Agriculteurs à Moutiers (35), Anne-Sophie et Laurent Cornée préfèrent les vers de terre à la charrue. Depuis plusieurs années, leurs parcelles ne sont plus labourées et les semis sont faits sous couvert. L’allongement des rotations, et un choix précis des couverts, complètent leur panoplie pour améliorer le fonctionnement des sols.
Sur 160 Ha, répartis en 2 sites entre Ille-et-Vilaine et Mayenne, Laurent et Anne-Sophie Cornée élèvent 60 vaches laitières et produisent de quoi nourrir ce troupeau et des cultures de vente. Depuis leur installation, ils ont toujours cherché à améliorer la cohérence de leur système, à renforcer le lien entre productions animales et végétales.
Avant le départ en retraite de son père, Laurent Cornée se posait des questions sur le labour, le temps à y passer, la consommation de gasoil, mais aussi sur l’impact de cette pratique sur la vie du sol. À la même période, la mise aux normes des bâtiments d’élevage a fait passer les effluents de fumier à lisier. « Je broyais les pailles pour laisser de la matière organique au champ », se souvient Laurent Cornée, qui a toujours été attentif au bon fonctionnement de ses sols.
« Un sol vivant et productif, c’est celui d’une forêt »
Pour améliorer la structure de ses sols, il n’a de cesse de repenser ses itinéraires culturaux. « Déjà dans les années 80, mon père avait fait des essais pour semer le blé sans labour après du maïs ensilage, se souvient l’éleveur. Nos terres sont légères, caillouteuses. Le labour n’arrangeait pas la structure. J’ai voulu tester autre chose ». En s’appuyant sur ce qu’il a lu dans des revues techniques, en discutant avec des collègues, il fait ses propres tests. Il y a eu des réussites et des déconvenues. « Une année humide, je n’ai pu semer que 15 ha de blé, se souvient Laurent Cornée. Mais j’ai continué, car je sentais qu’arrêter le labour allait dans le bon sens. Avec le recul, je sais qu’il faut laisser quelques années aux parcelles avant de retrouver leur équilibre, le temps que la vie du sol soit bien repartie ».
Un pas est franchi en 2000 avec l’achat d’un semoir Horsch. Pendant quelques années, les semis seront faits après une fissuration sur 15/20 cm et un travail superficiel. Depuis 2008, tout est semé en direct. « Maintenant, il n’y a plus besoin de fissurations car, grâce aux couverts, ce sont les différentes racines qui jouent le rôle de fissurateur », partage l’agriculteur, qui fait ses propres mélanges pour combiner des légumineuses et des plantes avec différents profils racinaires. De la diversité, il en use aussi pour ces rotations : maïs ensilage et grain, colza, blé, orge, avoine, sarrasin, tournesol, féverole, lin, luzerne.
Ces facteurs concourent à améliorer la vie du sol et son fonctionnement. « Ça se voit par une meilleure résilience face aux aléas climatiques. C’était flagrant en 2022, partage Anne-Sophie Cornée. Notre maïs est resté vert alors que les autres étaient desséchés. Dans nos parcelles, il n’y a plus de semelle labour, mais de nombreuses galeries de vers de terre, ce qui permet aux racines d’explorer le sol plus en profondeur ».
Persévérance et échanges
Avant d’arriver à ce résultat, il a fallu de la persévérance à Laurent et Anne-Sophie Cornée. « Quand les voisins te voient semer dans les débris végétaux, ils te prennent un peu pour un fou, plaisante l’agriculteur. C’est parce qu’ils ne voient ni la vie de mes sols, ni la marge. Pourtant, c’est ça le plus important ».
Après l’arrêt du labour, les rendements peuvent marquer le pas, le temps que la structure du sol s’améliore, qu’un équilibre se recrée entre la faune auxiliaire et les ravageurs. « Mais on fait déjà des économies de gasoil et de temps », encourage Laurent Cornée, qui estime que ses marges se sont améliorées. « Déjà, parce que j’ai fortement réduit le recours aux phytosanitaires, notamment les fongicides. Sur 50 ha de blé, j’ai fait 87 qx de moyenne avec 0 fongicide ». L’agriculteur préfère apporter des oligo-éléments, selon les manques décelés par des analyses de sol et de sève, des produits de bio-contrôle pour aider les plantes à se défendre elles-mêmes. Le principal recours à la chimie est pour le désherbage. « Le désherbage mécanique n’est pas adapté au semis direct, car ce travail superficiel, mais répété, perturbe les premiers centimètres du sol, là où se concentre la vie, estime l’agriculteur. On perturbe ce qu’on a permis au sol de reconstruire en arrêtant de le bouleverser par le labour. En semis direct, il n’est pas toujours possible de se passer de glyphosate. Mais on est toujours à dose réduite. Je désherbe avec 2l/ha ».
Si les marges se portent mieux, c’est aussi car l’exploitation a des charges de mécanisation réduites. « Nous n’avons pas beaucoup de matériel, nous n’avons pas besoin d’un gros tracteur, souligne Anne-Sophie Cornée ». L’exploitation gère ses cultures principalement avec un 140 cv « qui ne s’use pas beaucoup », un semoir à disque et un semoir à disques monograine pour le maïs. « Comme on ne sert pas beaucoup du semoir à maïs, on le loue à des collèges », précise Laurent Cornée, qui apprécie de voir de plus en plus d’agriculteurs à s’intéresser aux techniques culturales simplifiées et à l’agriculture de conservation des sols. L’agriculteur fait partie d’un groupe ACS au Ceta 35 pour échanger et s’informer. « Il y a toujours des choses à apprendre pour améliorer son système, estime-t-il. Maintenant que nos sols fonctionnent bien, on travaille sur l’adaptation au changement climatique et à la résilience par l’agroforesterie, en plantant des haies dans les parcelles ».