Les comptes-rendus sur la passe d’armes politicienne entre les ministres de l’Agriculture Stéphane Travert et de la Transition écologique Nicolas Hulot mélangent volontiers plusieurs sujets différents, de même qu’informations réelles et idées reçues. Démêlage.
Prenons d’abord les faits de la matinée, repris par la presse entière. RMC fait état d’un document de travail interministériel selon lequel le gouvernement s’apprêterait à réautoriser les néonicotinoides et l’épandage aérien. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert, interviewé par Jean-Jacques Bourdin, a répondu se dire prêt à discuter de ses sujets (vidéo ci-dessous).
Immédiatement derrière, Nicolas Hulot a répondu par sur son compte Twitter :
@RMCinfo les interdictions de neonicotinoides & épandage aerien ne seront pas levées, les arbitrages ont été rendus en ce sens
— Nicolas Hulot (@N_Hulot) 26 juin 2017
Et voilà la polémique engagée ! Deux ministres qui s’opposent, sur fond de promesses électorales proférées lors de la campagne présidentielle, disant une chose et son contraire, selon l’auditoire. Les éditorialistes s’emparent du sujet politique (finalement, ne milieu de journée, on apprenait que Matignon donnait raison à Nicolas Hulot…). Mais beaucoup montrent une connaissance finalement assez faible sur le sujet. De quoi parle-t-on au juste ?
D’abord, l’épandage aérien, les néonicotinoides, les abeilles et les pesticides, le droit européen… Tout cela est bien souvent entremêlé confusément.
L’épandage aérien, par exemple, c’est un sujet à part entière, indépendant des autres. Il est (« était » devrais-je écrire) utilisé pour les grandes surfaces céréalières qui méritent un traitement rapide en raison d’un danger, la propagation d’une maladie par exemple. L’épandage aérien est ainsi 10 à 20 fois plus rapide que des applications par tracteurs. On lui reproche néanmoins un risque plus important de propagation des produits au-delà du champ, d’où son interdiction ces dernières années. Néanmoins, une demande de la profession agricole pour sa réintroduction existe effectivement, pour les cas exceptionnels de maladies réclamant une intervention urgente, et dans un cadre d’application quasi draconien (pas de vent, et autres nombreuses dispositions visant à éviter la propagation). Pour autant, à l’heure où cet article est écrit, l’épandage aérien est interdit en France et a vocation à la rester.
L’interdiction des néonicotinoides (il s’agit d’une famille de substances insecticides) en France date de la loi sur la biodiversité, adoptée en juillet 2016. Auparavant, il n’y avait eu des interdictions que pour des durées limitées. Dès la promulgation de la loi, des voix s’étaient élevées pour évoquer une différence majeure du droit français avec le droit européen. La France devenait ainsi l’unique pays européen à interdire les néonicotinoides. Et le cas n’est pas le même que pour les OGM, où globalement l’Europe autorise leurs cultures mais accepte des moratoires nationaux. Là, les droits nationaux des pays-membres sont dans l’obligation de tenir compte du droit européen. D’où l’intervention du ministre de l’Agriculture pour une mise en conformité de la France par rapport au droit européen.
La course aux rendements est souvent décriée par nombre de détracteurs. Si elle reste obligatoire, ce n’est pas obligatoirement à cause de notre « système », mais tout simplement parce que notre pays n’est pas le seul sur le marché. Eugénia Pommaret, directrice générale de l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes), précise ainsi à WikiAgri que « la levée de l’interdiction des néonicotinoides correspond à une de nos demandes« , car « la France est l’unique pays européen à les interdire, tous les autres les utilisent« , avec donc à l’arrivée une distorsion de concurrence flagrante en termes de rendements à l’hectare avec nos voisins, amis et néanmoins concurrents.
Pour donner des éléments chiffrés, au moment où Stéphane Le Foll, précédent ministre de l’Agriculture, avait interdit le Cruiser (produit de Syngenta contenant des néonicotinoides) sur colza, Syngenta avait calculé le manque à gagner pour la filière colza française à 100 millions d’euros (pertes de productions par quintaux, mais aussi valorisations, semences…).
Précision : aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative aux néonicotinoides, même si des recherches ont été entamées pour en trouver.
Tous les produits visant à protéger les plantes et à assurer leur croissance font l’objet d’AMM (autorisations de mises sur le marché), sur le même modèle que les produits pharmaceutiques ou médicaux par exemple. Et de la même manière, avant d’être mis en vente et en usage, il subit toute une série de tests et doit obtenir différents agréments, au niveau des Etats-membres, mais aussi de l’Union européenne. Créer le produit peut prendre un an, obtenir l’autorisation de le mettre en vente (donc cette fameuse AMM) durera trois ans, parfois davantage. Il en est ainsi de tous les pesticides, engrais, et donc en particulier des néonicotinoides.
Angélique Delahaye, député européen et agricultrice, qui siège à la commission « agriculture » au Parlement européen, a suivi particulièrement le sujet des molécules, qui fait l’objet de multiples débats. Elle précise : « Il faut savoir que, en Europe, les AMM pour les produits phytosanitaires sont bien plus drastiques que pour les médicaments. Ce qui est sans doute très bien pour notre santé, mais pas sans conséquences économiques. Les agriculteurs européens sont en distorsion de concurrence avec leurs homologues du monde entier, et donc désormais, les agriculteurs français avec les eutres européens. Il faut savoir trouver la juste mesure…«
En France, l’Anses (l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a évalué les néonicotinoides. En estimant qu’il fallait renforcer la sécurité quant aux conditions d’utilisation des produits en contenant. Mais sans pour autant conseiller l’interdiction.
