Un récent colloque organisé par des maires savoyards donne l’opportunité de faire le point sur l’épineux dossier du loup.
Il y a un an, six maires de Savoie (ceux des communes de Saint-Colomban-des-Villards, Saint-Alban-des-Villards, Allemont, Vaujany, Saint-Sorlin-d’Arves et Saint-Jean-d’Arves.) avaient convié éleveurs, élus, organismes professionnels, chasseurs et scientifiques à des « états généraux du pastoralisme et du loup ». En conclusion, ils avaient rédigé une « motion du Glandon » adressée au ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie. Depuis, elle a été signée par 400 municipalités et communautés de communes. Ce 22 août 2015, les maires ont organisé un deuxième colloque intitulé « pour une montagne vivante et une gestion territorialisée du loup ».
922 attaques de loups ont été constatées sur les sept premiers mois de l’année 2015, faisant 3522 victimes animales. Preuve, selon les éleveurs présents, que la gestion opérationnelle du plan loup ne fonctionne pas. Pourtant, de l’avis général, les services de l’Etat commencent à entendre la détresse des éleveurs. Les autorisations de tir ont été augmentées (36 tirs autorisés entre juin 2015 et juin 2016) et la ministre de l’écologie Ségolène Royal a saisi fin juillet la commission européenne pour faire évoluer le statut du loup dans la convention de Berne (il s’agit de l’application du 24e et dernier point du plan de soutien à l’élevage prononcé par François Hollande le 22 juillet). Enfin, une brigade spécialisée (10 agents au sein de l’ONCFS) a été installée dans les Alpes cet été.
« Dans ce contexte, pourquoi reconduire cette tribune ? C’est très simple. Au 20 août, nous comptons plus de 100 bêtes tuées depuis la sortie des troupeaux sur les six communes organisatrices du premier colloque. Presque tous les éleveurs ont été touchés. Les attaques ont repris le 28 mai 2015, à Saint-Alban-des-Villards, à dix minutes des maisons. Dans un secteur très touristique de ma commune, un patou a été très amoché par un loup en pleine journée. Les services de l’Etat sont très réactifs mais le problème reste entier pour les éleveurs. Quand on remet en cause leur activité, on remet aussi en cause l’aménagement du territoire et la vie de nos montagnes. Aujourd’hui, les maires veulent dire ce qu’il se passe chez eux », a introduit Pierre-Yves Bonnivard, maire de Saint-Colomban-des-Villards (Savoie).
Durant les trois heures de réunion, la mobilisation et la tension étaient palpables. Des maires d’autres régions avaient répondu à l’appel, mais il n’y avait aucun député ni sénateur. Rappelons que la proposition de loi du sénateur de la Lozère Alain Bertrand visant à créer des zones d’exclusion pour les loups n’a pas été adoptée pour l’instant que par le Sénat. « Politiquement, légiférer contre le loup n’est pas très porteur… », a glissé Pierre Vollaire, maire des Orres (Hautes-Alpes).
Michel Meuret, directeur de recherche à l’Inra de Montpellier, a présenté la tribune qu’il a signée avec 34 scientifiques dans Libération. « La gravité de la situation appelle des réactions et des règlementations d’urgence », estime-t-il. Depuis sept ans, le nombre de victimes a explosé. Chaque loup adulte tue en moyenne 20 à 25 animaux domestiques par an. Les attaques ont lieu en alpage comme en vallée, sur les brebis, mais aussi sur les veaux, les génisses et les chevaux. Les dispositifs de protection des troupeaux les plus élaborés ont été dévalués en peu d’années : 40 % des attaques ont lieu en pleine journée. Le parc de nuit est donc obsolète et la présence humaine n’est plus dissuasive, même à 200 mètres. Cette évolution comportementale était prévisible, car le loup agit par opportunisme alimentaire propre aux carnivores. Une hypothèse : comme la faune sauvage est moins disponible, il attaque les troupeaux…
« Les loups ont acquis 20 ans de mauvaises habitudes. La stratégie européenne de coexistence du loup et des troupeaux est un échec. On dépense 50 000 € par loup et par an (le ministère de l’Agriculture débourserait 15 millions d’eurospar an et celui de l’Ecologie 4 millions) pour protéger les bêtes et indemniser les éleveurs. Une véritable gestion s’impose avec des prélèvements professionnels ciblés. Pourtant, un projet d’envergure est porté par des lobbys comme le Large Carnivore Initiative for Europe, Rewilding Europe et le WWF. Ils veulent favoriser les échanges entre les 15 000 loups d’Europe. Le sud de la France serait au cœur de ces passages. C’est actuellement en discussion à Strasbourg et Bruxelles », alerte Michel Meuret.
