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Lubrizol, qui va payer l’ardoise pour l’agriculture polluée ?

En attendant le temps judiciaire nécessaire pour établir les responsabilités avec le nuage de pollution échappé de l’usine Lubrizol à Rouen, qui va payer l’ardoise, qui s’annonce importante, pour l’agriculture française ?

La question est restée en suspens quelques jours : jusqu’où et à qui précisément appliquer le principe de précaution après le nuage de pollution venu de l’usine Lubrizol à Rouen ? Pour l’agriculture française, fallait-il arrêter toute production seulement dans des zones ciblées ou pour des filières de plein air directement exposées ? Ou de Rouen jusqu’à la frontière belge, soit sur près d’un quart du territoire national, et pour l’ensemble des filières ? Finalement, l’agriculture fut épargnée d’une telle application très stricte du principe de précaution… Pour autant, pour les zones touchées officiellement, la question du dédommagement reste entière.

Si le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume a déclaré, et à plusieurs reprises, que les agriculteurs victimes du nuage venu de l’usine Lubrizol seraient indemnisés, la question va bien au-delà. Au-delà de la volonté affichée par le gouvernement : l’entreprise polluante paiera. Parce qu’en l’occurrence, même si l’on pourrait considérer comme « juste » que le pollueur soit le payeur, on sait (des quantités d’exemples existent) que ça ne passe pas comme ça « in real life ». Car les enjeux financiers sont monumentaux. Et qu’au-delà du fait que l’usine Lubrizol fait partie de la holding Berkshire Hathaway, du milliardaire américain Warren Buffett (donc avec des moyens pour payer, mais aussi pour défendre ses intérêts), l’exacte responsabilité doit être déterminée. Ce sera le rôle de la justice, ce qui prendra du temps, beaucoup de temps, a fortiori avec les recours judiciaires qui ne manqueront pas de suivre la première instance.

En d’autres termes, même si la responsabilité de l’usine Lubrizol finit par être établie, cela ne peut pas avoir lieu avant plusieurs années.

Alors que les problèmes posés par cette pollution sont immédiats.

Le communiqué officiel « transparence Rouen » sur l’agriculture

Selon le site « transparence Rouen » mis en place par le gouvernement, la production agricole est officiellement touchée ainsi : « Par principe de précaution, dans l’attente des résultats d’analyses définitifs par l’ANSES (notamment sur la présence éventuelle de dioxines dans les retombées du panache), les préfets du Nord, de l’Oise, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l’Aisne et de la Seine-Maritime ont retiré de la vente les productions végétales et animales exposées au panache pour protéger les consommateurs et pour vérifications sanitaires de façon à apprécier les risques. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Didier Guillaume, a indiqué que les agriculteurs concernés seraient indemnisés. Une première série de prélèvements a été réalisée sur 77 exploitations sentinelles dans les 5 départements. A ce jour (Ndlr : la parution date du 11 octobre 2019), 415 prélèvements ont été réalisés, sur les différentes productions (lait, œufs, miel, poissons, végétaux). L’Anses, saisie par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, a confirmé dans son avis du 4 octobre la pertinence de la liste de substances recherchées en urgence par les services de l’Etat : dioxines et furanes, PCB, HAP et les élément-traces métalliques (plomb, cadmium, mercure). L’Anses a également recommandé en complément d’élargir les recherches à d’autres substances sur les produits alimentaires, en lien direct avec l’incendie (zinc, retardateurs de flamme phtalates). Les résultats d’analyses de l’ensemble des prélèvements réalisés du 28 septembre au 11 octobre donneront lieu à une évaluation de la situation sanitaire par l’Anses au plus tard le 14 octobre. Tout ou partie des mesures de gestion pourraient être levées si l’évaluation est favorable.« 

Ce qui n’est pas dit dans ce communiqué officiel, c’est comment les producteurs agricoles seront indemnisés, ou en d’autres termes si les moyens de ces indemnisations seront dégagés immédiatement, compte-tenu du fait, encore une fois, que le pollueur, s’il paye un jour, ne le fera pas avant longtemps. Il s’agit donc de trouver une solution pour dégager des sommes que l’Etat pourra espérer récupérer… plus tard.

Les limites de l’idée consistant à utiliser le fonds agricole

La question est cruciale, car sans réelle solution, les fermes impactées vont très vite se retrouver proches de la faillite. Nombreux sont les éleveurs ou cultivateurs pris sous l’influence du nuage de pollution qui se retrouvent en réelle difficulté.

D’après nos informations, le gouvernement, dont l’unique discours officiel reste celui du « pollueur payeur » », envisagerait d’avoir recours au fonds d’indemnisation agricole.

Seulement cette « solution » pose d’évidents problèmes. Le premier, elle semble faible par rapport aux besoins, vraisemblablement insuffisante. Rappel, ce fonds d’indemnisation agricole est abondé par moitié par les agriculteurs, et par moitié par l’Etat. Même si l’on peut penser que l’Etat peut aller un peu au-delà, la part agricole n’est, elle, pas extensible, en particulier vu l’état économique actuel de très nombreuses exploitations. Deuxième problème, si ce fonds existe, c’est qu’il a déjà une destination : aider ceux qui ont eu à souffrir d’un caprice météorologique majeur. Or, en cette année 2019, il y a eu une importante sécheresse plus, comme chaque année, ici une pluie de grêle qui a détruit toute une récolte, là une inondation localisée… En d’autres termes, sans parler des agriculteurs touchés par le « nuage Lubrizol », ils sont déjà nombreux à espérer sortir la tête de l’eau grâce à ce fonds. Dès lors, comment l’utiliser plusieurs fois ? Troisième problème, cette « solution » consisterait à faire payer les agriculteurs pour une cause totalement extérieure à l’agriculture (les aléas climatiques n’étant pas considérés comme tels en vertu de ce fonds), encore une fois dans une période économiquement douloureuse pour le secteur. Un point qui bien sûr ne manquerait pas de faire débat, dans un contexte où la profession s’estime abandonnée, notamment avec les décisions sur les accords de libre-échange déjà prises (Ceta) ou en cours (Mercosur)

Quelles autres solutions ?

S’il reste cependant logique d’envisager d’utiliser ce qui existe, s’y arrêter sans aller plus loin comporte donc un risque majeur : se retrouver dans une impasse, devoir faire des choix, ne pas rembourser certains qui pensaient l’être, aller vers des drames économiques (et derrière humains…).

Quelles sont dès lors les solutions alternatives ? Lever un nouvel impôt (forcément impopulaire) ? Lancer un emprunt national, remboursable pour les contributeurs par l’Etat une fois qu’il aura fait payer l’entreprise responsable (cela semble plus envisageable) ? Ou sinon ?

Oui, il va falloir se creuser les méninges. Le maintien d’une agriculture à la fois saine et productive de Rouen à la frontière belge (parcours du nuage de pollution) est à ce prix…
 

Notre illustration ci-dessous, un homme portant un masque respiratoire au milieu d’un champ agricole, est une image d’archive, non directement liée aux faits reproduits dans cet article. Image Adobe.

 

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