céréales, orge et colza, du fait notamment d’une réserve en eau limitante pour les cultures de printemps. 
 
De multiples analyses de sol
Eric saute ainsi le pas de s’engager dans le dispositif d’agriculture de précision proposé par sa coopérative, et qui est connu aujourd’hui sous le nom de BeApi. Pour ce faire, l’agriculteur réalise 260 analyses de sols en 2014, réparties sur ses 210 ha de ses parcelles labourables. Pour chaque point d’analyse, une vingtaine de carottage a dû être effectué. « C’est extrêmement précis. Avec cet outil, nous obtenons une photographie fidèle des sols à l’instant « t » sur l’exploitation », souligne Eric Mahaut. Afin de pouvoir être les plus représentatives que possibles, les analyses de sols ont été ciblées sur les zones d’hétérogénéité pré-identifiées à l’aide des archives de photographies aériennes disponibles depuis la fin de la seconde guerre mondiale. « Ce qui m’a frappé dans les analyses, c’est que la répartition des sols de l’exploitation fait apparaître trois grandes parties qui coïncident avec le périmètre des trois exploitations qui ont précédé autrefois, à savoir un élevage ovin et deux élevages laitiers », souligne l’agriculteur. 
Eric Mahaut a souscrit au service BeApi pour transformer les données issues de ses sols en cartes de préconisations capables de donner des consignes aux outils via un branchement isobus.
 
Modulation des engrais
Une fois ce diagnostic « multianalyses » en main, Eric Mahaut décide d’envisager la modulation des apports de fertilisation de fonds phosphore et potassium, ainsi que pour les amendements calciques. « En effet, les analyses ont montré qu’avec des sols très hétérogènes, la modulation des apports prenait tout son sens avec des consignes pouvant par exemple varier de 0 à 200 kg par hectare de chlorure de potassium ». Eric fait donc faire des cartes informatiques de préconisation de fertilisation en modulation. Pour pouvoir ensuite tirer les bénéfices de la modulation automatique, il équipe deux de ses tracteurs existants pour l’agriculture de précision, pour un coût d’environ 15 000 €. L’investissement a consisté en l’achat d’une antenne de tracteur RTK, d’un raccordement Isobus pour chaque tracteur et d’une console de guidage. Aujourd’hui encore, Eric module avec un tracteur qui a 12 000 h de travail au compteur. « Cela fonctionne très bien. Il n’y a pas nécessairement besoin de surinvestir pour adopter l’agriculture de précision. Ensuite, J’ai simplement adopté un épandeur à engrais compatible Isobus pour réaliser la modulation ». Eric décide également de réduire considérablement ses apports de magnésium, dont les multianalyses ont démontré un niveau suffisant. 
L’agriculteur a recours à un semoir à engrais Kverneland Geospread de dix ans d’âge avec coupure de tronçons tous les deux mètres. Pour préparer ses chantiers, il télécharge simplement la carte de modulation sur une clé usb qu’il transfère sur la console de guidage du tracteur. « Ce qui est aussi bluffant, au départ, c’est de constater que lorsque l’on décide d’appliquer 12 t d’engrais, l’appareil consomme presque exactement les 12 t avec très peu d’écart par rapport à la consigne sur un chantier, constate-t-il. Pourtant, les doses apportées au sein de la même parcelle peuvent être très variables ». Eric est aussi abonné au service de pilotage de l’azote Farmstar. Cependant, il combine les préconisations de Farmstar aux données météorologiques pour décider de ses apports car l’assimilation de l’azote minéral dépend de la pluviométrie.
Le contexte actuel est fortement inflationniste sur les prix des engrais. Cela pousse Eric à une certaine prudence cette année dans ses apports d’engrais de fonds. « Le fait d’avoir acquis une bonne connaissance de mes sols, me permet de réduire les apports sans prendre de risque. L’agriculture de précision m’apporte des données clés pour pouvoir adapter le pilotage de l’exploitation en sécurité ». 
L’autoguidage et la modulation se font via une console John Deere.
 
