Les conférences autour du biocontrôle et les publications se multiplient. Les conseillers et techniciens des distributeurs en parlent à leurs agriculteurs, les pôles de compétitivité dans le secteur se développent. Le point sur un secteur déjà en vogue en maraichage, vigne ou arboriculture, mais encore à la traîne pour les grandes cultures, alors qu’une offre existe.
« Il y a encore peu, le biocontrôle était un concept encore très flou, qui aujourd’hui se structure très vite. On sent une vraie préoccupation pour l’environnement chez les agriculteurs, qu’il n’y avait pas il y a quelques années encore », témoigne Guillaume Lefranc, chef produit chez Goëmar.
Phéromones, insectes parasites, acariens, champignons, bactéries et extraits de plantes font désormais partie intégrante des méthodes de lutte contre les bioagresseurs. Si les firmes ont nettement progressé pour réduire l’impact environnemental des produits phytosanitaires conventionnels, elles investissent également pour répondre à une demande sociétale… que les agriculteurs ressentent vivement. Les produits de biocontrôle sont fondés sur la gestion des équilibres de population de bioagresseurs plutôt que sur leur éradication systémique. Ils font appel à des mécanismes naturels et se classent en quatre familles : microorganismes, macroorganismes, médiateurs chimiques, et substances naturelles. A ne pas confondre avec les biostimulants, qui sont du domaine de la nutrition et non de la protection. Ces derniers visent à stimuler les processus naturels d’absorption des agents nutritifs ou à accroître leur utilisation par les plantes.
Le développement du biocontrôle à l’échelle planétaire montre que le cadre règlementaire n’est pas seul en cause. Les coopératives développent leurs propres solutions et les utilisent, les instituts techniques intensifient leur expertise dans le secteur, les laboratoires développent de nouveaux produits, les pôles de compétitivité se multiplient. Selon IBMA France, association de promotion du biocontrôle, l’Hexagone compte plus de 70 PME et grands groupes avec une forte croissance à l’export, avec de nombreuses créations de start up (environ 20 par an). Estimé à 100 millions d’euros, le marché du biocontrôle français représente aujourd’hui 5 % de celui des produits de protection des plantes, avec 15 à 20 % de croissance annuelle dans le monde. L’ambition d’IBMA France est d’atteindre 15 % du marché français des phytosanitaires d’ici 2018.
Si le biocontrôle est aujourd’hui largement présent en maraîchage (75 % des surfaces protégées avec utilisation d’insectes auxiliaires) vigne et arboriculture (plus de 50 % des surfaces sont protégées grâce à l’utilisation de phéromones techniques de confusion), le secteur des grandes cultures est encore peu concerné. Dans son rapport préfigurant Ecophyto 2, le député socialiste Dominique Potier indique, qu’ « en grandes cultures, les trichogrammes sont utilisés sur 5 % des surfaces en maïs pour lutter contre la pyrale. Seulement 2 % des surfaces de blé et de colza seraient concernées par la lutte biologique ». Alors que le potentiel de diffusion porterait principalement sur la pomme de terre (30 à 40 % des surfaces), le maïs (15 % des surfaces environ), le blé et la betterave (10 % des surfaces).
Aujourd’hui, la plupart des mécanismes de biocontrôle sont représentés en grandes cultures (sauf les médiateurs chimiques), mais les solutions sont encore peu nombreuses. La famille des macroorganismes est représentée par le trichogramme, commercialisé par Biotope. Côté microorganismes on trouve Acapela Soft Control, proposé depuis peu par DuPont, ainsi que Contans WG (Belchim), tous deux destinés à la protection du colza
L’homologation récente de Beloukha (Jade) vient compléter le groupe des substances naturelles, déjà occupé par l’anti-limace Sluxx (Certis) et Vacciplant (Goëmar).
Depuis sa création en 1971, l’entreprise bretonne Goëmar a développé les produits à base de substance issues de la mer, est présente dans 45 pays et détient 10 brevets. Goëmar est connu surtout pour le Vacciplant, produit à base de laminarine, un oligosaccharide issu de l’algue brune Laminaria digitata utilisable sur grandes cultures et cultures spécialisées. La plante reconnaît la laminarine comme un signal d’attaque qui déclenche ses mécanismes de défense. A l’origine développé pour lutter contre la septoriose sur le blé, Vacciplant peut être utilisé sur toutes les céréales à paille et contre toutes les maladies. « Nous avons largement dépassé les 100 000 hectares protégés par Vacciplant, notre objectif est d’atteindre un hectare sur 10 » précise Guillaume Lefranc.
