La commune de Corsept, 2 700 habitants en Loire-Atlantique (proche de Saint-Nazaire à vol d’oiseau, mais de l’autre côté de l’estuaire de la Loire) a décidé de se séparer d’un troupeau de vaches highlands, utilisées jusqu’alors en éco-pâturage. Une décision qui a ému une partie de la population, habituée à ce voisinage paisible. A travers cet exemple précis, analyse d’une pratique (l’éco-pâturage), avec ses bienfaits mais aussi ses limites.
Depuis quelques semaines, le comité de soutien aux vaches de Corsept remue ciel et terre pour s’opposer à une décision du conseil municipal datant du 18 mai dernier, selon laquelle la municipalité se sépare de son troupeau de vaches highlands. Une pétition en ligne récolte chaque jour de nouvelles signatures (plus de 27 000 à l’heure de la parution de cet article, venant… du monde entier !), et un envoi de cartes postales signées par les vaches elles-mêmes à chaque habitant de la commune a valu un article dans Ouest-France (entre autres retours médiatiques, lien en fin d’article). Même le célèbre photographe et réalisateur Yann Arthus-Bertrand, connu pour ses prises de position en faveur de l’environnement, est pressenti par le comité de soutien en question pour défendre les vaches…
De quoi s’agit-il exactement ? En 2009, la précédente équipe municipale décide d’acheter une dizaine de vaches highlands pour entretenir les abords d’une digue. Le choix de la race n’est pas anodin, ces vaches d’origine écossaise sont paisibles, agréables à regarder, et répondent parfaitement à une forme d’image que souhaite développer alors la mairie, en même temps que le tourisme. D’ailleurs, au fil du temps, la population locale s’attache, et les highlands contribuent au but de la promenade vers la digue en question.
Il faut dire aussi que nous sommes à une époque où l’écopâturage, c’est-à-dire une solution écologique et naturelle à l’entretien d’une parcelle ou d’un bord de chemin, a le vent en poupe. Les exemples se multiplient un peu partout en France, la tendance est à l’environnementalisme.
C’est donc avec amertume que plusieurs citoyens ont découvert la décision du conseil municipal de mai dernier. Marie Piveteau, présidente du comité de soutien aux vaches du Corsept (et à l’origine des différentes actions, pétition en ligne et cartes postales), explique ainsi à WikiAgri : « Ces vaches rustiques entretiennent 17 heures par jour et 7 jours sur 7, elles sont appréciées, quasiment autonomes… Qui peut en faire autant ? Par ailleurs, la raison invoquée, à savoir la mise en place de la piste « La Loire à vélo » sur notre commune passant par l’endroit où les vaches sont parquées actuellement ne me paraît pas tenir debout : cette piste ne sera ouverte qu’en 2017 – déjà on aurait pu attendre cette date – et il me semble qu’il existe des chemins en montagne avec des vaches à proximité et que ça ne gêne en rien les promeneurs…«
Mais attention toutefois, car le dossier est loin de présenter un aspect aussi manichéen qu’il y paraît. La mairie a des arguments, et ce sont les conseillers municipaux Jean-Claude Leblanc et Pascal Chevalier, appartenant tous deux à la commission communication, qui ont expliqué la décision votée en mai à WikiAgri : « Nous allons effectivement accueillir en 2016-2017 le dernier tronçon de « La Loire à vélo« . Nous avons pour cela un cahier des charges à tenir. Les promeneurs, à pied ou en vélo, doivent pouvoir y circuler librement, sans risque de rencontrer une vache, ni une de leurs déjections. De plus, le sentier prévu n’est pas en dur, et ne peut supporter un piétinement trop fort. Ce n’est pas nous qui avons choisi ce revêtement, le Conseil départemental, en la circonstance, a obéi au fait que nous soyons en zone Natura2000 et aux obligations environnementales inhérentes. Nous avons donc l’obligation d’enlever les vaches de ce site, et comme ce sont des vaches qui ont besoin d’espace, les laisser à côté, sur une zone beaucoup plus petite, ne peut pas leur convenir.«
La décision a donc été prise de vendre les vaches. « Mais pas à l’abattoir, comme j’ai pu le lire sur des réseaux sociaux, précise Jean-Claude Leblanc. Quatre vaches ont déjà été vendues pour une autre raison, il fallait éviter des problèmes de consanguinité, qu’un petit ne fraye avec sa mère par exemple. Et cette vente ne s’est pas faite en direction d’un abattoir, mais vers une autre commune (Ndlr : en l’occurrence Cordemais). »
Il existe donc une raison très locale (la piste cyclable), mais aussi d’autres raisons qui montrent que, malgré l’engouement suscité, l’éco-pâturage présente des limites. Jean-Claude Leblanc reprend : « Il ne faut pas croire que la décision de vendre les vaches a été prise gaieté de coeur, loin de là. Ceux qui, parmi l’équipe municipale actuelle, ont fait partie de la précédente et qui ont donc vécu leur arrivée sont même déchirés à l’idée de s’en séparer, un crève-coeur pour eux. Mais cela devient, au-delà du problème de « la Loire à vélo », difficile à gérer. Il faut du personnel municipal affecté aux soins des animaux. Ils ne sont pas vachers de formation, ce n’est pas simple pour eux. Ensuite, dire que les vaches assurent tout l’entretien n’est pas vrai. Par exemple, elles ne peuvent pas avaler les chardons, nous devons donc de toutes façons intervenir pour l’entretien de la digue et de ses abords malgré leur présence. Et puis, nous nous sommes rendus compte de toutes les obligations auxquelles sont assujettis les éleveurs, et auxquelles la municipalité a dû répondre. Quatre vaches ne portaient pas de boucles par exemple, il a fallu leur en donner. Et toutes ces normes à respecter, c’est compliqué… Notre métier n’est pas d’être éleveurs. Sans compter que nous avions, au début, des coups de main bénévoles des agriculteurs proches de chez nous, par exemple pour rameuter les bêtes et les faire revenir dans l’enclos quand ce dernier présentait une faille. Or, chez nous comme ailleurs, le nombre d’agriculteurs diminue, c’est donc toujours vers les mêmes que l’on se tourne quand on a un problème à régler avec les highlands, et ils ne sont pas toujours disponibles. Le bénévolat a ses limites, il faut les comprendre aussi…«
