Les éleveurs laitiers déplorent, comme tous les autres producteurs de bovins viande, une mévente de leurs animaux, et de leurs vaches de réforme en particulier. La moindre rentabilité de la production de lait et l’afflux de vaches réformées accentueraient-ils la baisse des prix de la viande ?
Depuis le mois de mai 2015, le rythme des abattages de vaches laitières en France est supérieur à ceux des deux campagnes laitières précédentes. Ils ont augmenté dès l’automne 2013, lorsque le prix du lait payé aux éleveurs a décroché.
En Europe aussi, davantage de vaches laitières sont conduites à l’abattoir. Or, comme les deux tiers des vaches abattues sont des vaches laitières, la conjoncture du marché de la viande bovine est très dépendante du comportement adopté par les producteurs de lait. Mais l’engorgement actuel du marché de la viande par des carcasses de vaches laitières est-il uniquement lié à la faiblesse du prix du lait ?
« En production laitière, la situation financière des exploitations et la structure des coûts de production du lait conditionnent le comportement des éleveurs », explique Fabien Champion, chef de projet à l’Institut de l’élevage. Plus les coûts de revient sont faibles, plus les producteurs de lait ont les moyens de résister à une baisse de prix. C’est pourquoi l’Irlande et ses éleveurs sont dans l’ensemble moins sensibles à la faiblesse des prix du lait payés.
Mais pour les producteurs qui viennent d’investir, la priorité est l’amortissement de leurs installations et, par conséquent, le fonctionnement de leur élevage à plein régime, même si ils ne dégagent pas de bénéfices pendant quelques mois. Aussi, ils gardent le plus de vaches possible.
En revanche, d’autres producteurs de lait chercheront « à réduire la voilure » de leur élevage si les coûts de revient des « derniers litres de lait » produits reposent essentiellement sur la consommation de concentrés. Or comme les prix de ces derniers restent élevés, cette production de lait n’est évidemment plus rentable au-delà d’un certain seuil.
Mais cet automne, l’augmentation du nombre de vaches abattues en France, et de gros bovins viande en général, est aussi une conséquence de la sécheresse de l’été dernier. Et là où elle a sévi, elle a affecté tous les éleveurs, sans distinction. La pénurie de fourrages grossiers a en effet incité une partie des producteurs, les plus touchés, à se séparer d’animaux. Et en se procurant un peu de trésorerie, les éleveurs espèrent avoir dégagé les moyens financiers pour conserver les animaux nécessaires pour la prochaine campagne.
Prix du lait faible, sécheresse etc. Tous ces facteurs concourent à créer encore de plus fortes concurrences entre différents segments de la filière bovine déjà très tendus Ce qui conduit à en déclasser certaines aux dépens d’autres et à faire baisser les prix.
Par exemple, les vaches laitières réformées en France sont en compétition avec les allemandes et avec des vaches allaitantes écartées des secteurs bouchers.
D’autres facteurs conjoncturels et géopolitiques perturbent aussi, depuis des mois, le fonctionnement des marchés de la viande. Comme l’embargo russe, évidemment… Et plus récemment, la Fco (fièvre catharrale ovine) ! Cette épidémie contraint les producteurs des zones atteintes à conserver leurs jeunes broutards devenus inexportables et à vendre des vaches allaitantes pour libérer de la place dans les bâtiments d’élevage et, là encore, pour dégager de la trésorerie. Dans certaines localités, la Fco s’ajoute à aux déficits fourragers
Enfin, la notification des aides couplées aux éleveurs en production bovine pourrait conduire à une nouvelle décapitalisation en cheptel dans les prochaines semaines. « Des éleveurs, qui ont conservé de nombreuses bêtes dans l’espoir de se constituer un portefeuille important de droits à primes, pourraient en effet être tentés de se débarrasser des animaux excédentaires si ces derniers ne sont pas au final primés », explique Fabien Champion. Affaire à suivre.
En revanche, les ouvertures récentes du marché turc et de d’autres pays aux importations d’animaux vivants ou abattus constitueront de nouveaux débouchés à l’export pour la filière de viande bovine. Ils pourraient au final détendre le marché européen de la viande et par ricochet, le marché français. La nouvelle plateforme commerciale France Viande Export sera peut-être le dispositif approprié pour structurer ces nouveaux débouchés.
L’engorgement du marché de la viande par les l’abattage de vaches réformées est un sujet pris au sérieux par plusieurs ministères de l’Agriculture de l’Union européenne dont le nôtre. A l’avenir, l’approvisionnement du marché en vaches de réformes pourrait-être un indicateur déterminant retenu pour apprécier l’évolution de la conjoncture et pour prendre, par conséquent, les mesures politiques qui s’imposent.
Photo d’archives, prise lors du denrier salon de l’Agriculture à Paris.