Les Etats-Unis se félicitent d’un accord passé avec le président de la Commission européenne, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, selon lequel ils pourront vendre à l’Europe le soja jadis dévolu à la Chine. Mais où se trouve l’intérêt européen dans l’affaire ? Que signifie cette importation pour les agriculteurs européens ?
Pour l’instant, l’information reste incomplète : on ne connait pas les quantités en jeu, ni les monnaies d’échange. Pour autant, ceux qui ont suivi ce que devait être le Tafta (accord de libre échange entre l’Europe et les Etats-Unis) avant d’être abandonné doivent se souvenir que le secteur automobile européen était censé être avantagé dans ce cas… Au contraire de son agriculture, et par prolongement du secteur alimentaire dévolu aux citoyens européens.
On peut toutefois affirmer qu’il est question de quantités importantes tout de même, puisqu’il s’agit pour Donald Trump de redonner à ses farmers des marchés à l’export équivalents à ceux qu’ils ont perdu dans la guerre commerciale menée face à la Chine. Il y aura donc, de fait, des conséquences à l’intérieur de l’Europe.
La première d’entre elles est d’éloigner encore davantage un plan protéines à l’échelle européenne pour combler le retard de l’Europe, obligée aujourd’hui d’importer 78,6 % du soja qu’elle consomme, selon un communiqué du syndicat Coordination rurale. Ce déficit, il aurait été opportun de penser à la combler, avec un véritable plan de production à l’échelle européenne. Clairement, avec une nouvelle source d’importation auprès du premier producteur mondial (2,5 tonnes produites par seconde, soit 88,6 millions de tonnes par an), on n’en prend pas le chemin, au contraire…
Autre conséquence, sur notre alimentation, à nous, consommateurs européens. Le citoyen européen préfère aujourd’hui majoritairement une nourriture exempte (ou presque) de pesticides et ne voit pas les OGM d’un bon oeil. De fait, au fil du temps et des règlements renouvelés, les agriculteurs territoriaux ont dû s’adapter à cette demande, refuser de produire des OGM (à quelques exceptions près, en Espagne, Autriche…), et suivent des astreintes de plus en plus compliquées et peu financées en retour sur leur utilisation de phytosanitaires. Evidemment, les farmers américains sont très éloignés de ces contingences ! Ce qui signifie que l’on va importer massivement de la nourriture pour nos animaux qui ne bénéficiera pas des mêmes soucis dans la traçabilité que celle produite sur place…
Au passage, pour que nos agriculteurs s’y retrouvent, on imagine aisément que le tarif de cette nourriture destinée aux animaux sera, lui, alléchant. D’où une incitation à un élevage industrialisé en Europe, qui ne correspond pourtant pas à la multiplicité de nos modèles internes. En termes de gestion d’entreprise agricole, nourrir son élevage avec du soja américain sera (probablement) avantageux. D’où de multiples questions : ne vaudrait-il pas mieux produire soi-même son soja selon nos propres critères, quitte à financer un plan dans ce sens ? Les règles dites environnementales demandant à nos agriculteurs de produire plus vert que vert ne sont-elles finalement pas conclues pour augmenter l’export, c’est-à-dire pour réduire notre production agricole ? Ou encore, cherche-t-on réellement à arrêter le modèle familial (qui persiste en France sur une grande partie de son territoire mais avec de plus en plus de difficultés, mais également dans plusieurs autres pays européens) en agriculture en favorisant l’industrialisation ?
Aujourd’hui, la nouvelle de l’arrivée de contingents importants de soja américain sur le sol européen entraine davantage de peurs que d’engouement. En attendant tout de même, avant d’émettre un jugement définitif, d’en savoir plus sur la mise en pratique de l’accord.
L’illustration ci-dessous (dollars américains et graines de soja) est issue de Fotolia. Lien direct : https://fr.fotolia.com/id/90738446.