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Quand le continent africain ne veut plus se passer du blé russe

En 2016, les pays maghrébins et d’Afrique subsaharienne ont découvert le blé russe. Ils en ont importé des millions de tonnes. Et comme ils ont apprécié ses qualités, ils ont renouvelé l’expérience cette année malgré le retour du blé français sur les marchés. Ce qui désespère les céréaliers engagés dans une opération de reconquête.

Le continent africain leur a échappé. Comme les exportateurs français de céréales n’avaient pas les moyens de l’approvisionner l’an passé, il a opté pour le blé russe. Et depuis que les pays maghrébins et subsahariens l’ont goûté, il n’est plus question de s’en passer.

Lors d’une conférence organisée par France Export Céréales, les experts marocains, sénégalais et camerounais invités ont expliqué les raisons de ce revirement.

Au Maroc, les boulangers et l’industrie de la minoterie se sont rendus compte qu’il était possible de fabriquer des baguettes avec du blé russe ! Selon Rachid Chamcham, de la Fédération nationale de la minoterie (Maroc), il peut même se substituer au blé améliorant importé du Canada pour produire les trois types de farine commercialisés (ménagère, boulangère et pâtissière), employés pour la fabrication de pain et de pâtisseries.

Le Cameroun et le Sénégal, eux aussi, ont apprécié le rapport qualité/prix du blé russe importé mais aussi celui en provenance du continent américain (argentin, canadien, étatsunien). Le blé russe répond très bien aux exigences requises pour fabriquer la farine employée pour élaborer des beignets.

Le point faible du blé russe, le plus souvent cité, est la consommation d’énergie nécessaire pour extraire la farine, ce qui renchérit fortement son coût de fabrication, compte tenu du prix de l’électricité. Sinon, le blé russe supplante les autres origines et quand un pays importateur y a goûté, il est difficile de le faire changer d’avis.

Toutefois, le Maroc n’a pas l’intention d’être dépendant de la Russie pour s’approvisionner en blé. L’Egypte n’est pas un exemple à suivre. Mêler sa sécurité alimentaire à des enjeux géopolitiques est très risqué. Le Gasc, l’organisme public égyptien, achète 80 % des volumes importés à la Russie.

Evidemment, les marchés ont besoin du blé français. Mais il faut réapprendre à le valoriser et à le vendre.

« Le lobbying est une discipline oubliée », déplore Pierre Duclos, trader à Lecureur SA, invité par France Export Céréales. Notre pays doit contribuer, à son échelle, à la sécurité alimentaire de la planète et à la stabilité sociopolitique des pays déficitaires.

En fait, « la France a des atouts mais elle les utilise mal », a ajouté Pierre Duclos. Celui-ci invite la filière à remettre en question certaines de ses habitudes comme par exemple, cesser le report des ventes en début de campagne et saisir les opportunités dès qu’elles se présentent. Les majorations mensuelles ne font pas le poids face à la volatilité des prix !

« Revoir la logistique et opter pour une logistique ‘’primaire’’ producteurs transformateurs pour réduire les coûts d’intermédiation de 10-15 € par tonne à 2- 5 € par tonne, est aussi une piste à suivre », défend encore Pierre Duclos. Développer le transport par péniche abaisserait de moitié les coûts d’acheminement.

Or les questions logistiques orientent fortement les décisions des pays importateurs de se porter sur tel pays plutôt que sur tel autre pour s’approvisionner. En Ukraine, le manque de rigueur des exportateurs dessert la commercialisation de leurs grains.

Cette année, les conditions météorologiques en Russie n’ont pas entravé l’acheminement de la récolte record de 87 millions de tonnes de blé vers les ports. C’est une chance que les traders et les autorités russes ont su saisir. Ils n’ont pas lésiné sur les moyens pour faciliter l’acheminement des céréales par voies navigables, par camions ou par train vers les quais de chargement.

Mais le retard d’investissement est criant. Sorti de l’exploitation, le coût de transport d’une tonne de céréales par voie ferroviaire oscille entre 25 et 55 dollars selon les distances à parcourir (jusqu’à 3 500 kilomètres). Par camions, il est compris entre 0,05 à 0,07 dollar par tonne et par kilomètre. Enfin les frais de stockage sont onéreux (12 dollars par tonne et par mois).

Toutefois le blé russe est très agressif sur les marchés malgré ces coûts logistiques. Car payé 120 $ la tonne, le prix payé converti en roubles, assure des revenus rémunérateurs aux producteurs, selon Gauthier Le Moel, directeur d’Agritel. Il leur permet aisément de faire face à leurs charges.

A l’avenir, la ligne de chemin de fer de la route de la soie sera probablement une nouvelle voie d’expédition du blé russe lorsque la Russie fera partie de la liste des pays expéditeurs de la Chine. Mais réduire la durée des trajets des convoyages en faisant passer les tankers par les mers arctiques n’est pas d’actualité.


Notre illustration ci-dessous montre un port céréalier et est issue de Fotolia. Lien direct :

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