En charge de l’environnement, l’Union européenne serait en grande partie responsable de l’engorgement des marchés laitiers de 2014 à 2016 et de la durée de la crise.
Les plafonds d’azote organique portés depuis le début des années 2000 jusqu’à 250 kg/ha dans certains pays, dont les Pays-Bas en particulier, puis en 2014 en Irlande, ont incité leurs éleveurs à produire toujours plus à moindres coûts tout en restant compétitifs. Or le prix du lait déclinait. Dans le même temps, les gouvernements de ces mêmes pays, soutenus par Phil Hogan, le très libéral Irlandais commissaire européen à l’Agriculture, ont été opposés jusqu’en 2016 à toute régulation de la production.
L’Union européenne a produit elle-même les outils distorsifs à l’origine de la crise du lait alors qu’elle s’est privée dans le même temps de nombreux outils de régulation de la production de lait. C’est une des conclusions livrées par l’étude de l’Idele, « Filière laitière aux Pays-Bas, hyper-compétitivité ou dumping social ».
Selon ses auteurs, une grande partie de la quantité de lait produite en plus depuis 2015 et surtout stockée par l’intervention a été permise par les dérogations à la directive nitrates accordée aux Pays-Bas depuis 2005 puis plus récemment à l’Irlande en 2014. Une dérogation qui a conduit au dépassement, par les éleveurs néerlandais, du plafond phosphates de près de 7 millions de kilogrammes initialement fixé à 84,9 millions de kilogrammes.
Or l’Idele démontre justement que les 350 000 tonnes de stocks de poudre de lait à l’intervention équivalent aux 2 millions de tonnes de lait produites entre 2014 et mi-2016 par les éleveurs néerlandais, en dépassant ce plafond phosphates. Des volumes de lait supplémentaires dont la commission européenne peine à se débarrasser et qui font partie des 6 à 7 millions de tonnes de lait non exportées. En conséquence, elles engorgent encore, sous une forme une autre, le marché européen.
En fait, les producteurs néerlandais puis irlandais n’ont cessé de produire même quand le prix était au plus bas (sous les 250 € la tonne) car les dérogations accordées par l’Union européenne leur permettent d’être rentables puisqu’ils ne sont pas contraints de traiter le effluents excédentaires.
Cette stratégie d’offre a accentué par contre-coup la baisse des prix du lait collecté auprès des éleveurs des pays plus vertueux en matière d’environnement et les déficits de leur compte d’exploitation.
L’Institut de l’élevage estime que « le maintien de la dérogation aux Pays-Bas désormais conditionné par le retour sous le plafond de phosphates autorisés permet une économie de l’ordre de 10 000 € par an pour la ferme laitière moyenne sur le traitement des déjections (2,5 €/kg de matière sèche) et le dépassement des plafonds autorisés a donc permis d’aller au-delà. »
Selon Baumol et Oates, économistes, auxquels se réfèrent les auteurs de l’étude de l’Idele, l’absence d’harmonisation favorise la délocalisation de la production et l’exportation de la pollution vers les pays les moins rigoureux. Ils deviennent alors des bassins de pollution. En d’autres termes, les quantités de lait qui n’ont pas pu être produites par exemple en France, faute de rentabilité, l’ont été aux Pays-Bas où l’élevage, plus compétitif, s’est intensifié au détriment de la préservation de l’environnement.
Ce qui a inscrit la crise dans la durée, c’est l’attitude adoptée, durant des mois, par les ministres européens de l’Agriculture les plus libéraux, et en particulier par ceux dont les pays bénéficient, comme les Pays Bas, d’une dérogation de l’application de la directive nitrates (l’Irlande et le Danemark par exemple). Mais aussi l’Allemagne où la fiscalité de la TVA agricole est avantageuse.
Réunis en conseil européen à Bruxelles, ces ministres s’étaient opposés jusqu’en 2016, à toute mesure d’encadrement de la production pour redresser le marché du lait. Et durant les premiers mois de son mandat, le très libéral commissaire à l’Agriculture Phil Hogan, s’est toujours aligné peu ou prou sur les positions des pays les plus libéraux.
Mais quelle impartialité fallait-il alors accordée à son attitude? Car en 2016, l’Irlandais Phil Hogan a défendu la mise en place de mesures de régulation de la production… lorsque les éleveurs irlandais se sont mis à leur tour à produire à perte !
Au final, le bon fonctionnement du marché européen exige le retour à certains fondamentaux. Son équilibre repose sur des règles identiques pour tous les pays membres. Or, comme le rappelle l’Idele, l’environnement est de la compétence de l’Union européenne à la différence de tout ce qui relève du social et du fiscal.
L’absence d’harmonisation fiscale à l’échelle européenne produit les mêmes effets qu’une dérogation à la mise en œuvre d’une directive environnementale. Par exemple, la perception par les producteurs allemands de la TVA ou encore de l’amortissement des quotas lorsqu’il était en vigueur.
En Irlande, l’augmentation programmée de 50 % de la production de lait d’ici 2020 est encouragée par la dérogation à la directive nitrates accordée depuis 2014, rappelle l’idele. Elle rend moins contraignante l’augmentation de la production laitière dans les exploitations puisque les éleveurs ne sont pas obligés d’engager des travaux de mises aux normes supplémentaires. Si bien que durant la crise, les producteurs irlandais ont aussi produit des quantités de lait supplémentaires, sans débouchés sur le marché intérieur ou à l’export.
En fait, toute dérogation environnementale est en quelque sorte un permis de polluer plus. A contrario, les pays les plus vertueux ne peuvent pas renforcer leur législation puisque les nouvelles normes induisent systématiquement des coûts supplémentaires distorsifs.
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que certains syndicats français plaident en faveur d’une application identique de la réglementation européenne dans tous les pays, sans surenchères. Etre trop vertueux détruit de la valeur, et déporte la pollution vers les pays les plus laxistes !
En savoir plus : http://idele.fr/agenda/evenements-idele-et-partenaires/publication/idelesolr/recommends/filiere-laitiere-aux-pays-bas-hyper-competitivite-ou-dumping-environnemental.html (pour retrouver l’étude de l’Idele complète mentionnée en source de cet article).
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