Les marchés des matières premières agricoles sont impactés par les mesures de protectionnisme, de plus en plus nombreuses, prises par les gouvernements. Elles sont au cœur d’enjeux géopolitiques avec le risque de générer des crises agricoles ou de les amplifier.
Depuis quelques années, les problèmes géopolitiques affectent profondément le fonctionnement des marchés mondiaux des commodités autrement dit des matières premières, a souligné Philippe Chalmin, coordinateur de l’édition du Cyclope 2019. Il a récemment présenté récemment cet ouvrage de 800 pages à Paris le 15 mai dernier.
Le protectionnisme commercial et économique s’étend. Les dernières mesures prises par le président américain, Donald Trump à l’égard de l’Iran pour l’empêcher d’exporter du pétrole et pour asphyxier son économie, s’ajoutent à une longue liste de rétorsions prises par les Etats-Unis et par plusieurs autres pays à l’égard d’autres gouvernements.
Les résultats obtenus ne sont pas souvent ceux escomptés. Les pays victimes de rétorsions protectionnistes font preuve d’une très grande résistance : ils adoptent à leur tour les mesures qui s’imposent pour restaurer leur souveraineté.
L’embargo imposé par Vladimir Poutine, président de la Russie, à l’égard des pays occidentaux durera jusqu’à 2019 et peut-être au-delà. Entre temps, le paysage agricole russe a changé en profondeur. La production de porcs couvre quasiment la demande intérieure (taux d’auto-approvisionnement de 92 %). Autrement dit, l’Union européenne ne pourra plus compter sur le débouché russe pour exporter de la viande de porc.
La Chine taxe fortement le soja et le maïs américain importés en réaction aux mesures douanières prises par le président américain. Or l’Empire du milieu achète jusqu’à 100 millions tonnes de soja et de produits dérivés par an. Toute tonne de soja supplémentaire produite en plus sur la planète est destinée au marché chinois.
Alors que le marché mondial peine à être approvisionné, les Etats-Unis croulent sous les stocks de soja. Et ils ne seront pas en première ligne pour approvisionner la Chine en volailles, en viande porcine et bovine alors que la peste porcine s’étend de semaine en semaine. En effet, le gouvernement chinois taxe le porc étasunien jusqu’à 62 % !
En fait, la peste porcine et ses conséquences économiques contrarient les mesures protectionnistes et les objectifs recherchés. Cette crise met en lumière la vulnérabilité de la sécurité alimentaire de la planète alors que de nombreux marchés de produits agricoles sont habituellement contraints de gérer des excédents.
Mais surtout, les pertes d’animaux (des millions de porcs sont abattus) modifient les fondamentaux des marchés mondiaux des viandes ovine, bovine et de volaille, aussi bien en termes de prix et de volumes. Les besoins de la Chine sont plus importants que ce que les autres pays de la planète sont capables de produire et d’exporter. La situation pourrait devenir incontrôlable.
Autre enjeu géopolitique, autre pays et autre produit : la Turquie et le coton américain importé massivement pour son industrie textile. Le pays se détourne des Etats-Unis pour s’approvisionner en coton car l’acier turc exporté outre-Atlantique est taxé une fois acheminé dans les ports américains.
Les marchés pétroliers sont aussi sur la sellette alors que l’agriculture ne peut se passer de gasoil et de gaz. Les facteurs de crise se multiplient avec récemment les attaques de navires pétroliers à la sortie du détroit d’Ormuz, voie maritime vitale pour le commerce du pétrole. Par ailleurs la Lybie et le Vénezuela sont retirés du marché pétrolier.
Mais les grandes puissances agricoles de la planète ont renforcé leur politique agricole. Leur gouvernement n’hésite pas à venir en aides aux agriculteurs si des crises surviennent. Dans ce contexte, l’Union européenne fait de cavalier seul en se désengageant des questions agricoles. La réforme de la Pac est à peine évoquée dans les programmes des candidats aux élections du Parlement européen. Le Brexit est devenu un événement mineur.
Même les accidents climatiques sont moins redoutés qu’auparavant car ils sont compensés par le retour de conditions météorologiques favorables. De plus, les marchés agricoles sont suffisamment approvisionnés pour pouvoir amortir leurs impacts : la faible récolte de céréales australienne est passée quasiment inaperçue car la production mondiale de blé 2019-2020 est annoncée excellente.
Pour autant rien n’est joué. L’hémisphère nord est entré dans la période « weather market » de floraison et de remplissage des grains, pendant laquelle les opérateurs réagissent au moindre excès de chaleur ou déficit de précipitations. (cf les articles sur les prévisions de production de céréales en 2019-2020).
L’illustration ci-dessous est issue de Adobe.