L’agroécologie a pour vocation de libérer l’agriculture de sa dépendance aux apports exogènes, que ce soit en matière de produits de défense des cultures et des animaux, de moyens énergétiques de production ou d’utilisation d’éléments fertilisants.
Malgré la pression médiatique sans limite et des individus regroupés en associations diverses, dont une association paysanne dont on se demande si elle défend bien les agriculteurs, qui s’arrogent le droit de recourir à la violence pour imposer cette idéologie, les principes de l’agroécologie, synonymes de Bio dans l’opinion, ont du mal à s’imposer.
Les objectifs successifs affichés d’atteindre en Bio 15% de la SAU en 2022 et 18% en 2027 sont loin d’être atteints. Ainsi, sur les 26,8 millions d’hectares de SAU, la Bio ne couvre que 2,8 millions d’hectares soit 10,44% en 2022.
Depuis la fin du confinement, une récession des achats Bio semble se confirmer. De plus, un phénomène de dé-conversion semble s’amplifier. En 2022 selon l’agence Bio, quelque 2 174 producteurs ont opté pour la dé-conversion, avec une augmentation de 42% sur un an.
La baisse de la consommation des produits Bio pousse même de grands groupes de l’agro-industrie, comme Lactalis, Cavac ou Bodin Volailles, à encourager les producteurs bio à se dé-convertir.
Cette tendance mérite d’être étudiée avec soin pour envisager l’avenir. Certes la Bio permet de se libérer (partiellement) de la dépendance aux sources exogènes d’intrants et d’être moins fragile aux fluctuations des cours des intrants chimiques, notamment importés (voir infra). Mais il est indéniable que les rendements en Bio sont largement inférieurs à ceux obtenus en agriculture dite intensive, tellement décriée. Les raisons sont connues, même si elles sont volontairement occultées. La production d’une récolte est proportionnelle à la masse végétale capable de capter l’énergie solaire et de transformer le CO² capté par la photosynthèse des plantes en oxygène et en hydrates de carbones bases élémentaires de toute alimentation, qu’elle soit humaine ou animale. Or la masse végétale est proportionnelle à la quantité d’azote assimilable dans le sol. C’est ce qui explique que l’apport d’engrais minéraux azotés fabriqués chimiquement augmentent les rendements de manière significative.
La source d’azote en Bio ne peut provenir que de la décomposition de la masse végétale (compost, fumier animal) ou de la récupération de l’azote stocké par les légumineuses. Mais une exploitation Bio en autarcie ne peut rivaliser en apports azotés avec ceux exogènes issus de la chimie, surtout lorsqu’ils sont accompagnés des éléments P (phosphore) et K (potassium) que la Bio s’interdit.
Les rendements en Bio sont aussi limités par l’absence d’herbicides sélectifs et les différents binages ou rotations de cultures ne permettent pas de contrôler les plantes invasives (datura, ambroisie, lampourde, etc..). Les dé-convention en Bio sont aussi accélérées par la récente suppression des primes de maintien qui venaient compenser la perte de rendement et l’augmentation des façons culturales et du coût de la main d’œuvre induits.
Le mot « industrielle » est mis entre guillemets, car la dépendance est aussi sensible pour une exploitation de 20 hectares que pour une de 200.
En effet, le poste approvisionnement est très sensible aux fluctuations de prix, sensibilité qui est augmentée par le décalage de cette fluctuation avec celle des prix de vente de produits. Quand une hausse du prix d’achat des intrants est concomitante avec une baisse de prix de vente, l’équilibre de gestion de l’entreprise est compromis. La guerre en Ukraine a fait s’envoler les prix des carburants et des engrais à un point tel que des agriculteurs se sont interrogés sur la rentabilité d’emblaver tant l’incertitude de la volatilité des prix était considérable.
La situation au Sénégal est une illustration du phénomène. L’augmentation du prix des engrais azotés est telle que les producteurs ne peuvent suffisamment s’approvisionner, et la diminution de la dose accessible ne permet plus un rendement suffisant pour assurer la rentabilité de la culture.
Le programme « Plan Sénégal émergeant vert », adopté par l’Etat en 2019, subventionne l’achat d’engrais organiques Bio à hauteur de 50% du prix. Mais comme le constate un agriculteur, « mais il faut entre 10 à 15 sacs d’engrais organiques en plus par rapport aux engrais minéraux pour une même parcelle. Et tous les ans, dès mars, les stocks deviennent insuffisants sur l’ensemble du pays ».
Le directeur de l’horticulture au ministère de l’agriculture du Sénégal évalue de 15 à 20% la part d’engrais minéraux importés, problème qui touche également les engrais organiques qui sont importés à 60%, surtout d’Europe.
Le Sénégal souhaite « développer l’agriculture agri-écologique pour se prémunir contre changement climatique et les chocs conjoncturels ». Cependant, ce type d’agriculture étant hyper dépendant des intrants organiques et au vu des difficultés précédemment développées, cet objectif semble difficilement atteignable.
