Créée pour commercialiser le blé canadien en 1935, la Commission canadienne du blé (CCB) voit son statut et ses prérogatives de nouveau chamboulées en ce début d’année. Des céréaliers affirment pouvoir faire sans. Quitte à accepter de passer sous le joug de multinationales étrangères, lorsqu’ils vendront leur blé à la nouvelle commission, après l’avoir été sous celui de la CCB.
« Une page de plus d’un demi siècle du commerce international des céréales est définitivement tournée », notent les auteurs des chapitres du Déméter 2016 intitulés « La fin de la Commission canadienne du blé (CCB) marque t-elle la naissance d’une filière nord-américaine du blé ?». « Alors qu’elle tenait la dragée haute aux grandes compagnies privées de négoce telles Cargill, Continental et Bunge et Dreyfus, un consortium Global grain group canadien et saoudien ont racheté 50,1 % du capital ». Avec option pour racheter la totalité du capital.
Au final, le projet de transformation de la CCB pourrait conduire à ce que d’autres puissances commerciales prennent définitivement le contrôle d’une grande partie de la filière canadienne. Les producteurs de blé n’ont d’ores et déjà plus la majorité du capital de commission créée pour eux en 1935.
Ses changements de statuts et de prérogatives et la nouvelle répartition du capital de la CCB témoignent, au fil du temps, de l’évolution des enjeux de l’agriculture mondiale, et par conséquent canadienne, et de sa dimension régalienne avec la nécessité, pour certains Etats, de sécuriser leur approvisionnement en entrant dans le capital de multinationales agroalimentaires.
2016 sera une année charnière pour la CCB. Le projet de transformation de l’actuelle société en participation pourrait mettre fin au débat entre ses détracteurs, opposés à ses fonctions actuelles, et ses partisans encore attachés à sa dimension régulatrice et interventionniste.
Les « anti » s’appuient sur les changements intervenus en termes de condition de production et de commercialisation depuis la création de la CCB pour défendre leurs positions. Ils font valoir que les nouvelles techniques de communication permettent aux agriculteurs de s’informer, aussi bien que des autres acteurs opérant sur le marché, des conditions de prix des marchés. Et par conséquent de prendre les bonnes décisions pour vendre leurs produits», analyse Guy Debailleul, un des contributeurs des chapitres consacrés à la CCB.
A l’étranger, les détracteurs de la CCB dénoncent aussi sa position dominante en contradiction avec les règles de l’OMC. Avec les Etats-Unis, pourtant pas avares d’interventionnisme, les relations commerciales étaient tendues.
A ce jour, 62 % des producteurs de blé et 51 % des producteurs d’orge restent attachés au guichet unique selon un sondage de la CCB. « Et pourtant, les céréales collectées par la commission ne représentent que 25 % des recettes liées aux cultures de Prairies (Alberta, Manitoba et Saskatchewan) contre 90 % en 1975 », soulignent les contributeurs au Déméter 2016. En fait, les céréaliers restent attachés à sa fonction d’aiguillon, même si chacun d’eux accepte que sa position de guichet unique n’est plus d’actualité.
Et puis, le bilan économique de l’action de la CCB est globalement positif. « Dans le temps, les céréaliers ont bénéficié de primes liées à une meilleure vente de leurs grains », soulignent les contributeurs du Déméter 2016 en s’appuyant sur les résultats de différentes études statiques.
La CCB a été créée en 1935 et ses statuts ont changé en 1943, en 1998 et 2011. Ses missions étaient en phase avec les objectifs qui lui étaient assignés. Lors de sa création, il devenait urgent de protéger les céréaliers confrontés à un effondrement du prix du blé en imposant une politique de prix. Mais aussi en rendant obligatoire sa commercialisation.
En 1949, ce caractère obligatoire était étendu à l’orge et à l’avoine, et ce jusqu’en 1989. Mais dans les années 1970, la CCB n’a pas accompagné la diversification de la céréaliculture (légumineuses, canola, lin).
Enfin, l’année 2011 signe la fin du monopole de la CCB. Les producteurs de blé sont libres de choisir leur partenaire commercial.
Pendant toutes ces années, les agriculteurs étaient plutôt éloignés des centres de décision de la CCB. Des représentants agricoles n’ont pu entrer dans le conseil d’administration qu’en 1998 où ils étaient alors majoritaires. Mais depuis 2011, les agriculteurs sont absents des prises de toutes les instances de décision.
Outre la gestion de la production et de la commercialisation du blé (et pendant un temps de l’orge et de l’avoine), la CCB avait pour mission gérer sa qualité réputée à forte valeur boulangère.
La commission remplissait aussi des fonctions logistiques. Maîtriser les couts de transport est un enjeu de compétitivité et d’équité pour la filière du blé. Le Canada exporte en effet les deux tiers des céréales avec des distances moyennes des exploitations de plus de 2.200 km du port d’embarquement le plus proche. C’est pourquoi la CCB garantit un tarif unique au kilomètre.
Avec les frais de manutention et de stockage, la logistique représente jusqu’à 30 % de la valeur ajoutée du blé soit deux fois plus que le coût des intrants et autant que les amortissements de matériels.
Notre illustration montre des silos de Québec au Canada, et est issue du site Fotolia. Lien direct : https://fr.fotolia.com/id/97758561