Passage au Bio
À la fin des années 2020, Eric Mahaut prend un nouveau virage pour son exploitation. En 2019, la ferme est divisée en deux pour créer une exploitation de 80 ha de grandes cultures biologiques. Une partie de l’exploitation d’Eric Mahaut se situe en effet sur une zone de captage d’eau potable pour la ville de Paris depuis la fin du XIXᵉ siècle. Le passage à l’agriculture biologique constitue donc une réponse pratique à des contraintes importantes. En même temps, cette conversion a redonné de l’élan à la carrière d’agriculteur d’Eric. « Aujourd’hui je m’éclate dans le bio. Cela représente pour moi un défi technique et agronomique très intéressant, souligne-t-il. Pour autant, je ne crois pas qu’un système doive l’emporter sur l’autre. L’agriculture française a besoin de diversité, pour éviter de nombreux écueils », tient-il à préciser. 
Avec le passage en Bio, Eric Mahaut franchit un palier supplémentaire dans l’agriculture de précision à différents niveaux. L’agriculteur profite d’une part de son équipement en RTK pour gérer le désherbage mécanique de ses cultures. « Je sème les céréales bio à 25 cm d’écartement (un rang sur deux) avec l’autoguidage, détaille-t-il. Cela me permet ensuite de pouvoir positionner plus précisément des passages de bineuses, (en l’occurrence une Phenix Agrosystem Onyx avec détection des rangs par caméra, NDLR). Par ailleurs je réalise également la modulation de la fertilisation potassique sur les cultures en agriculture biologique. Grâce aux multianalyses, j’apporte aussi de façon plus raisonnée les fumiers issus de l’élevage laitier, même si je ne module pas encore les apports de matières organiques. En agriculture biologique, tout part du sol. Il était donc logique que je m’appuie sur tout le travail mené précédemment en ce sens ».
 
Cartes de potentiels
En 2020, Eric investit de 80 à 100 €/ha, pour effectuer l’analyse du potentiel de rendement de ses sols sur les 80 ha en agriculture biologique. Cette analyse cartographique repose sur les mesures de la conductivité des sols qui est liée à la réserve en eau. Des profils culturaux ont, en outre, été réalisés pour affiner ces résultats. Compte tenu du coût, l’agriculteur a limité dans un premier temps le dispositif aux cultures bio où il y a vu le plus fort intérêt. Les données de potentiel relevées ont ensuite permis à Eric de moduler la densité de semis en céréales Bio pour la première fois à l’hiver 2020 (récolte 2021), avec un semoir compatible Isobus, Kverneland Sdrill. Eric Mahaut sème plus dense les céréales lorsque les terres sont plus superficielles, car les taux de levée sont plus faibles du fait de la présence de cailloux et le nombre de talles plus réduit. Sur une même parcelle, les doses varient de plus ou moins 100 graines par mètre carré ! « Je ne sais pas si c’est lié, mais j’ai réalisé de très bons rendements en blé Bio en 2021 à 67 q/ha. Cependant, les conditions ont été optimales dans mon secteur pour le blé Bio cette année-là. J’ai besoin encore d’un peu plus de recul pour bien mesurer l’impact de la modulation sur les rendements en céréales Bio ».
 
Un bilan positif
« Aujourd’hui, je maîtrise beaucoup mieux mes pratiques. Je sais ce que je fais et pourquoi je le fais, détaille l’agriculteur. J’ai aussi le sentiment de créer de la valeur sur l’exploitation, par une connaissance fine des sols qui sera transmissible aux nouvelles générations. Par ailleurs, je pense qu’à terme, mes parcelles seront de moins en moins hétérogènes du fait de cette compensation qui s’opère année après année avec la modulation. Mais je ne cherche à convaincre personne. Ce qui est valable pour moi ne l’est pas forcément pour tous. Cependant, j’ai la conviction que l’agriculture de précision n’en est encore qu’au début de son potentiel, notamment pour mieux prendre en compte l’environnement ».
 
Infos : Deux rotations, deux exploitations
Eric Mahaut gère deux exploitations dont une de 80 ha de cultures en agriculture biologique et l’autre de 160 ha en agriculture conventionnelle (dont 30 ha de prairies) avec un élevage laitier de 70 vaches. La rotation pratiquée en Bio est assolée par une prairie de luzerne ou de trèfle de trois ans, qui cède ensuite la place aux cultures de blé, de triticale d’hiver, de féverole d’hiver et éventuellement de maïs grain. Les prairies de fauche de luzerne et de trèfle Bio alimentent l’atelier laitier de 70 vaches laitières en conventionnel, tandis que les parcelles bio bénéficient du retour au sol d’une partie des fumiers. Sur les 130 ha de grandes cultures de l’exploitation conventionnelle, Eric pratique une rotation blé, colza et maïs ensilage. 

 

Auteur : Loïc Dufour (textes et photos)

 
 
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