L’éternel débat de la répartition des marges… Qui vient en contradiction de l’argument de l’indexation des prix sur les cours mondiaux. L’exemple de la filière porcine est édifiant. Les cours mondiaux sont à la hausse, ce qui devrait être une bonne nouvelle pour les éleveurs… Sauf que s’ils augmentent leurs prix en fonction de ces cours, ils mettent en danger l’échelon suivant de la filière, les entreprises de charcuterie, qui elles ne peuvent reporter de hausse auprès des grandes surfaces ! Un système qui marche sur la tête, en particulier celle du paysan.
Lorsque les cours mondiaux baissent, les prix payés aux producteurs suivent le même chemin, « logiquement » dit-on, puisque nous sommes sur un marché mondialisé. Oui mais voilà, quand l’inverse se produit, pas question de répercuter les hausses, qui seraient destructrices des filières en aval !
L’exemple actuel de la filière porcine est édifiant, probablement déclinable à d’autres secteurs agricoles. J’ai reçu ainsi hier un communiqué de presse de la FICT, Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformeurs de viande. Il y est mentionné que « les entreprises de charcuterie sont confrontées à une situation économique inédite liée à une explosion de la demande mondiale en carcasses et découpes de porc« . En précisant : « Du fait de la pandémie de fièvre porcine africaine qui affecte particulièrement des pays d’Asie très gros consommateurs et producteurs de porcs (dont la Chine qui produit 50 % des porcs dans le monde), le cours du porc est en train de s’envoler en France comme dans le monde entier : il a augmenté de 19 % entre le début du mois de mars et aujourd’hui. Si ce contexte va heureusement permettre aux éleveurs de retrouver des marges, l’impact de cette hausse brutale sur les comptes des transformateurs,et notamment des PME, représente un grand danger pour leur survie économique.«
En d’autres termes, les charcutiers expliquent qu’ils sont mis en danger par la hausse du cours du porc. En effet, ils vont devoir acheter plus cher la matière première, et ne pourront pas répercuter cette hausse à leur sortie, c’est-à-dire auprès des grandes surfaces, puisque les négociations commerciales à l’année viennent de s’achever, et « sur la base de prix de découpe de porc historiquement bas« . Le communiqué des professionnels de charcuterie exprime encore leur pires craintes pour « l’avenir des entreprises [de charcuterie] et leurs 37 000 emplois directs« . Le président de la FICT, Bernard Valat, est cité pour conclure le communiqué ainsi : « Ni les éleveurs, ni les distributeurs, ni les consommateurs n’ont intérêt à voir s’affaiblir voire disparaître les entreprises de charcuterie, maillon essentiel de la filière porcine française puisqu’elles transforment plus de 70 % de la production nationale.«
Cet exemple est symptomatique de l’engrenage où sont plongés les éleveurs : les cours mondiaux baissent, leurs pris baissent aussitôt ; les cours mondiaux remontent, on leur demande implicitement de ne plus être indexés à eux, au nom de la survie de la filière dans son ensemble, comprenant l’aval. Et finalement, peu importe leur survie à eux, peu importe qu’ils entrevoient la possibilité de se remettre à flot après des années de prix bas… Car la loi protège les grandes surfaces de toute hausse des cours, du fait de la datation des négociations commerciales, et de l’impossibilité de revenir dessus, alors que les contextes sont de plus en plus changeants (la preuve). Donc, non, rien n’a changé (loi Egalim ou pas), le prix n’est pas construit en partant du producteur, puisqu’il est bloqué à l’entrée de la grande surface. Et si le producteur fait effectivement jouer son droit à un prix qui suive les cours mondiaux, il devient le responsable d’une autre crise, que le secteur transformateur dit ne pas pouvoir assumer… ce qui signifierait la fin de cet ensemble déjà fragile.
Et on revient à ce scénario déjà trop vu à trois protagonistes, grandes surfaces, transformateurs (la FICT représente tant des industriels que des entités plus petites), producteurs, où de toutes façons, quoi que l’on fasse, les grands pôles concentrés ne perdront pas.
Et puis parlons prix, et repositionnons-les sur une échelle des valeurs. Le kilo de carcasse payé près de 1,15 € à l’éleveur, cela signifie que le producteur doit en vendre un kilo pour boire un café au comptoir (en province), et trois s’il veut s’asseoir. Une vingtaine de pourcents d’augmentation là-dessus, à raison de près de 90 à 100 kilos par carcasse, cela fait une augmentation de l’ordre de 20 € par cochon. A combien est vendue la tranche de rillettes de 150 grammes sur un étal de grande surface ? Le consommateur verrait-il vraiment la différence si cette augmentation de la matière première était répercutée d’amont en aval ? Le problème n’est évidemment pas là. Ce n’est plus le coût de la matière première qui influence le prix en rayons, mais celui de la transformation, du transport, de la marge de la grande surface… Bref, la sémantique annonçant une inversion des prix à partir du coût producteur était magnifiquement trouvée en termes de communication, puisque répondant à la théorie… Les pratiques, elles, n’ont pas changé.
Aujourd’hui, notre système alimentaire ne fonctionne que si les prix agricoles sont maintenus au plus bas. Il est bâti sur un château de cartes, aux fondations toujours plus fragiles… Combien de temps va-t-il encore tenir ?
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