Parmi les utilisateurs de Vacciplant, Denis Callu, agriculteur en semis direct sur 105 hectares dans le Loir-et-Cher, vise la préservation de la vie du sol. « Les organismes du sol sont essentiels pour dégrader la grande quantité de pailles présente sur mes parcelles. Je dois les préserver, et je souhaite en général diminuer les impacts négatifs des traitements sur les auxiliaires de culture. » Selon lui, le biocontrôle est plus facilement utilisé par les agriculteurs qui ont une forte conscience environnementale et ont compris que la biodiversité pouvait leur être utile. Vacciplant remplace jusqu’à 50 % de la dose du fongicide conventionnel appliqué en début de cycle sur céréales. Mais les seuls bénéfices environnementaux ne sont pas encore un argument suffisamment fort pour assurer un développement important du biocontrôle chez les céréaliers.
Depuis sa mise sur le marché en 2011, Sluxx s’est rapidement fait connaître auprès des céréaliers. Cet anti-limace est composé de phosphate ferrique, élément qui entraîne un blocage immédiat de l’alimentation (intoxication au fer). Les limaces s’enterrent par réflexe car elles ont l’impression d’être rassasiées et meurent dans le sol. D’après une enquête menée par la coopérative Union Terres de France, quatre utilisateurs sur cinq sont très satisfaits de Sluxx. Les raisons avancées : « préservation de la faune », « moindre toxicité » et « utilisable en bio ». 83 % des utilisateurs sont satisfaits de l’efficacité et de la facilité d’utilisation du produit. Mais un argument qui revient très souvent est que la facilité d’usage du Sluxx. Denis Callu l’utilise également : « Je souhaite préserver les vers de terre et les carabes, intoxiqués par les anti-limaces classiques. Il faut simplement faire attention à l’épandre uniquement quand les limaces n’ont rien d‘autre à manger, et adapter la dose. » A noter que Certis propose également Cerall, un fongicide naturel (à base d’une bactérie) pour la protection des semences de céréales contre les pathogènes des semences de blé, seigle et triticale.
La société belge Belchim a été pionnière dans le domaine du biocontrôle avec Contans WG. Le produit, à base de coniothyrium minitans (un champignon naturel du sol), est utilisable sur toutes les cultures concernées par sclérotinia. Au contact d’un sclérote (forme de conservation du sclérotinia), les spores de ce coniothyrium germent et envahissent le sclérote qui va progressivement être détruit. Contans WG réduit le potentiel infectieux pour décontaminer le sol. « En grandes cultures, Contans WG est utilisé sur soja, tournesol et colza, dans des proportions variables selon la virulence de la maladie, qui dépend du contexte climatique. L’utilisation est plus importante sur la façade atlantique et en Bourgogne par exemple », précise Jean-Philippe Boulon, chef produit chez Belchim. La société transfèrera ce dossier de biocontrôle à Bayer en juillet prochain.
Les producteurs de pomme de terre peuvent, depuis une dizaine d’année, protéger leurs productions contre le doryphore grâce à Novodor® FC. « Le produit, sous forme liquide, contient des cristaux protéiques issus de Bacillus thuringiensis tenebrionis. Ingéré par la larve de doryphore, il entraîne la destruction des parois intestinales puis la mort de l’insecte » explique Christophe Zugaj, responsable communication et études chez De Sangosse. Mise à part une application au stade précis du ravageur (L1-L2), le produit ne présente pas de problématiques de stockage ou de pulvérisation. Son prix plus élevé qu’un insecticide classique limite à ce jour son développement chez les producteurs classiques. « Novodor® FC, spécifique du doryphore, n’affecte pas la faune auxiliaire. Cette dernière peut donc aussi agir positivement contre les ravageurs, ce qu’apprécient particulièrement les producteurs en bio », précise encore Christophe Zugaj. Le produit est aujourd’hui utilisé sur pomme de terre en agriculture biologique et conventionnelle.
De Sangosse se positionne également sur le marché du trichogramme sur le maïs, avec Trichosafe® et Bio-Logic®. Les produits sont présentés sous la forme de plaquettes sur lesquelles sont déposés les œufs de la micro-guêpe, avec sept périodes d’émergences différentes, d’où une libération progressive des femelles, qui pondent de manière échelonnée dans les œufs de pyrale, garantissant une protection dans le temps. A raison de 30 plaquettes par hectare, la pose prend 15 à 20 minutes. Sous la forme de capsules à raison d’une centaine par hectare, elles sont épandues par enjambeur ou hélicoptère, soit un gain de temps sur de grandes surfaces. Aujourd’hui, 120 000 hectares de maïs sont protégés par le trichogramme, dont environ 40 % par De Sangosse, qui proposera prochainement un outil d’aide à la décision novateur pour prévoir les pics de vols de pyrales plus localement.