Le Sri Lanka a été le premier pays au monde à passer, en avril 2021, à une agriculture 100% Bio. Gotabaya Rajapaksa, alors Président, avait interdit l’importaon d’engrais et de produits chimiques. Dès les premiers mois, la production a chuté de 20%. Il a fallu faire machine arrière six mois plus tard.
Au total, un tiers des terres cultivables ont été abandonnées dans le pays, après la tentative de passage à l’agriculture bio. Sans accompagnement ni stock suffisant d’engrais organiques sur l’ile, les fermiers n’ont rien pu faire. Le pays a été confronté à des baisses de production, puis des pénuries, et enfin une flambée des prix.
En octobre 2021, Buddhi Marambe, professeur à la faculté d’agriculture de l’université de Peradeniya mettait en garde : « Sans s’appuyer sur des preuves scientifiques concrètes, et en appliquant cette réforme dans des temporalités trop courtes, l’agriculture biologique va droit dans le mur ». Ces propos lui ont valu d’être exclus de ce comité d’experts !
En Inde, le gouvernement a financé en 2004 un projet similaire dans la région de Sikkim. Ce reportage d’Arte est une apologie de la Bio, mais malgré les 13 années d’adaptation et autant de millions d’aides attribués par le gouvernement de cette région, qui représente 0,1% des terres cultivables du pays, il y est reconnu que la production n’est pas suffisante pour nourrir la population. Au regard de ce reportage, on peut se demander combien d’écologistes accepteraient d’arracher les mauvaises herbes à la main, de mélanger la bouse de vache aux déchets végétaux pour faire du compost, et de l’urine de vache avec des orties pour « élaborer » de l’insecticide qu’il faut pulvériser tous les trois à cinq jours pour écarter les insectes. On y voit aussi les enfants de l’agriculteur gratter la terre à mains nues autour des plants de tomates… Difficile à extrapoler dans notre pays !
Sans renier la vocation de l’agroécologie à limiter les risques éventuels liés à l’utilisation des engrais et produits chimiques en agriculture, il est nécessaire de prendre en compte la vocation première et principale de l’agriculture : tirer de l’énergie solaire, avec le concours de l’eau et des éléments contenus dans la terre arable et du recyclage de la biomasse une nourriture suffisante en quantité et en qualité pour nourrir les populations. La chimie, la génétique, la mécanisation ont boosté les rendements.
Les agriculteurs ont démontré depuis plus d’un demi-siècle leur faculté d’adaptation aux progrès techniques, agronomiques et sociétaux. Malgré la disparition des ¾ d’entre eux, ils ont permis de faire face à l’augmentation des besoins alimentaires d’une population croissante et en même temps ont permis d’abaisser des 2/3 la part alimentaire dans le budget des ménages.
Si la majorité d’entre eux ne se précipitent pas vers la Bio, si certains qui ont tenté l’expérience abandonnent, c’est sans doute qu’il existe des raisons majeures que veulent ignorer l’idéologie écologiste et les décideurs politiques.
Dans un contexte économique de paupérisation générale, on ne peut demander à des consommateurs de payer plus cher des produits biologiques ou demander à des producteurs de baisser leurs rendements et augmenter la pénibilité de leur travail sans que ces efforts soient justement et équitablement rémunérés.
La volonté écologiste de supprimer toute pollution, réelle ou supposée, qui pourrait émaner de notre territoire conduit à des décisions très inquiétantes dont on mesure déjà l’étendue. Pour protéger des centre villes, on crée des ZFE qui interdisent au travailleur pauvre de prendre sa voiture exclue des normes mais on tolère le gros SUV qui parcourt des milliers de kilomètres pour aller au ski ou à la plage…
Pour ne pas sentir la fiente de poule des élevages, on met une telle pression face aux éleveurs que la production se délocalise et que près de 50% de la viande de poulet que nous consommons est importée.
Pour protéger notre air, nos sols et les eaux qu’ils contiennent, on interdit aux agriculteurs des produits indispensables à la conduite rentable de leurs entreprises, mais on accepte des produits importés qui contiennent des résidus de ces produits interdits en France.
C’est ainsi qu’après les délocalisations des aciéries, des industries textiles, pharmaceutiques, automobiles, c’est maintenant la volonté agroécologique qui met en péril l’agriculture française. Ceci est gravissime, car la dépendance alimentaire est un danger majeur de déstabilisaon sociale. Souvenons nous des émeutes de la faim en 2008 dans de nombreux pays.
Ventre affamé n’a pas d’oreilles. Si la faim fait sortir le loup du bois, elle pourrait faire sortir les Français de leur soumission.
Armand PAQUEREAU
Très bon article, à partager largement.
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lisez La Vache Heureuse. cheminer avec des pionniers de l’agriculture du vivant.