Pour les 6 vaches encore présentes, la vente approche, elle aura lieu en septembre. « Nous sommes réellement attachés à elles, nous ferons attention à ce qu’elles trouvent un nouveau domicile qui leur convienne« , assurent les deux conseillers municipaux. Ils laissent également une porte ouverte : « Si des locaux, associations ou privés, veulent s’occuper d’elles, sur un autre espace que l’actuel puisqu’il faut le libérer, mais à proximité immédiate du futur circuit « Loire à vélo », nous n’avons rien contre, ils peuvent participer à la vente, racheter les vaches…«
En résumé, nous sommes devant des bons sentiments sincères (ceux de Marie Piveteau et des autres membres de son comité de soutien), mais aussi avec une municipalité tout aussi sincère qui se heurte à différentes normes (pour la piste cyclable, pour l’entretien des bêtes…) et qui a cherché une solution en rapport. La mairie n’a sans doute pas su comment communiquer jusqu’à présent (merci aux deux conseillers qui ont répondu à WikiAgri pour éclaircir le dossier), mais n’oublions pas tout de même qu’il ne s’agit « que » d’une commune de 2700 habitants, c’est difficile de demander à des élus ruraux (majoritairement bénévoles, ou très peu rémunérés pour le maire et ses adjoints) de savoir comment s’y prendre en la matière, alors que ceux qui ont suivi des formations ont davantage été dans le sens de la gestion communale que de la comm’ (je parle ici en général, sans connaître le cas des élus de Corsept).
Bref, on ne peut pas incriminer la mairie et ses décisions, car elle a répondu, avec ses moyens, à une problématique qui lui a été posée… Tout en comprenant la motivation de Marie Piveteau, passionnée, et dont l’action pose finalement une question de fond (au-delà du cas précis) digne d’intérêt : pourquoi, dans une société qui prône l’initiative environnementale, ne parvient-on pas à rendre l’éco-pâturage non seulement agréable, mais aussi durable ?
Au passage, les éleveurs et autres agriculteurs qui lisent d’habitude WikiAgri n’auraient pas compris qu’une municipalité n’ait pas les mêmes obligations qu’eux en matière d’élevage, y compris pour de l’éco-pâturage : édicter une réglementation simplifiée et/ou des moyens d’accompagnement à des territorialités pour l’éco-pâturage rencontrerait donc des résistances de leur part, ou des demandes similaires. Il s’agit aussi d’une manière imprévue, mais finalement efficace, de montrer combien le monde agricole est assujetti à des réglements en cascade bien plus compliqués que le commun des mortels ne peut l’imaginer.
Un regard vers d’autres initiatives d’éco-pâturage montre que, bien souvent, un contrat est passé entre la mairie et une petite entreprise ou une association qui, elle, s’occupe des bêtes. Ce sont aussi, souvent, des municipalités plus importantes qui sont concernées, avec davantage de moyens (et qui peuvent donc accorder une ligne budgétaire à cette entreprise externe).
Pour les vaches highlands aujourd’hui encore au Corsept, c’est vrai qu’elles sont sympas, personne ne revient là-dessus. Elles ont, dans ce dossier, un énorme mérite : avoir su s’attirer une sympathie, un engouement peu communs. Il y aura même un pique-nique géant organisé en leur honneur par le comité de soutien le 20 septembre, soit pendant les journées du patrimoine, où l’on revendique donc leur appartenance…
Finalement, une seule certitude, elles vont manquer énormément à leur environnement de Corsept le jour où elles partiront, quel qu’il soit…
En savoir plus : http://www.ouest-france.fr/insolite-corsept-les-vaches-ecrivent-une-carte-postale-aux-habitants-3638933 (article de Ouest-France sur les cartes postales du comité de soutien) ; http://www.juristes-environnement.com/article_detail.php?id=1539 (très intéressant point de vue juridique sur l’éco-pâturage) ; http://entretien-nature-territoire.fr/historique/leco-pastoralisme (pour mieux connaître l’éco-pâturage) ; http://www.ecopaturage.com (site spécialement dédié à l’éco-pâturage urbain) ; https://www.facebook.com/pages/Comité-de-soutien-aux-vaches-de-Corsept/982555251808040 (page Facebook du comité de soutien aux vaches du Corsept) ; https://www.facebook.com/events/936124959760019 (événement Facebook : le 20 septembre un pique-nique doit avoir lieu, organisé par le comité de soutien) ; http://www.mesopinions.com/petition/animaux/sauvons-vaches-corsept/14602 (la pétition en ligne qui a recueilli plus de 27 000 signatures au 27 août 2015) ; http://www.corsept.fr (site de la mairie de Corsept).
Ci-dessous, une des vaches highlands de Corsept (crédit photo : DR).