Pour cette nouvelle rubrique « agronomie » qui s’ouvre sur WikiAgri, voici le premier opus d’une série sur le rôle de l’enseignement dans l’amélioration des pratiques culturales, avec l’explication de la méthodologie utilisée. Les volets suivants parleront des expériences précises de terrain.

Après 5 ans d’existence, le plan Ecophyto, adaptation française du « paquet pesticides » européen, fait parler de lui. Si les résultats sont loin d’une diminution « de 50 % » annoncée au démarrage du projet, ce dernier a permis d’enclencher une certaine dynamique de réflexion à des systèmes de culture plus économes en intrants. Du côté des professionnels, des groupes de fermes ont été mis en place pour expérimenter les « SdCi » (systèmes de culture économes en intrants). Ce sont les fermes du réseau Dephy. Mais pour assurer une transmission des connaissances et une mise en pratique de ces dernières sur le long terme, il fallait intégrer les lycées agricoles dans le processus. Ainsi, l’action 16 du plan Ecophyto regroupe aujourd’hui 36 établissements, qui expérimentent l’innovation agronomique avec un objectif pédagogique fort.
Wikiagri vous propose d’aller à la rencontre des ces établissements, sur plusieurs articles. Philippe Cousinié, animateur national du réseau Agronomie-Ecophyto, présente le projet.
Quel est l’intérêt d’intégrer les exploitations des lycées dans le plan Ecophyto ?
P.C. : Les exploitations des lycées agricoles ont historiquement un rôle pilote pour développer et diffuser les innovations agronomiques. Elles sont intégrées dans un établissement d’enseignement technique agricole, cadre privilégié pour tester des systèmes de culture ; la prise de risque y est plus facile que dans une exploitation « classique ». Un processus collectif peut aisément se mettre en place entre l’équipe de direction, le directeur de l’exploitation, les enseignants, les élèves, les acteurs du territoire et ceux de la recherche. La présence d’une équipe d’enseignants apporte un appui très local dont les autres exploitants ne peuvent souvent pas bénéficier. Le travail d’équipe est d’ailleurs l’une des clés de la réussite du projet. Et, bien entendu, il y a un support au niveau national. La ferme du lycée constitue ainsi un véritable laboratoire d’innovations. L’expérimentation dans les lycées agricoles a un impact pédagogique sur les professionnels agricoles de demain, mais aussi sur les enseignants qui les forment, et enfin sur le milieu professionnel local.
Les systèmes de culture développés dans les lycées représentent-ils l’agriculture française de demain ?
P.C. : Au moins en partie, puisque les lycées ne sont pas non plus représentatifs. A titre d’exemple, 13 % des surfaces engagées dans l’action 16 sont en agriculture biologique contre seulement 4 % au niveau de l’agriculture nationale. Les exploitations de l’enseignement agricole ont juste pris de l’avance en prenant plus de risques et en bénéficiant de nombreux conseils. Le processus d’innovation en lycée est très particulier car il est systémique (nombreux leviers agronomiques combinés entre eux), et il s’appuie sur de nouvelles compétences et sur une co-construction. Cependant, l’innovation à grande échelle vers des systèmes de cultures économes, résilients et performants demandera une évolution de l’ensemble des acteurs vers de nouvelles compétences, de nouveaux réseaux avec un soutien de l’action publique pour lever le verrouillage sociotechnique qui rend encore difficile les changements au sein des filières agroalimentaires et des marchés. Les lycées agricoles démontrent que les changements de notre agriculture sont possibles mais essentiels pour évoluer vers un paradigme respectueux de l’environnement et responsable vis-à-vis des générations futures. L’action 16 dans les lycées montre que les innovations agronomiques contribuent à la transition agroécologique et que la prise en compte de l’environnement comme priorité préfigure l’agriculture française de demain sans remettre en cause sa performance économique.
Pouvez-vous citer les lycées qui ont obtenu les résultats les plus intéressants ?
P.C. : En grandes cultures, ce sont les lycées d’Arras, Toulouse, Chartres et Brie-Comte-Robert qui se démarquent. Nous avons aussi les lycées de Quétigny, Coutances et Chambray en polyculture-élevage… A Chartres par exemple, l’exploitation a développé cinq systèmes de cultures, situés à des degrés d’innovation différents : un système raisonné qui sert de témoin, un autre en agriculture biologique, un en semis direct et non labour, et deux systèmes intégrés. Le système en semis direct ne s’est pas avéré être très économe en intrants. Les systèmes intégrés combinent différents leviers agronomiques : rotation, variétés, date de semis décalée, intercultures, diminution du recours au labour. L’un des deux systèmes intègre également le désherbage mécanique. Dans les deux cas, les systèmes sont efficaces : le recours aux produits phytosanitaires est diminué et la marge est maintenue, voire augmentée.
Le projet va-t-il plus loin que la réduction de l’usage des produits phytosanitaires ?
P.C. : Par leur position géographique, les lycées vont forcément au delà. Ils répondent souvent à des objectifs liés à de forts enjeux locaux et territoriaux, que nous avons identifiés. 1) La réduction des intrants, à la fois engrais, produits phytosanitaires et aliments, ce qui contribue à l’autonomie de l’exploitation. 2) La fertilité des sols, avec particulièrement en polyculture-élevage une hausse des apports en matière organique. C’est le cas des lycées de Chambray et Obernai. 3) La maîtrise des ravageurs, notamment par la lutte biologique en arboriculture 4) La qualité de l’eau, dans des zones fortement contaminées. Les lycées de Brie-Comte-Robert et Chartres ont fortement œuvré pour répondre à cet enjeu, en mobilisant notamment les MAE. 5) L’autonomie alimentaire, favorisée par une augmentation de la surface en légumineuses qui passe de 10 à 15% de la SAU. 6) La biodiversité ; l’action 16 a été dans de nombreux lycées liée au projet BiodivEA « Biodiversité dans les exploitations agricoles ». Ainsi, la surface en Infrastructures Agro Ecologiques (IAE) a augmenté de 16% en moyenne dans les fermes de lycées de l’action 16. 7) L’adaptation au changement climatique. Le lycée de Valence, en polyculture élevage, a mis en avant cet objectif par l’introduction de mélanges variétaux et d’intercultures.
Quels sont, selon vous, les clés de la réussite du projet ?
P.C. : Bien entendu, les lycées, où le projet fonctionne le mieux, étaient déjà impliqués dans une logique de durabilité avant de s’engager dans l’action 16. Ensuite, l’ancrage du lycée dans le territoire est important ; le projet doit être connu des acteurs locaux et ceux-ci doivent s’y impliquer. L’approche systémique est essentielle, et le RMT (Ndlr : réseau mixte technologique) « Systèmes de Culture Innovants » en lien avec l’Inra (Ndlr : qui a notamment travaillé sur l’élaboration du guide Stephy) constitue une base de travail essentielle des lycées impliqués. De plus, on observe une efficacité accrue des projets dans les lycées qui ont un lien fort avec les acteurs de la recherche et de la formation. Enfin, le travail d’équipe est essentiel, car la mise en place de systèmes de culture innovants mobilise des disciplines très variées : biologie, agronomie, zootechnie, agroéquipement, économie… Et l’équipe doit accepter la prise de risques !
En savoir plus : http://www.adt.educagri.fr/index.php?id=216 (la carte des lycées agricoles engagés dans l’action 16).
Illustrations ci-dessous : les études sur le terrain à, respectivement, Arras, Chambray, et Obernai.