Stéphane Chapuis et Ines Tayeb
Les Coopératives d’utilisation de matériels agricoles sont toujours en vogue. Les Cuma savent répondre aux attentes de la nouvelle génération d’agriculteurs qui s’installe avec des projets différents de leurs aînés.
Céréalier sur 220 ha, Paul a été confronté ces dernières semaines à un choix cornélien : remplacer sa moissonneuse hors d’usage ou équiper les toits de ses bâtiments de panneaux photovoltaïques. Jusqu’à ce que ses voisins, eux aussi céréaliers, lui aient proposé de rejoindre leur coopérative d’utilisation de matériels agricoles (Cuma) pour disposer, ensemble, de la nouvelle moissonneuse acquise il y a quelques années. Ainsi, Paul conservera ses capacités d’investissement pour équiper les toits de ses bâtiments. Ses panneaux photovoltaïques procureront à Paul un chiffre d’affaires supplémentaire.
Par ailleurs, les moissonneuses batteuses font partie de ces matériels souvent surdimensionnés que les agriculteurs peinent à rentabiliser sur leur seule exploitation. Dans une Cuma, les charges d’une telle machine sont en revanche diluées sur un nombre d’hectares très important, rendant au final les frais de moissons plus supportables.
Créées en 1945, « les Cuma sont toujours dans l’air du temps. Elles doivent leur renommée à leur structure juridique sécurisante, explique Stéphane Chapuis, responsable du service AgroEcoTech. Elles ont su accompagner l’évolution de l’agriculture. En atteste, le nombre d’adhérents – 199 000 – quasiment constant».
« Les Cuma cumulent dorénavant les fonctions de groupements d’employeurs et d’utilisation de matériels agricoles, ce qui permet à n’importe quel agriculteur de recourir aux services des salariés employés par les coopératives selon leurs réels besoins», ajoute Ines Tayeb, chargée d’études économiques.
Acheter des parts sociales d’une Cuma fait partie de la stratégie d’équipements des agriculteurs au même titre que l’entraide, la copropriété ou l’acquisition de matériels en nom propre. La fin des déductions fiscales pour investissement et la succession de crises ne motivent plus les céréaliers de renouveler leurs parcs matériels pour des raisons d’optimisation fiscale.
Plus une production agricole est risquée et spéculative, avec des marchés volatiles, plus l’agriculteur doit minimiser les charges de mécanisation de cette activité. A contrario, il privilégiera l’acquisition de matériels spécifiques pour des activités de diversification à plus forte valeur ajoutée. C’est pourquoi Paul mise sur les services d’une Cuma pour ses récoltes de céréales afin de financer, avec ses fonds propres et par emprunt, les panneaux photovoltaïques qui équiperont les toits de ses bâtiments.
Les fédérations de Cuma prodiguent les conseils utiles pour optimiser la gestion des Cuma, en cohérence avec la gestion des exploitations agricoles qui en sont membres.
L’achat de matériels neufs ou d’occasion repose sur une analyse des besoins des adhérents des Cuma et des disponibilités en temps de travail. Est aussi prise en compte la superficie d’intervention. Pour acheter un matériel, le mode de financement classique reste en vigueur et d’actualité avec un endettement et des amortissements longs, équivalents à la durée d’utilisation effective de l’engin. Mais l’avenir étant incertain, les nouveaux matériels ne sont plus systématiquement acquis et financés dans la perspective de les utiliser jusqu’à ce qu’ils ne soient plus en état de fonctionner. Les adhérents des Cuma veulent aussi travailler avec des matériels dernier-cri.
Aussi, les plans de financement sont parfois établis sur cinq-six ans en intégrant une valeur de rachat du matériel d’occasion. Soit pour rendre plus aisé l’accès à des machines plus performantes, soit pour ne pas être empêché de changer de voie si les besoins des adhérents sont différents, ou si une opportunité se présentait. Car il faudra alors des fonds pour pouvoir la financer.
Pour acheter les matériels des Cuma, le crédit-bail n’est pas la formule retenue car les loyers ne sont pas suffisamment étalés sur un nombre conséquent d’exercices. Le crédit-bail rentre encore malheureusement dans une logique d’optimisation fiscale dans laquelle les Cuma ne sont pas inscrites. Leur mode de fonctionnement repose sur la performance économique.
La location financière est souvent trop onéreuse. Mais elle peut être un mode de financement transitoire. Si le matériel donne satisfaction et l’organisation du travail entre les membres de la coopérative est bonne, les membres de la Cuma achèteront alors un nouveau matériel en optant pour une formule de financement plus classique.
Dans les toutes prochaines années, les Cuma et leur organisation vont évoluer au rythme des nouveaux agriculteurs appelés à s’installer. Pour gérer leur ferme et leur Cuma, la rationalité primera sur la dimension patrimoniale. Les nouveaux membres ne seront pas autant attachés à la propriété des matériels qu’ils utiliseront que les générations d’agriculteurs actuels. Par ailleurs, la digitalisation de la gestion des exploitations agricoles et des Cuma permet à n’importe quel agriculteur d’être membre de plusieurs Cuma simultanément.
En ayant pour la grande majorité d’entre eux comme bagage de formation un diplôme bac+2, les agriculteurs qui s’installeront prochainement auront davantage la stature d’un chef d’entreprise avec des compétences, quand leurs aînés étaient souvent de formation technique. Ils auront aussi davantage tendance à alléger leur charge de travail et à déléguer une partie de leurs tâches en faisant appel à l’entraide, aux Cuma ou à des prestataires de service. Ils souhaitent pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle. Les agriculteurs installés hors cadre familial découvriront l’entraide, la solidarité et les contacts entre agriculteurs. Autant de relations de travail qu’ils ne partageaient pas dans leur précédente vie professionnelle.
Au bilan des exploitations
Auteur: Frédéric Hénin