vache laiti re

Les primes de cessation laitière s’affichent dans Le Bon Coin

Les sites de petites annonces, dont le célèbre Le Bon Coin, regorgent désormais d’annonces d’éleveurs cédant leur activité. Vous avez dit choquant ? Ce qui l’est encore plus, c’est ce qui se cache derrière ces annonces. Enquête vérité menée par deux journalistes de WikiAgri.

Article rédigé par Antoine Jeandey avec le concours précieux et efficace de Franck Jourdain,
journaliste pigiste spécialisé dans l’élevage et l’agriculture bretonne.

Ce qui choque, c’est le visuel. Voir fleurir ces annoncessur internet, où les contrats laitiers sont vendus directement. Ici 280 000 litres, là 550 000, etc. Vous avez plusieurs copies d’écran du site Le Bon Coin à la fin de l’article. Ce sont les contrats avec les laiteries qui sont ainsi cédés, selon un processus tout à fait légal, pour les règlements de la plupart des laiteries autorisent de telles transactions. N’importe quel détenteur d’un contrat peut en vendre tout ou partie, sachant que le nombre total de litres peut au plus être divisé par trois (donc trois repreneurs maximum, par exemple celui qui cède 300 000 litres peut le faire vers un seul collègue, ou deux, ou trois, mais pas davantage).

De grosses sommes, mais un « avantage » réduit

Derrière cette possibilité, un signe des temps. Celui où l’éleveur laitier, traditionnaliste par vocation, perd sa pudeur et expose aux yeux de tous, à travers des sites grands publics, une démarche qui pourrait presque paraitre mercantile. Ce qui n’est pas écrit directement dans l’annonce, ce sont les montants des transactions. Le litre de lait cédé se négocie entre 30 et 40 centimes (plus exactement, j’ai eu deux sources, l’une m’a parlé de 30 centimes, une autre de 40 centimes). 400 000 litres cédés (hauteur moyenne rencontrée) à, disons pour faire une moyenne, 35 centimes, ça fait 140 000 €. Une belle somme, d’autant que derrière, celui qui arrête peut ajouter la vente de son troupeau : ce n’est que le droit à produire qu’il vend ainsi, pas ses vaches. Si personne ne veut de ses vaches, il reste la réforme, de l’ordre de 1000 à 1200 € en ce moment pour une laitière.

Mais ne voir que les rentrées est un peu court. L’éleveur (en tout cas la très grande majorité d’entre eux) aime ses vaches. Arrêter l’activité, pour lui, c’est un crève-coeur, un sentiment d’échec insupportable. Le chèque récupéré par l’intermédiaire du Bon Coin, en fait, est surtout là pour terminer le remboursement de ses emprunts, de ses mises aux normes, de ses agrandissements de bâtiment, etc. Et s’il reste quelque chose, c’est pour repartir, recommencer sa vie malgré un âge plus ou moins avancé, une désillusion quant à sa vocation, une absence d’envie…

Comment se relancer après un échec laitier ?

L’un de ceux qui a posé une annonce pour vendre son contrat, et qui a eu l’amabilité de me répondre sous couvert de l’anonymat, explique que lui va rester dans l’élevage, mais se lancer dans la viande, en estimant que le contrat qu’on lui propose en l’occurrence lui laisse une marge « normale », avec un marché derrière. On le sait, d’autres, polyculteurs, vont devenir uniquement « culteurs », si vous me permettez l’expression, ou si vous préférez vont passer de cultures céréalières en autoconsommation à des céréales tout court… Avec tout de même un souci, les terres d’élevage ont-elles vocation à devenir céréalières ? Et puis, bien sûr, d’autres arrêtent tout, carrément.

« Nous sommes les seuls en France
à connaître notre quantité de travail
mais pas le salaire qui va avec ! »

Quoiqu’il en soit, cette manière de procéder signifie avant tout une chose : la crise de l’élevage qui a valu tant de mobilisations cet été n’est pas terminée, loin s’en faut, et en particulier pour les laitiers. Imaginez, pour ceux qui vendent à moins de 34 centimes le litre, cela signifie qu’ils estiment la valeur de leur droit à produire inférieure à la production elle-même, officiellement négociée à 34 centimes au moment de la crise estivale ! Il faut dire que ces fameux 34 centimes ne tiennent pas, presque nulle part. Un éleveur ayant laissé une annonce me rapporte que sa laiterie (célèbre) paye actuellement 29,5 centimes, et menace de passer prochainement à 26. « Le problème, me dit-il, est qu’aujourd’hui l’éleveur n’est plus propriétaire de son droit à produire. S’il a signé le contrat avec sa laiterie, alors il l’a cédé à celle-ci, laquelle le lui rétrocède pour 5 ans, mais sans aucune garantie pour la suite. De même, sur le contrat en question, les volumes à livrer sont mentionnés, mais pas le prix. Nous sommes les seuls en France à connaître notre quantité de travail mais pas le salaire qui va avec ! »

Les acheteurs, produire plus, et mieux payé…

S’il y a des vendeurs de contrats laitiers, il faut aussi des acheteurs. Et il y en a. Des éleveurs laitiers aussi, qui eux tiennent un autre raisonnement : il leur faut plus de droit à produire. Ce qui signifie qu’aujourd’hui, ceux-là produisent plus que leur contrat. Mais il leur en faut un, de contrat, par rapport au prix. Ainsi, le lait se vend en A, B ou C. Le tarif C est acheté en « over quota », et donc très peu cher. Donc celui qui dépasse son quota a tout intérêt à acheter du A, c’est-à-dire du lait selon les tarifs du contrat (le B est indexé sur le cours mondial, très défavorable en ce moment, donc peu usité).

