On a coutume d’identifier le salon de l’agriculture comme étant la vitrine de la grande corporation agricole. Cette année, avec la majeure partie de ses secteurs en crise simultanément, cette vitrine aura du mal à afficher les sourires habituels…
L’agriculture en crise, on a déjà connu. Mais cette fois, c’est différent. Tous les élevages sont touchés ou presque, ainsi que les productions maraichères et fruitières, et les céréales ne vont pas tarder à l’être par ricochet. Une crise sans précédent, monumentale, qui fait dire à certains qu’il s’agit du plus grand plan social de l’agriculture, tant les arrêts d’activité, déjà nombreux, sont annoncés franchement monumentaux en nombre…
En temps « normal », le salon de l’agriculture, c’est une belle vitrine. Ceux qui le font vivre essayent d’obtenir des médailles pour leurs bêtes de concours, prodigieuses, issues d’une génétique poussée qui fait la passion et la joie de l’éleveur. Des médailles pour leurs produits aussi, tout ce terroir typiquement régional qui rend les paysans si sympathiques aux yeux des Parisiens. Cette année, il y aura bien sûr, comme toujours des passionnés, qui ne demandent qu’à faire aimer leur métier. Mais ils seront un tout petit peu moins nombreux, et moins enclins auront peut-être du mal à communiquer, à desserrer les lèvres…
Comment participer à un salon aussi important que celui de l’agriculture en pleine période de crise ? Certains ont lancé une idée sur les forums agricoles : le boycott. Oh, là-dessus les opinions sont partagées. L’éleveur qui a préparé sa bête toute l’année en espérant la voir gagner le concours, c’est sûr, il ne boycotte pas. Tous ceux qui veulent promouvoir leurs produit régionaux à travers cette magnifique vitrine non plus. Car derrière, il existe des enjeux de prestige, mais aussi de reconnaissance du travail accompli (et le paysan en est friand, car de plus en plus souvent privé de cette reconnaissance de la société pour son rôle nourricier), et même commerciaux pour les victuailles du terroir.
Tout récemment, José Bové a annoncé vouloir boycotter le salon. Il estime notamment (lien en fin d’article) que les responsables de l’immense malaise paysan actuel sont au salon. Un point de vue, autant que j’ai pu m’en rendre compte, relativement partagé sur les réseaux sociaux ou les forums, y compris par des agriculteurs sans aucun lien politico-syndical avec José Bové.
Ce mode de pensée existe donc. Mais pour le visiteur parisien, ça ne devrait pas se voir tant que cela. Les quelques éleveurs, plutôt rares, ayant des bêtes à concours et ayant refusé de venir ont été remplacés (donc pas d’espaces vides, ou très peu a priori). Et sinon, la masse des visiteurs vient davantage de l’agglomération parisienne que des campagnes : 700 000 chaque année… S’il devait y en avoir 680 000 en 2016, ce ne serait finalement guère visible.
Pour la grande majorité des participants donc, l’activité sera préservée. Les nombreux organismes agricoles ou proches de l’agriculture ont fait parvenir à la presse leurs habituels agendas de conférences, ou autres présentations diverses. Si, comme indiqué au début de cet article, certaines mines seront grises, ce salon devrait conserver globalement un visage pouvant donner le change.
Pour autant, dans les campagnes, la crise agricole n’a jamais été aussi présente. Chaque jour, plusieurs actions (la plupart syndicales, mais pas toutes, plusieurs mouvements « non syndicaux et non politiques » se sont montés) ont lieu, ici pour bloquer une centrale d’achat, là devant un supermarché, là-bas face à une préfecture, plus loin encore pour vérifier l’étiquetage des produits « made in France »… On n’imagine donc pas un salon de l’agriculture, malgré le respect dû à sa vitrine, se dérouler sans qu’au passage son aspect particulièrement médiatisé ne soit utilisé à des fins de sensibilisation.
En certains lieux, il existe même (c’est dire si la crise est grande !) des approches intersyndicales, où le syndicat majoritaire (la Fnsea, localement les Fdsea) reçoit le soutien de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne, évidemment sur la base d’une plateforme commune, faire face à la crise, sachant tout de même que les recettes de chacun pour y parvenir restent différentes.
Qu’est-ce que cela peut donner à Paris Porte de Versailles ? A priori, deux possibilités de manifestations. La première au niveau des stands des régions, au moment des inaugurations par exemple, avec quelques agriculteurs de la région concernée manifestant par rapport aux actions que peut mener celle-ci. Plusieurs manifestations sporadiques et ciblées devraient avoir lieu ainsi. La seconde pour frapper les esprits avec une ampleur nationale. Là, on pense aux visites des politiques, aux stands institutionnels… On imagine ainsi que les politiques seront particulièrement apostrophés lors de leurs visites.
Tout ce qui se passera au salon à ce niveau des actions d’illustration de mécontentement influera sur la suite des événements. En politique agricole intérieure, selon l’envie et/ou la pression qui sera donnée ou exercée sur les décideurs. Mais aussi en stratégie syndicale : le prochain congrès de la Fnsea fin mars à Laval promet d’être animé. Pour l’instant, toutes les actions, pratiquement sans exception, sont parties des régions. Et si le national reprenait la main à l’occasion de ce salon ?
Enfin, n’oublions pas ceux qui pourraient utiliser la tribune médiatique du Sia (salon international de l’agriculture) à des fins sans aucun rapport avec l’agriculture. Beaucoup de mécontents aujourd’hui (Calais, taxis et/ou VTC, Notre-Dame-des-Landes, etc.), qui sait qui pourrait avoir l’idée saugrenue de vouloir diffuser son message en profitant des caméras présentes porte de Versailles ?
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/villagesemence-le-salon-de-lagriculture-2016-en-direct-live-sur-internet/8260 (pour suivre en direct la télévision du salon de l’agriculture) ; https://wikiagri.fr/articles/salon-de-lagriculture-2016-les-nouvelles-regions-bouleversent-les-habitudes/8252 (les habitudes bouleversées pour les régions au salon de l’agriculture 2016) ; http://www.lefigaro.fr/conso/2016/02/24/05007-20160224ARTFIG00330-le-salon-de-l-agriculture-une-mise-en-avant-des-secteurs-qui-tuent-les-paysans.php (article dans lequel José Bové explique les raisons de son boycott du salon de l’agriculture).
Photo du hall 1 du salon de l’agriculture, prise l’année dernière, en 2015.