Laurent Garde, coordinateur régional du Cerpam (centre d’études et de réalisations pastorales Alpes Maritimes), rappelait que les deux tiers des attaques de loup sont enregistrées en région PACA. « Depuis le début de l’année, les attaques sont en augmentation de 30 à 40 % dans les Alpes de Haute-Provence et les Alpes-Maritimes. La présence des loups s’étend partout en France. Après la partie occidentale du massif pyrénéen, Pyrénées-Orientales, Aude, Ariège, c’est désormais la Lorraine, la Champagne, et de plus en plus le Massif Central qui sont touchés. Or, nous ne disposons d’aucune stratégie cohérente pour protéger les différents lots de l’éleveur individuel répartis sur son parcellaire souvent morcelé. Il faudra, il faudrait multiplier le nombre de patous. Un spécialiste italien me parlait de 15 à 20 chiens de protection par éleveur individuel dans les Abruzzes. Il faudra, il faudrait, sécuriser la totalité des clôtures à moutons. Mais à partir du moment où les loups se fixent en meutes sur des territoires qu’ils connaissent parfaitement, la pression devient difficilement supportable pour les éleveurs. Les loups sont rusés, adaptables et opportunistes. En protégeant le loup, on a cassé deux millénaires de comportements craintifs. »
Laurent Garde a aussi évoqué un programme scientifique italien (Ibriwolf) qui demande l’application du statut de protection stricte au loup hybride… recommandations relayées par le Comité d’application de la Convention de Berne ! Actuellement, les scientifiques estiment que le taux d’hybridation du loup italien varie entre 10 à 40 %. « Il n’est donc même pas certain que la détresse endurée par les éleveurs serve à protéger un véritable loup de caractère sauvage qui représenterait une haute contribution à la biodiversité. Pourquoi il faut faire autant d’efforts tellement improductifs si l’on ne sait même pas ce que l’on protège ? »
Michèle Baudoin, secrétaire générale de la Fédération Nationale Ovine, accuse les urbains « d’imposer le loup en milieu rural. Quand il sera dans le bois de Vincennes, gageons qu’il y aura des réactions. Derrière une attaque se cache des drames familiaux. Je ne veux plus parler du loup, mais de nos brebis, de ce qu’on apporte aux territoires. En portant un agneau dans les bras, une éleveuse a fait comprendre à Ségolène Royal l’ampleur de ce problème qui dépasse tout le monde. »
De l’avis général, la solution se trouvera au niveau européen, national et local. En effet, par la responsabilité civile qu’ils incarnent, les maires ont un rôle décisif à jouer. « Comme ils sont proches du terrain, les élus locaux peuvent faire le tri dans les urgences », affirmait Bruno Caraguel, coordinateur général de la fédération des alpages de l’Isère.
Il rappelait qu’un territoire était un espace avec des spécificités reconnues et une gouvernance concertée. Selon lui, les Projets agro-environnementaux et climatiques (PAEC) peuvent organiser une gestion collective du loup, de même que les Plans Pastoriaux Territoriaux (PPT) qui conditionnent des aides du Conseil Régional en Rhône-Alpes. « Mais globalement, la gestion est encore trop centralisée. De plus, l’Etat a tendance à considérer le pastoralisme comme du jardinage de l’espace, alors qu’il est un réel outil économique », déplorait-il.
Autre exemple de concertation en Isère : l’Espace Belledonne (association d’élus locaux qui gère le programme Leader) va lancer prochainement un groupe de travail spécifique sur le loup. « La politique territoriale est un espace démocratique où les acteurs peuvent échanger des informations objectives sur l’impact du loup, notamment sur les écosystèmes », explique le président Bernard Michon. Joël Mazalaigue, administrateur de la fédération des chasseurs de la Drôme, abonde dans ce sens : « Un éleveur de Luz-la-Croix-Haute a arrêté son activité après deux attaques successives. Un de ses alpages faisait partie du programme agrifaune et on a vite observé que la reproduction des tétras lyre étaient menacée par la pousse des herbes ».
En Lozère, c’est le Parc naturel des Cévennes qui organise les tirs de loup ! « Des tirs de défenses sont autorisés par le conseil d’administration du Parc. Il faut dire que le territoire est inscrit sur la liste du patrimoine mondial comme paysage culturel de l’agro-pastoralisme méditerranéen », témoigne André Baret, maire de Hures-La-Parade.
Les élus des Hautes-Alpes participent à une coordination interdépartementale pour mener des actions de communication sur les ravages du loup et faire du lobbying européen. Enfin, les instances touristiques sont aussi très mobilisées sur le dossier, comme en témoignait Patrick Provost, maire de Saint-François Longchamp et vice-président de Maurienne Tourisme : « Les acteurs du tourisme sont très attentifs aux attaques de loup. Nos clients viennent se détendre dans nos montagnes magnifiques. Mais elles seront désertées si les éleveurs arrêtent d’entretenir les paysages, de fournir des produits de qualité et de présenter des animaux aux enfants des villes. On perdrait notre âme sans les troupeaux. Beaucoup de randonneurs en famille ont peur des patous. Nous demandons un peu de bon sens à l’Etat, et un peu de liberté pour gérer notre territoire. »
Christian Rochette, maire de Saint-Rémy-de-Maurienne, reconnait une avancée : « Le comité loup de Savoie fut longtemps une chambre d’enregistrement. Aujourd’hui, nous sommes entendus et les mesurettes sont devenues des mesures. Le loup doit être traité comme les autres espèces sauvages. Lorsque les cerfs pullulent, on multiplie les bracelets de chasse. Pourquoi aurait-on un traitement particulier pour le loup ? », provoquait-il.
