Faut-il déjà commencer à écrire, comme le suggère le titre de cet article, le ministère de l’Agriculture entre parenthèses ? Les signaux envoyés récemment par le gouvernement semblent plaider en faveur de cette hypothèse, de moins en moins farfelue, même si déjà évoquée par le passé et écartée aussitôt alors.
En premier lieu, c’est à l’Elysée même que l’on trouve source de questionnements. Le départ de la conseillère à l’agriculture Audrey Bourolleau l’été dernier a bien sûr été compensé, mais l’affectation n’est pas tout à fait la même. Comme on peut le lire sur la page internet « cabinet du Président de la République et services de l’Elysées », le conseiller à l’agriculture s’appelle désormais Julien Turenne, et surtout il dépend d’un pôle « écologie, transports, énergie » qui laisse supposer que l’agriculture devient désormais une composante de l’écologie dans l’esprit élyséen. De plus (au même titre que d’autres conseillers d’ailleurs), Julien Turenne cumule les mêmes fonctions dans le cabinet du Premier ministre. On peut y voir, selon les interprétations, une cohérence dans la politique nationale… Ou un désintérêt tel pour la problématique qu’elle ne nécessite plus une personne à temps plein dans chaque entité.
L’autre information qui tend à montrer le peu d’intérêt gouvernemental pour l’agriculture tient dans l’attitude de son ministre en exercice. Vous le savez, toute la presse en a parlé, Didier Guillaume se présente pour la mairie de Biarritz, un parachutage politicien pour ce Dromois d’autant plus comique qu’il y sera opposé à un autre membre du gouvernement, lui-même parachuté de l’Yonne. Mais au-delà du burlesque politique (enfin, peut-être que les Biarrots ne trouvent pas ça drôle…), il y a aussi le devenir de l’agriculture en jeu. Le souhait de Didier Guillaume consiste à conserver le ministère de l’Agriculture pour, en cas de défaite électorale, conserver son titre de ministre. En roue de secours en quelques sortes : voilà ce à quoi est réduite l’agriculture dans l’esprit de son ministre en exercice, un salaire faute de mieux. Pour ceux qui croient que l’agriculture ne paie plus, visiblement un ministre touche plus qu’un conseiller municipal d’opposition. Entre-temps, désintéressement total, il est en campagne… mais électorale, pas pour visiter les fermes.
Cet épisode pour le moins fâcheux intervient après l’échec de ce qui devait être le grand projet agricole du gouvernement Macron, la loi EGAlim. Pour les agriculteurs, les états généraux de l’alimentation devaient déboucher sur une loi les autorisant à retrouver un revenu digne. On sait ce qu’il en est.
Un autre échec cuisant, celui de l’épuration de la dette de l’Etat dans le versement différé des aides européennes : combien d’agriculteurs ont cru faire le bon choix en passant au bio, mais n’ont jamais reçu leurs aides à la conversion censées leur donner les moyens de tenir le temps de la mutation ? Pour ne citer qu’un des exemples de retards des aides. Si ce dernier problème est né sous la présidence précédente, il n’a été résolu sous celle-ci que fort partiellement, malgré les promesses de Jacques Mézard réitérées par Stéphane Travert, les deux prédécesseurs du futur démissionnaire Didier Guillaume.
Dès lors, que va-t-il se passer après les municipales, alors qu’un remaniement sera devenu obligatoire, compte-tenu des quelques ministres qui auront préféré se faire élire dans leurs villes (ou d’autres plus éloignées) (sans parler des sempiternelles rumeurs qui existent toujours dans ces cas là sur l’éventuel départ du Premier ministre) ? La question essentielle, ce n’est plus de savoir qui va se retrouver à l’agriculture, mais pour y faire quoi, dans quel contexte et avec quels moyens.
Va-t-on avoir un secrétaire d’Etat dépendant d’un ministère plus large, qui serait donc celui de l’Ecologie ? Cette question de rapprocher l’agriculture d’un autre secteur n’est pas nouvelle. Mais elle a toujours été repoussée jusqu’à présent pour plusieurs (bonnes) raisons : 1. L’agriculture est une activité particulière qui mérite un traitement qui le soit tout autant, tant les technicités agronomiques, de conduites d’élevages, d’évolutions technologiques, et même de gestion et de bureaucratie sont spécifiques à ce domaine. 2. L’agriculture est de fait aux confins de plusieurs autres ministères, ceux de l’Economie, de la Santé, de l’Ecologie, de l’Education nationale aussi avec son enseignement propre… Et parfois d’autres, au gré des problématiques posées. Soumettre l’agriculture à un seul secteur sous-entend que les autres deviennent subalternes. 3. Particulièrement par rapport à l’écologie, qui s’est souvent montrée dogmatique et ne manque pas de le redevenir au gré des hommes et femmes politiques qui la défendent, une « soumission » de l’agriculture ne peut que signifier un durcissement des normes (peut-être le faut-il, mais toute la question concerne la mise en pratique de l’application), mais aussi des mises en danger directes de certaines formes d’agriculture, je pense par exemple au pastoralisme qui aurait du mal à survivre à une généralisation de réintroduction des prédateurs.