La société souhaite clairement développer les solutions de biocontrôle. Après Neoprotec®, labellisé par Agrimip Innovation en 2009 pour le développement de solutions naturelles et durables pour la lutte antifongique en viticulture, arboriculture et cultures maraîchères, elle vient de créer un nouveau laboratoire commun « BioPlantProtec ® » avec le laboratoire de recherche en sciences végétales (LRSV – université Toulouse III – Paul Sabatier / CNRS) soutenu par l’agence nationale de la recherche. Une source majeure de matières actives naturelles sera constituée de microorganismes qui se développent au contact des plantes (rhizosphère, phyllosphère), et qui participent à leur protection contre les organismes pathogènes.
« Notre défi est d’apporter des solutions à toutes les formes d’agriculture, sans les opposer. Nous travaillons donc à la recherche et au développement de solutions au travers de produits naturels et de synthèse, de confusion sexuelle et de parasitoïdes, de techniques culturales et d’outils d’aide à la décision. Pour De Sangosse, la protection des plantes sous toutes ses formes s’impose comme une réponse aux enjeux de demain », ajoute Christophe Zugaj.
« Les résultats d’essais chez 96 agriculteurs, sur près de 1000 hectares, montrent que, dans la majorité des cas, Acapela Soft Control est aussi efficace, voire plus, que leur programme habituel », affirme Jean-Marc Saurel, de la société DuPont. Le fongicide, dont les premiers usages sur colza sont prévus au printemps, associe une strobilurine (Acapela 250 SC) à Ballad, produit à base de la souche bactérienne bacillus pumilus, homologué en tant que fongicide anti-sclérotinia. La bactérie produit des métabolites qui empêchent le développement des sclérotes sur la feuille et les pétales du colza, mais avec une plus grande irrégularité de résultats qu’un fongicide conventionnel. D’où l’idée de le coupler avec Acapela 250 SC.
« Sclérotinia est présent 9 années sur 10, et virulent 2 sur 10. On ne peut modéliser la maladie afin d’estimer le risque, ce qui rend les traitements préventifs obligatoires. Sur 1,5 millions d’hectares de colza cultivés en France, 93 % sont protégés contre le sclérotinia. Nous devions proposer une solution qui assure un résultat régulier » témoigne le chef produit fongicide. Acapela Soft Control devrait séduire les agriculteurs. « Nous pensons qu’un produit de biocontrôle est accepté par les utilisateurs s’il répond au cahier des charges suivant : techniquement simple d’utilisation, efficace, et acceptable en termes de coût », ajoute Jean-Marc Saurel. Avec un investissement moyen de 41€/ha par passage, ce qui équivaut à un fongicide conventionnel, Acapela Soft Control peut jouer dans la cour des grands.
Après 5 ans de développement et plus de 350 essais réalisés en France Belouka vient d’obtenir son autorisation de mise sur le marché (AMM). Il s’agit d’un désherbant non sélectif, défanant et dessiccant destinés au défanage de la pomme de terre, désherbage de la vigne et destruction des rejets de vigne, et espaces verts.
« Nous sommes en attente d’une homologation pour la gestion des couverts végétaux, et des essais sont en cours pour mieux appréhender l’utilisation du produit sur betterave – désherbage localisé – ou maïs, mais aussi les jardins des particuliers », précise Caroline Nguyen, responsable développement chez Jade. La substance active est un acide gras extrait du colza, l’acide nonanoïque. Il ne présenterait pas d’effet préjudiciable sur l’homme et l’environnement et ne laisserait aucun résidu dans le sol et les plantes cultivées avec une forte biodégradabilité. L’acide gras attaque et détruit les membranes des cellules de l’épiderme des végétaux. La cellule devenue perméable subit une déshydratation immédiate ; l’action du produit est visible deux heures après application. Le produit détruit une végétation jeune ou limite le développement de vivaces ou végétaux plus développés.
D’après une étude menée par Arvalis, sept jours après application, 80 % des repousses de colza sont contrôlées par Beloukha, alors que dans la même situation le glyphosate n’obtient que 40 à 50 % d’efficacité. L’efficacité diminue toutefois après 28 jours alors que celle du glyphosate augmente.
Beloukha étant le premier herbicide de biocontrôle, l’accompagnement des agriculteurs revêt une importance encore plus grande. « Nous accompagnons nos distributeurs à bien positionner le produit, notamment au niveau de la qualité de pulvérisation, car il s’agit d’un produit de contact strict », ajoute Caroline Nguyen. Beloukha, qui fait partie de la liste Nodu et IFT vert, devrait permettre de réduire les IFT herbicides et de gagner en efficacité dans des situations climatiques et techniques originales, voire de donner un espoir à ceux qui souhaitent combiner semis direct et bas niveau d’intrants.