Prenons un exemple. Un laitier produit 800 000 litres, il a un contrat à 600 000, il a tout intérêt à ce que contrat couvre ses 800 000 litres, donc il achète un nouveau contrat de 200 000 qui s’ajoute au sien. Ce faisant, deux choses : pour lui, le pari tenu quand il avait cru comprendre que l’arrêt des quotas signifiait la liberté de produire plus (ce qui, en réalité, est bien plus complexe, la plupart des laiteries ayant donc institué ces prix différenciés pour dissuader une trop grosse production alors que le marché reste restreint) redevient d’actualité ; et pour tout le monde, lorsqu’il vendait 200 000 litres à un prix très bas, il contribuait à faire chuter les cours. En se mettant à niveau, il participe (en théorie du moins) à rétablir ces cours.

Un exemple bien plus précis encore, rapporté par Franck Jourdain. Signataire en avril d’un accord de cession des contrats laitiers, l’organisation des producteurs Lactalis du Grand Ouest (900 producteurs de 14 départements pour 350 millions de litres), l’OPLGO indique que des contrats portant sur 50 millions de litres de lait ont changé de main. Le phénomène s’est accéléré ces dernières semaines puisqu’au 15 septembre, la cession des contrats portait sur 25 millions de litres. Les trois quarts sont des producteurs extérieurs à l’OP qui, en rachetant chacun « en moyenne 100 0000 à 150 000 litres pour conforter leur exploitation sans investir », deviennent livreurs de Lactalis pour la fraction achetée, explique Christine Lairy, coordinatrice de l’OP. L’OPLGO précise ne pas intervenir dans le montant du transfert de gré à gré du contrat. C’est la seule des 17 organisations de producteurs de Lactalis à avoir signé pareil accord avec le groupe laitier.

Les imprévus, comme l’échec à l’installation laitière

Ces transactions qui s’effectuent désormais via internet (également par des sites d’enchères, un contrat peut y débuter à 35 centimes le litre et monter à 40…) présentent des dommages collatéraux. Le premier est qu’elles favorisent l’agrandissement des troupeaux. « Tout le monde s’émeut sur la ferme des 1000 vaches dans le nord, m’a confié l’un des dépositaires d’annonce, mais bientôt on n’aura plus que ça en Bretagne aussi... En tout cas, plus un éleveur ne peut continuer avec moins de 100 vaches aujourd’hui, et demain ce sera 150, etc. » Et qui dit agrandissements, dit aussi concurrence à l’installation. Les industries laitières ont prévu des contrats avec tarif A pour les nouveaux installés…  Sauf qu’il n’y a plus de cédants, les contrats avec tarif A étant revendus avant de revenir sur le marché pour les jeunes !

Analyse de l’un de mes interlocuteurs éleveurs : « Nous sommes dans une situation où nous ne pouvons plus installer, où nous sommes en surproduction aujourd’hui, mais peut-être en pénurie dans quelques années, puisqu’il manquera des éleveurs faute d’avoir renouvelé les générations. Parallèlement, les cheptels grandissent, les bêtes vivent uniquement sous bâtiment, ne voient plus l’herbe, ne sont nourries qu’à l’ensilage toute l’année… D’où une perte de qualité du lait pour les consommateurs. C’est comme pour les humains, quand vous ne mangez que des conserves, vous avez moins de vitamines… »

Un point de vue personnel peut-être, mais qui mérite une réflexion approfondie. Certaines industries laitières pensent d’ailleurs, à l’issue de la campagne actuelle (c’est-à-dire pour le 1er avril prochain), interdire ces transactions, de manière à pouvoir récupérer du quota A pour l’installation… Ce qui ne réglera pas pour autant le problème des prix, de la visibilité offerte aux éleveurs laitiers, de l’arrêt d’un grand nombre… C’est un vaste chantier qu’il faut ouvrir, et vite !

A VOIR SOUS L’ARTICLE QUELQUES ANNONCES DU BON COIN

En savoir plus : http://www.oplgo.fr/le-transfert-de-volumes-delai-dadhesion-a-respecter (éclaircissement sur le transfert des volumes contractuels, ici pour les membres de l’organisation de producteurs OPLGO) ; http://www.oplgo.fr/liberte-dans-la-cessibilite-des-contrats (liberté dans la cessibilité des contrats, autres précisions, toujours dans le cas de cette organisation de producteurs) ; http://www.oplgo.fr/transferts-de-contrats-comment-ca-marche (transferts de contrats, comment ça marche) ; http://www.leboncoin.fr (Le Bon Coin, célèbre site d’annonces, mettez « contrat lait » en zone recherche…) ; http://www.interencheres.com (l’un des sites qui proposent des mises aux enchères).

Notre photo d’illustration est une archive.

Ci-dessous, copies d’écran de plusieurs annonces parues dans Le Bon Coin.

 

 

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