Pour autant, c’est peut-être bien ce qui se trame, la dépendance de l’agriculture à l’Ecologie, et même plus tôt qu’on ne le pense. Mon confrère Olivier Masbou, dans son bloc-notes daté du 20 janvier, rapporte ainsi les propos tenus par Elisabeth Borne, ministre de la Transition Ecologique, lors de ses voeux à la presse le 17 janvier : « Produire autrement, c’est aussi changer de modèle agricole. Ce n’est pas céder à un quelconque bashing que de le dire : ce modèle a eu ses vertus mais est arrivé à bout de souffle, il bouscule la nature et enferme tellement d’agriculteurs dans une impasse. Un autre modèle est possible, les faits sont là, de plus en plus d’agriculteurs le revendiquent et s’engagent sur cette autre voie, avec moins d’intrants, plus de qualité, une proximité retrouvée avec les consommateurs, et des revenus au rendez-vous. La future Politique agricole commune constitue un levier essentiel : je souhaite qu’elle intègre davantage encore la reconnaissance des exigences environnementales. » Des propos importants car ils montrent que cette ministre, déjà à la tête d’un ensemble tentaculaire, s’apprête à une nouvelle OPA en y intégrant l’agriculture. Et elle a déjà formulé les grandes lignes d’une direction à suivre…
Quels peuvent être les scénarios ? D’abord, savoir à quelle date partira Didier Guillaume. Une rumeur persistante veut qu’il soit pressé (pas par lui) de quitter le gouvernement au plus vite, sans conserver donc sa roue de secours, afin d’éviter que les médias ne se régalent d’un duel fratricide entre deux ministres du même gouvernement en exercice. Si tel devait être le cas, sachant qu’évidemment aucun nom sérieux de remplaçant ne circule dans l’immédiat, on imagine facilement que le gouvernement serait tenté par un essai, consistant à placer l’agriculture sous la tutelle de la Transition écologique. En d’autres termes, son ministre en exercice deviendrait Elisabeth Borne, sans qu’elle n’ait besoin d’ajouter le mot « agriculture » à son intitulé. Cette solution, qui va dans le sens du rapprochement des conseillers à l’Élysée, pourrait ainsi être testée jusqu’au remaniement de l’après-municipales. Et si jamais, d’un point de vue gouvernemental, ça fonctionne, alors on continuera…
Signalons que, dans cette période de quelques semaines jusqu’aux municipales, il y a celle (de semaine) du Salon de l’agriculture. Pour le coup, le test d’un ministère de l’Agriculture sans ministre sous la tutelle d’un autre pendant ces neuf jours en particulier aurait une valeur certaine : passer ce cap sans heurts, sans trop de manifestations, à la faveur d’une communication soignée au centre de laquelle on imagine une forte présence d’Elisabeth Borne, serait le signe incontestable que ce schéma pourrait être reconduit sur du plus long terme.
A l’arrivée, cela ressemble tout de même aussi à la fin du ministère de l’Agriculture tel qu’on le connait aujourd’hui. Certes, et cet article en a cités, il y a eu des dysfonctionnements. Mais enlever officiellement l’agriculture de la composition d’un gouvernement, cela n’a pas existé depuis 1836, date de création du premier ministère sous Louis-Philippe 1er. Nous entrons décidément dans un nouveau monde, sera-t-il vraiment meilleur ?
L’article ci-dessus a été mis en ligne le mercredi 29 janvier en matinée. Le même jour, quelques heures plus tard, on apprenait qu’en définitive aucun des deux ministres pressentis à Biarritz ne validerait sa candidature. Didier Guillaume reste donc ministre de l’Agriculture… La suite au prochain épisode.
Ci-dessous, la plage de Biarritz, un enjeu agricole indéniable.
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je reste optimiste, beaucoup de chose sont en train de changer , on découvre les dégâts de l’écologie vue par des citadins déconnectés de la Terre !
le bon sens agricole revient et c’est le ministère de l’agriculture qui va absorber le ministère de la transition écologique !