En 2014-2015, 6 % de la population a été prélevée, contre 2 % sur la saison précédente. Mais tuer un loup est beaucoup plus compliqué qu’il n’y parait… « J’ai organisé une battue sur ma commune mais les chasseurs ne savent plus faire », constatait Nicolas Jaubert, jeune maire de Châteaufort (Alpes-de-Haute Provence). Le chasseur Joël Mazalaigue a hoché la tête. « Nous sommes solidaires des éleveurs. 350 chasseurs ont été formés dans la Drôme pour prélever les loups. En 2014, il a fallu organiser 540 battues en France pour tuer 7 loups ! C’est un savoir-faire qui s’est perdu. Lors des battues, nous n’avons aucune information sur la localisation des loups. Dans les Alpes-Maritimes, les services de l’Etat ont installé des pièges photos qui informent des passages par SMS en temps réel. Il existe aussi des pièges canadiens qui capturent les loups sans les tuer. » A ce propos, plusieurs organisations ont adressé une lettre à la ministre de l’Ecologie le 25 juin demandant de développer ces pièges qui ne blessent pas les loups et sont autorisés par la Directive Habitats.
En attendant, les éleveurs désespèrent : « Les arrêtés sont nombreux mais deux loups seulement ont été tués en 2015. C’est une honte, il n’y a pas de régulation. Aujourd’hui, on attend des résultats. Les mesures de protection ont atteint leur limite. J’ai deux patous et je vais passer à cinq, quitte à me mettre le voisinage sur le dos et créer des effets de meutes. Je suis éleveuse avec une carabine à la main, et j’en ai honte. Ce n’est pas comme ça que j’ai envie d’exercer ce métier que j’aime. Mon fils veut s’installer avec moi, mais franchement j’ai des doutes », s’écrie avec émotion Françoise Darves-Blanc, éleveuse à Saint Alban-des-Villards et vice-présidente du syndicat des éleveurs ovins de Savoie. Elle a aussi vivement exprimé sa déception en découvrant la nouvelle motion : « Il faut parler d’éradication, dire que vous voulez le pastoralisme sans le loup. Il y en a assez des demi-mesures… ».
Les élus ont répondu qu’ils étaient tenus de respecter la loi en vigueur…
En savoir plus : www.liberation.fr/terre/2014/10/12/plaidoyer-pour-des-ecosystemes-non-desertes-par-les-bergers_1120258 (tribune de Michel Meuret parue dans Libération ; http://www.cerpam.fr (site du Cerpam, Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée pour la gestion des espaces naturels par l’élevage) ; http://www.nosbrebis.fr (site de la Fédération antionale ovine) ; http://www.alpages38.org (site de la fédération des alpages de l’Isère).
On retrouve la motion du col du Glandon sur ce lien : http://federationdesacteursruraux.blogspot.fr/2015/08/motion-col-du-glandon.html
Texte de la pétition : https://christeljacson.wordpress.com/2015/08/25/une-petition-pour-le-piegeage-doux-des-loups
Ci-dessous, alpage (photo fournie par la fédération de l’alpage).
C-dessous, les maires de Savoie à l’origine de la motion du Glandon.
Ci-dessous, une assemblée concentrée et engagée.
Ci-dessous, la courbe inquiétante des populations de loups… Et des indemnisations.
Ci-dessous, Michel Meuret, directeur de recherches à l’Inra, a cosigné une tribune dans Libération.
Ci-dessous, derrière Laurent Garde du Cerpam, la carte du projet de Large Carnivore initiative for Europe et du Rewilding Europe : favoriser les échanges entre les 15000 loups d’Europe (en rouge, les populations actuelles).
Ci-dessous, Michèle Baudoin, secrétaire générale de la FNO, évoque l’impact des attaques de loup sur la vie personnelle des éleveurs.
Ci-dessous, Nicolas Jaubert, maire de Châteaufort et éleveur, a expliqué qu’il a récemment demandé à des scouts de renoncer à des jeux nocturnes en montagne. « Mes deux patous étaient sortis, et je ne peux absolument pas contrôler l’un des deux« .
Ci-dessous, Françoise Darves-Blanc, éleveuse à Saint-Alban-des-Villards : « J’ai honte d’être une éleveuse avec une carabine« .
Ci-dessous, le soir venu, les éleveurs ont lancé 100 lanternes, en mémoire aux 100 brebis tuées par le loup sur les six communes organisatrices. (photos prise par Michel Meuret)