Pour reprendre la comparaison plus haut, il en est de même pour les produits issus de l’industrie chimique que pour les médicaments : ils doivent être utilisés à bon escient, et en tenant compte de précautions d’usage. Le danger le plus grand vient de mauvaises applications de la notice… Ce qui n’empêche pas l’utilité du produit pour ce pour quoi il a été conçu.
La disparition des abeilles est imputée très souvent aux seuls pesticides. Dans l’actualité du jour, Libération (pour citer un exemple) titre « Couac gouvernemental au sujet des pesticides tueurs d’abeilles« . Le raccourci est devenu « évident »… Alors qu’il ne s’agit que d’une idée reçue, pas d’une réalité prouvée scientifiquement ! Tous les spécialistes de la question s’entendent sur le fait que la surmortalité des abeilles est d’origine multifactorielle. Comprenez par là qu’il n’y a une cause et une seule, mais plusieurs. Oui, l’usage des pesticides « n’importe comment » est l’une de ces causes. Mais il y a aussi l’évolution du climat, ou encore le varroa (une maladie), ou encore la loque américaine (une bactérie), ou encore le nosema (un champignon), ou encore les mauvaises pratiques apicoles (qui dépendent donc des apiculteurs), sans parler de produits chimiques… utilisés par certains apiculteurs pour lutter contre le varroa. Ou encore de l’arrivée du frelon asiatique, « concurrent » de l’abeille importé par bateau…
J’avais personnellement interviewé un chercheur belge dédié à la problématique « abeilles » en 2013. Bach Kim Nguyen (c’est son nom) me disait alors qu’il craignait l’arrêt des recherches sur les autres facteurs de mortalité des abeilles à partir du moment où seuls les pesticides étaient incriminés. En d’autres termes, il ne s’agit pas de dédouaner l’importance des pesticides, mais en la surévaluant, on risque de ne jamais permettre aux chercheurs d’avoir les moyens de déterminer l’ensemble des causes réelles.
Plus récemment, en 2015, Fayçal Meziani, référent expert national apiculture à la DGAL (direction générale de l’alimentation, qui dépend du ministère de l’Agriculture) a rédigé un rapport sur la mortalité des abeilles, issue de la surveillance officielle effectuée en France. Y sont recherchées les causes de mortalité. Ce rapport officiel, tout à fait indépendant, fait état des causes multiples. On y trouve notamment ce schéma sur les « agents pathogènes », qui font partie des responsables, eux aussi !
Pour autant, il est apparu que certaines pratiques agricoles favorisait la protection des abeilles, et les agriculteurs s’y sont soumis, peut-être au départ avec difficulté, mais finalement de bonne grâce. Certaines d’entre elles réclament de réels efforts en effet. Il s’agit notamment de pulvériser aux moments où les abeilles sont le moins dans les airs, c’est-à-dire… Pas en plein jour ! Soit au petit matin, soit tard le soir. Ou carrément la nuit, au risque, comme c’est arrivé parfois, de recevoir des injonctions pour « tapage nocturne » !
Le Premier ministre Edouard Philippe a donc finalement tranché en faveur de Nicolas Hulot, et finalement le contraire eut été étonnant. Mais derrière la question des néonicotinoides, bien d’autres restent en suspens aujourd’hui : la France va-t-elle porter un projet d’interdiction des néonicotinoides sur l’Europe entière pour faire cesser la distorsion de concurrence (ou tout simplement pour des raisons environnementales, puisque c’est la raison invoquée) ? Et sur quoi vont reposer ses arguments ? Comment va–t-elle prendre en compte les causes multifactorielles de la disparition des abeilles ? Et plus généralement, comment travailler en posant les sujets tranquillement et en sous-pensant le pour et le contre des mesures, sans se soumettre en quelques heures à une opinion populaire qui mérite d’être informée avant d’être suivie ?
En savoir plus : https://www.anses.fr/fr/content/evaluation-des-n%C3%A9onicotino%C3%AFdes (évaluation des néonicotinoides faite par l’Anses) ; https://wikiagri.fr/articles/les-neonicotinoides-parlons-en-!/8642 (vidéo qui date d’avril 2016 réalisé par un agriculteur, expliquant ses usages des néonicotinoides) ; https://wikiagri.fr/articles/la-semaine-europeenne-de-labeille-et-de-la-pollinisation-recherche-lobjectivite-scientifique/587 (opinion d’un chercheur belge sur l’orientation des recherches sur la surmortalité des abeilles) ; https://www.anses.fr/fr/system/files/RSC-Co-141209Meziani.pdf (principaux points de l’étude réalisée sur la mortalité des abeilles en France par la DGAL en 2015).
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Merci pour ce tour d’horizon du problème « néonicotinoïdes et abeilles ». Il est effarant de voir comment la presse nationale comme la PQR caricature le sujet et nous-mêmes, agriculteurs, sommes souvent désemparés par la violence des attaques !