On sait le secteur avicole français particulièrement altéré par la crise, notamment en raison de la concurrence des importations des pays tiers. Une étude très intéressante de l’organisme suédois Swedwatch démontre aujourd’hui que les conditions de vie des ouvriers du poulet en Thaïlande ne sont pas compatibles avec les droits de l’homme. Et c’est cette main-d’oeuvre exploitée qui est à l’origine de la distorsion de concurrence.
Il a beaucoup été question du coût du travail en cette année 2015. Nous ne sommes pas suffisamment compétitifs en France (c’est un fait), mais pour autant, nous pourrions aussi nous prémunir davantage face aux concurrences venant de pays ne respectant aucun droit du travail, et il est même question en l’occurrence de droit de l’homme.
Swedwatch se présente sur son site internet comme « une association de veille sur la responsabilité sociétale des entreprises suédoises dans les pays en développement« . Cette association a pris ainsi l’habitude de dénoncer, par ses études et autres enquêtes, les comportements inadmissibles dans les pays, auxquels participent les entreprises suédoises.
Tout récemment, ce 25 novembre, elle a publié un rapport de 72 pages intitulé « Trapped in the kitchen of the world » (littéralement, « pris au piège de la cuisine du monde »). « Kitchen of the world » (devenir la « cuisine du monde »), explique le rapport dans son introduction, c’est l’objectif affiché par la Thaïlande en intensifiant sa production de poulets, la seule viande connaissant une croissance mondiale réelle ces dernières années. En 2014, 270 000 tonnes de produits de viande de volaille ont été expédiés en Europe par la Thaïlande. Au passage, pour expliquer l’intérêt particulier de cette association, la Suède est particulièrement intéressée puisque la Thaïlande est son deuxième plus grand fournisseur de volailles de peu derrière le Danemark.
Or, dans les usines de conditionnement de volailles thaïlandaises, la main-d’oeuvre vient des pays voisins : Cambodge, Laos, Birmanie… Le rapport est le résultat de l’interview de 98 ouvriers cambodgiens ou birmans travaillant dans 6 usines de poulets an Thaïlande. 98, cela ferait peu pour un sondage, mais quand il s’agit de témoignages corroborés les uns par les autres, c’est l’inverse, c’est accablant !
Les 98 ouvriers interviewés témoignent avoir observé, entre autres :
> le travail d’enfants de moins de 15 ans dans 3 des 6 usines (ce qui est interdit par la loi thaïlandaise elle-même) ;
> les passeports, papiers d’identité ou permis de travail des salariés sont confisqués par les employeurs (de manière à ne pas leur laisser d’alternatives) ;
> des assurances maladies sont déduites des salaires, mais aucune assurance réelle n’est contractée…
Et cela va largement au-delà puisque l’association estime : « La situation ressemble aux rapports alarmants de l’industrie de la pêche thaïlandaise où les équipages sont traités comme des esclaves » (Eddy Fougier l’avait constaté dans nos colonnes, lien en fin d’article).
Le rapport inclut également des interviews de 6 des plus grands importateurs de viande de volaille en Europe (dont Findus, entreprise suédoise à l’origine, actuellement gérée par des fonds britanniques, mais bien connue en France entre autres par son usine à Boulogne-sur-Mer, et qui avait déjà fait parler d’elle au moment du Horsegate). Ces interviews révèlent « un manque d’analyse et de compréhension des violations et des abus auxquels les travailleurs migrants sont soumis« . En d’autres termes, peu importe le respect des droits du travail et des droits de l’homme sur les sites de productions du moment que l’on obtient des produits moins chers dont on pourra inonder l’Europe ensuite.
Swedwatch insiste, et à raison, sur cette responsabilité partagée. D’abord au niveau des usines de productions, également des autorités thaïlandaises qui ferment les yeux, et enfin des entreprises européennes qui elles aussi ne voient aucun problème à recueillir ainsi une matière première dont le seul intérêt vient d’une main-d’oeuvre exploitée qui la rend moins chère.
L’association suédoise a donc fait son job avec ces dénonciations multiples et avérées. Mais pour nous, en France, il faut aller plus loin. Et dénoncer des pratiques qui, par ricochet, sont directement à l’origine de la crise connue depuis des années par les entreprises avicoles françaises, en commençant par la production ! Car Swedwatch démontre par l’enquête ce que revendiquent depuis longtemps les producteurs de volailles en France (le plus souvent par l’intermédiaire de leurs syndicats), à savoir une concurrence juste. Le rapport suédois explique ni plus ni moins comment on en est arrivé à avoir des produits beaucoup moins chers avec des sites de productions lointains, et qui restent toujours bien moins chers malgré les coûts de transport.
Notre patrie des droits de l’homme, rassemblée encore récemment autour du drapeau français et de ses symboles en réaction aux attaques récentes, se doit, aussi, de réagir aux atteintes aux droits de l’homme en d’autres lieux de la planète, tout simplement par notre consommation : notre course au « toujours moins cher » est directement responsable de l’atteinte aux droits de l’homme en Thaïlande, ainsi qu’à la faillite de nos propres producteurs avicoles.
A rméditer !
En savoir plus : http://www.swedwatch.org/sites/default/files/tmp/76_thaikyckling_151123_ab.pdf (le rapport complet de l’association Swedwatch) ; http://www.swedwatch.org/en/reports/trapped-kitchen-world (l’article source, émanant de l’association Swedwatch, en anglais) ; http://www.swedwatch.org/en/about/fr (en français, ce qu’est l’association Swedwatch) ; https://wikiagri.fr/articles/crevettes-le-scandale-du-recours-aux-esclaves/1175 (article de Eddy Fougier sur un autre secteur aux pratiques plus que douteuses en Thaïlande, la pêche).
Ci-dessous, l’image de Une du rapport de l’association suédoise Swedwatch.
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http://www.coordinationrurale.fr/du-poulet-bresilien-dans-les-plats-bretons.html