Regroupés au sein d’IBMA, les entreprises de biocontrôle sont formelles : la technique se développera de manière pérenne à condition que la règlementation évolue, que les acteurs de la chaîne de valeur agricole soient formés, et que l’on communique sur ces produits.
Cela passe d’abord par la formation des techniciens. Antoine Grapton, ingénieur à l’ESA d’Angers et stagiaire chez Agridis sur la thématique biocontrôle, est clair sur ce point : « Les agriculteurs sont curieux mais leurs conseillers ne leur en ont jamais parlé, alors ils n’osent pas franchir le pas. Il ont besoin d’être rassurés. » D’ailleurs, une enquête de In Vivo parue en février dernier révèle que 75 % des agriculteurs se disent intéressés par les produits de biocontrôle… Leur première motivation, « parce qu’ils m’ont été recommandés par mon conseiller ». Des conseillers qui se disent à 89 % intéressés par ces produits, d’où l’intérêt de développer des formations spécifiquespour eux pour favoriser ensuite la diffusion des techniques auprès des agriculteurs.
Pour Jean-Marc Saurel, il est surtout important de « démystifier » le concept, qui comporte encore une part d’ombre chez les agriculteurs. « Il faut être pragmatique, proposer des solutions efficaces aux agriculteurs et leur expliquer que leur itinéraire de culture ne sera pas bouleversé. Plutôt que d’alternative complète, on doit parler de protection intégrée. Il vaut mieux que le biocontrôle soit introduit un peu partout chez tout le monde plutôt qu’en substitution totale au chimique chez une poignée d’agriculteurs. »
Par ailleurs, l’intégration d’un volet de formation « biocontrôle » au diplôme de Certiphyto contribue à la formation et à la mise en confiance.
Les entreprises citées – à part Belchim qui transfère le dossier Contans WG à Bayer – investissent franchement dans le secteur du biocontrôle. Les moyens alloués à la recherche pour mettre au point de nouvelles solutions augmentent, comme le montrent les multiples projets présentés à Lille le 11 mars dernier lors de la 5e conférence internationale sur les méthodes alternatives de protection des plantes.
Pour les grandes cultures, on peut citer notamment le projet Phytobio, dont l’objectif est de concevoir et produire à l’échelle pré-industrielle des biofongicides pour lutter contre les pathologies des céréales et légumes produits dans la région transfrontalière France/Belgique. Le comité Nord plants de pomme de terre a lancé un programme de recherche pour développer les méthodes de lutte contre les bactéries responsables du symptôme de jambe noire en végétation, du mildiou et des fusarioses, à partir de bactéries naturellement présentes dans les sols et susceptibles de bloquer ces maladies. Toujours sur la pomme de terre, l’université du littoral côte d’Opale mène des expérimentations sur les bénéfices des mycorhizes pour lutter contre le mildiou. Pour protéger le maïs contre le taupin, un espoir réside dans l’utilisation du champignon metarhizium anisopliae, commercialisé par Novozymes pour la culture de la vigne sous le nom de Met52 sous forme de granulé.
Signalons également les travaux en cours avec le trichoderma harzanium, appliqué en traitement de semences du maïs, qui réduirait les contaminations en fumosinines. Pour citer un dernier exemple, l’université de Brest travaille en collaboration avec une entreprise allemande sur la stimulation des communautés fongiques naturellement présentes dans le sol pour lutter contre la fusariose sur triticale.
En savoir plus : http://www.desangosse.fr/article/agriculture/bio-controle (le biocontrôle expliqué sur le site de De Sangosse).
Photo ci-dessous, plaquette de trichogramme (De Sangosse).
Photo ci-dessous, l’algue brune laminaria saccharina, dont est extrait le principe actif utilisé par Goemar pour Vacciplant.
Photo ci-dessous, l’utilisation du Sluxx préserve les auxiliaires tels les carabes.
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Pas de soucis pour utiliser des biocontroles, les trichogrammes le sont depuis trés longtemps chez moi et je suis même surpris du faible pourcentage que cela représente. Comme quoi les agriculteurs ne sont encore pas « murent ».
Mais ce qui me surprend le plus et le cout d’utilisation de ces produits, souvent voir toujours plus chére que la chimie…Pourquoi, est ce volontaire. Des solutions existe, et certaines d’entre elle s bien moins chére que la chimie, mais là plus de moyen pour informer, plus d’argent en circulation et donc peu d’intérêts pour la filière. Dommage