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Quand le reblochon donne dans le racisme laitier

Les races simmental et brune des Alpes viennent d’être exclues des vaches autorisées à verser leur lait pour la fabrication du reblochon. Les éleveurs concernés sont peu nombreux mais, pour eux, c’est la catastrophe.

Rififi dans les alpages. Derrière les magnifiques paysages garnis de troupeaux se cache une histoire pas jolie jolie… Le reblochon, vous connaissez tous, ce fromage onctueux sent bon ce terroir savoyard, en fait partie intégrante. Derrière lui, on imagine les vaches gambadant gentiment à flanc de montagne, leur cloche pendue au cou, et prêtes à donner leur lait si pur.

Pourtant, ce qui vient de se passer ressemble au pire à un règlement de comptes, au mieux à un laisser-faire administratif pour le moins coupable.

Le reblochon, c’est bien entendu une AOC, appellation d’origine contrôlée. Il obéit donc à un cahier des charges. Celui-ci prend bien sûr en considération l’attachement géographique, soit en l’occurrence le choix des races de vaches autorisées à fournir leur lait pour la confection du fromage. Il semble ainsi logique que les prim’holstein, vaches typiques de la plaine, soient exclues depuis toujours de cette AOC. En revanche, deux races ancrées dans le terroir alpin, représentant quatre cheptels (quatre fermes si vous préférez), viennent d’être exclues sous le couvert de sombres prétextes administratifs : la brune des Alpes (un comble, elle porte l’appellation géographique dans son nom !) et la simmental. Ainsi, désormais, seules trois races sont considérées comme conformes pour le reblochon : l’abondance, la tarine (logique pour toutes les deux), et la montbéliarde (pourquoi pas, elle n’est pas originellement alpine mais d’un terroir proche dans sa configuration et sa géographie).

Des simmental dès 1938, l’AOC reblochon en 1958

Le cahier des charges du reblochon paru en 1958 comprenait ainsi cinq races, celles citées plus haut. Modifié en 1976, puis en 1986, il incluait toujours les mêmes. Et puis en 1996, premier bug. La simmental et la brune des Alpes sont oubliées, puis réintroduites sous la forme de « dérogations » : c’est de là que vient le problème actuel. A l’époque, l’effort n’a pas été fait de réécrire correctement le document… Et depuis ça n’a jamais été fait.

Pourtant, on ne peut pas écrire que les deux oubliées nuisent au terroir du reblochon. Frédéric Hug est éleveur de simmental en Haute-Savoie, sur le canton de Reignier. C’est son grand-père qui s’est installé sur le site en 1938. Et son lait a participé aux tout premiers reblochons, lorsque l’AOC a été officiellement reconnue en 1958. Autant dire que dans la famille, on est passionnés. Et y compris par la race. La mention « Hug » orne très souvent les médailles accordées lors des différents salons, en reconnaissance aux efforts des éleveurs pour améliorer sans cesse la simmental.

Les administratifs se retranchent derrière un choix européen, qu’ils ont pourtant eux-mêmes initié

Aujourd’hui, cette simmental est donc exclue. Selon la directrice du syndicat interprofessionnel du reblochon, Lucile Marton, qui ne nous a répondu que par un mail en « omettant » de nous donner les coordonnées de son président et de répondre à notre demande d’interview, c’est la faute à la Commission européenne. Elle cite une phrase, sans la sourcer, qui aurait donc selon elle été prononcée par un certain Monsieur Commission européenne responsable de tout et qui aurait donc dit que « la modification de la méthode d’obtention conformément à laquelle cinq exploitations possédant des vaches Simmental et Brune des Alpes seraient autorisées à fournir du lait pour la fabrication du «Reblochon»/«Reblochon de Savoie» pendant une période de cinq ans n’est pas justifiée.« 

La faute à Bruxelles… C’est évidemment une explication simpliste qui omet de préciser pourquoi il est question d’une période de cinq ans. Car cela sous-entend que des informations précises ont été données aux fonctionnaires européens, informations pourtant incomplètes car fondées sur l’ « oubli » des deux races de 1996, sans les rétablir. Quand l’Europe statue, c’est évidemment par rapport aux données qui lui sont fournies. En l’occurrence, il est clair qu’entre les responsables administratifs du syndicat du reblochon, ceux du ministère de l’Agriculture, et en bout de chaîne ceux de Bruxelles, certaines informations ont circulé, d’autres pas.

