val rie ryo

« Mon mari, éleveur, a fait un burn out »

Le burn out, ou épuisement professionnel, est cette maladie qui s’empare de celles ou ceux qui sont soumis à une trop forte charge de travail. Les premiers visés sont ces cadres dont l’activité tourne au surmenage. Chez les agriculteurs aussi, ce syndrome existe. Voici le témoignage de Valérie Ryo, dont le mari, éleveur laitier, se remet tout juste et lentement d’un burn out.

On savait que le mal existait aussi chez les agriculteurs. Mais les témoignages restent rares. Le burn out est souvent apparenté à une dépression, sans en être vraiment une. Une maladie grave. Pour les symptômes généraux, je vous renvoie à l’article de Eddy Fougier sur le sujet (lien à la fin de celui-ci). Aujourd’hui, il est temps d’écouter Valérie Ryo. Selon elle, « pour l’avoir vécu à côté de mon mari, c’est un mélange entre une grosse fatigue profonde où la personne se désinvestit de son activité, et le sentiment d’un profond échec« .

« Il y a 20 ans, nous avions 40 vaches. Mais il fallait produire plus, nous avons doublé le cheptel. » En 1993 en effet, Christophe Ryo s’est installé en Bretagne, pas très loin de Redon. Avec 40 vaches normandes pour produire le lait, lui et sa famille vivaient correctement. Seulement, au fil des années, les temps changent. Il faut plus. « En gros, nous avons ajouté 40 prim’holstein à nos normandes, pour produire plus de lait car notre nous avons triplé notre quota en 20 ans« , résume Valérie Ryo. « Avec une centaine d’hectares à s’occuper. Mon mari a pris trop à coeur son travail, il faisait toujours plus, étant très perfectionniste. » Ce « produire plus » n’était pourtant pas pour eux une vocation, mais, reprend notre interlocutrice, « la condition pour répondre aux investissements réclamés par les mises aux normes, toujours plus de normes, donc toujours plus d’investissements à payer, donc produire plus« . Le tout, pour un revenu à l’arrivée pas plus confortable pour autant, au contraire : « Moi, je devais travailler à côté, en gardant un pied sur l’exploitation pour l’aider…« 

« Le burn out est méconnu en agriculture »

Christophe Ryo a donc craqué. Il est arrivé un jour où il a tout rejeté en bloc, où il n’a plus pu se lever tôt le matin et se coucher tard le soir sans reconnaissance, sachant que le lendemain il devrait travailler plus que la veille. Un engrenage sans fin… Ou plutôt si, il y a eu une fin, ce fameux burn out, syndrome d’épuisement professionnel. « Il arrivait à saturation, perdu par rapport au sens de sa vie au travail, qui avaient évolué malgré lui en 20 ans, avec de grandes différfences par rapport à ses motivations au moment de l’installation… Le travail a envahi sa vie et il a oublié de vivre, tout simplement…« 

« Il était à bout, reprend Valérie Ryo. La pensée du suicide l’a tenaillé plusieurs fois. Le burn out a été l’élément déclencheur de notre volonté d’arrêter cette spirale infernale. Mais ce burn out est méconnu en agriculture. Le fait que mon mari tombe malade n’a pas suffi. Il fallait que l’on vende la ferme au plus vite, sinon il aurait pu commettre l’irréparable, il n’en a pas été si loin. Nous avions des repreneurs potentiels, mais on nous a mis des bâtons dans les roues, des projets en vogue du point de vue environnemental proposaient de ne reprendre qu’une partie de l’exploitation, et c’est vers eux que les décisions allaient, alors que pour nous il fallait absolument céder l’ensemble de l’exploitation, et au plus vite, un cas de force majeure. J’ai dû me battre, au nom de mon mari, de notre famille, auprès des instances, des politiques… Ça a trainé plus d’un an. C’est très long, vous savez, avec un mari au bout du rouleau, qui devait absolument changer d’univers pour reprendre goût à la vie…« 

Aujourd’hui, heureusement, la ferme est vendue, l’équilibre revient doucement dans la famille Ryo. « Mon mari a utilisé toute l’énergie qui lui restait pour renaitre aujourdhui de ses cendres… Gràce à l’amour de sa famille. Nous avons deux enfants, de 18 et 23 ans. Mon mari a accompagné récemment le plus jeune au lycée. C’était la première fois qu’il faisait ça. Il a fallu qu’il attende la dernière année de lycée, avant il n’avait pas le temps…« 

Pour autant, il reste un autre travail à entreprendre, celui de la reconstruction. « Mon mari ressent un sentiment d’échec. Il éprouve une très forte culpabilité de ne pas y être arrivé…« 

C’est donc par la cellule familiale que cette reconstruction s’opère. « Ne me parlez pas de solidarité rurale, quand nous devions vendre au plus vite, nos interlocuteurs se moquaient des conséquences pour nous, et voulaient découper l’exploitation en plusieurs morceaux…« 

« Pour la reconnaissance comme maladie professionnelle »

Courageuse, en quête de reconnaissance elle aussi, Valérie Ryo s’est donc rendue à cette journée du 11 octobre en faveur des famille de suicidés en agriculture déjà évoquée par ailleurs (liens en fin d’article). « C’est la première fois qu’on parle de nous, on en a tant besoin…« 

Et elle conclut : « Si je témoigne aujourd’hui, c’est pour deux raisons. D’abord pour militer pour la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en France, ni pour les autres métiers, ni pour les agriculteurs par la Msa. Alors qu’il s’agit d’une maladie réelle. Ensuite pour dire à d’autres qui vivent quelque chose de semblable : voyez, vous n’êtes pas tout seuls, ça arrive à d’autres, on peut s’en sortir. Il faut du courage, une famille unie, mais on peut s’en sortir…« 

 

En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/lacces-a-la-technologie-pour-combattre-le-burn-out-des-agriculteurs/1035 (article de Eddy Fougier sur le burn out en agriculture) ; https://wikiagri.fr/articles/suicides-en-agriculture-la-conscience-merite-plus-quune-journee/6235 (Valérie Ryo a été rencontrée lors de la journée en faveur des familles en agriculture, dont voici le résumé) ; https://wikiagri.fr/articles/javais-deja-choisi-la-poutre-la-plus-solide/6248 (autre témoignage pour une autre forme de dépression d’un éleveur, conduisant – presque – au suicide).

 

Ci-dessous, Valérie Ryo, seule, puis avec sa fille, en train de discuter avec Jacques Jeffredo lors de la journée du 11 octobre que ce dernier organisait avec l’évêché de Vannes en faveur des familles de suicidés en agriculture.

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