Il existe donc deux causes possibles à l’exclusion des simmental et autres brunes des Alpes : hypothèse 1 « active », elle a été souhaitée dès la source qui aurait omis volontairement de fournir les bons renseignements ; hypothèse 2 « passive », il n’a été répondu qu’à un questionnaire type reprenant les précédentes définitions de 1996 sans chercher à comprendre ce qu’elles impliquaient et sans le moindre discernement. Dans le premier cas, cela signifierait qu’il existe des intérêts à écarter quelques fermiers, dans le second que les administratifs chargés du dossier n’ont pas été suffisamment encadrés par les professionnels et qu’ils ont donc répondu « administrativement ».

Conséquences dramatiques

Mais à l’arrivée, les conséquences sont dramatiques. Reprenons le cas de Frédéric Hug, 34 ans, installé avec un associé, Alexandre Brantus. Il témoigne : « En 2011, j’ai fabriqué un nouveau bâtiment, il nous a coûté 700 000 €, remboursables en 15 ans. J’ai fondé mon plan d’investissement sur mon cheptel, de 180 simmental, qui produit 440 000 litres de lait. Avec l’appellation reblochon, nous vendons le lait à 480 € les 1000 litres. Si nous perdons cette appellation, nous pouvons nous retourner en partie vers de l’IGP tomme de Savoie, au prix de 400 € les 1000 litres. Vous voyez la différence : elle met toutes nos prévisions dans le rouge. Sans parler d’un autre risque, que l’appellation tomme ne puisse pas prendre tout notre lait, auquel cas, si vous vendons une partie en industriel, ce sera à 300 € les 1000 litres.« 

Surtout qu’en terme de qualité, avec les qualités d’éleveur transmises dans la famille, le lait venant de la ferme Hug mérite franchement autre chose que de finir dans l’industriel. La seule « solution » préconisée officiellement par le syndicat du reblochon aux éleveurs de brunes des Alpes et de simmental est de « changer de race ». Comprenez, de vendre leurs troupeaux, et d’acheter des montbéliardes, abondances, ou tarines. Mais cela réclame financièrement un investissement important (un tel « échange » se fait toujours à perte), et surtout ne prend pas en compte les passions des éleveurs pour leur propre élevage, amélioré par leurs soins au fil des générations de laitières.

La simmental n’est pas une race ancestrale du côté français des Alpes, on en trouve également en Suisse, et même au Canada, même s’il ne s’agit pas exactement de la même famille de simmental. Mais la montbéliarde non plus, d’ailleurs plus connue pour fournir le comté. Et surtout l’histoire de l’AOC reblochon s’est écrite avec ces troupeaux.

J’ai donc recherché les causes éventuelles qui auraient poussé à vouloir retirer simmental et brunes des Alpes. J’ai retrouvé un article intéressant du média savoyard La Voix des Allobroges (lien à la fin) datant de janvier 2012, et expliquant comment il avait été mis fin à une appellation « reblochon » de l’autre côté des Alpes, en Suisse. Comme il existe également des simmental en Suisse, j’ai imaginé qu’il pouvait y avoir un lien, que pour mettre fin à cette concurrence helvète sur l’appellation il fallait frapper en amont, dès la race. Je n’ai malheureusement, pour les raisons données plus haut, pas pu poser cette question au président du syndicat interprofessionnel du reblochon. Mais même s’il s’agissait d’une « raison », elle ne prendrait pas en compte l’antériorité historique de l’élevage Hug sur site.

Il est encore temps de rectifier le tir, il suffit d’un peu de bonne volonté à la base, qui remonte jusqu’à Bruxelles. Si elle ne devait pas se manifester, cela signifierait malheureusement que nous sommes dans la première hypothèse évoquée plus haut, celle d’intérêts qui ne pourraient que nuire à une appellation pourtant aujourd’hui synonyme d’un terroir recherché.

En savoir plus : http://www.lavoixdesallobroges.org/societe/466-les-reblochons-suisses-bientot-interdits (article de La Voix des Allobroges sur le reblochon suisse).

Alexandre Brantus et Frédéric Hug, deux éleveurs associés sur une ferme de 180 simmental.

Ce bâtiment tout neuf représente un investissement de 700 000 € remboursables en 15 ans (début en 2011). La perte du débouché « reblochon » entraînerait la faillite de la ferme.

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