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L’assolement en commun pour « produire mieux ensemble » avec Thierry Desvaux

WikiAgri et AgriFind proposent une série de portraits d’agriculteurs, qui partagent leurs expériences et leurs résultats technico-économiques. Découvrez pour ce cinquième numéro l’interview de Thierry Desvaux membre de WikiAgri.

Présentation de l’exploitation de Thierry Desvaux :
  • SEP : Société En Participation
  • Regroupement de 4 exploitations
  • 5 associés Pierre et Jean Butin, Yves et Stéphane Bézine, Thierry Desvaux
  • 4 ETP
  • GIEE
  • Année de création : 2009
  • Département : Yonne (89)
  • SAU : 630 ha
  • Sols limono-argileux
  • Campagne 2017-18, 7 cultures en place : blé, orge d’hiver, colza, pois de printemps, pois chiche, féverole, tournesol, sarrasin, chanvre
  • Matériel au sein d’une SNC
  • 4000 T de stockage (6 cellules) gérés par une SNC
  • Membre actif de l’AFDI

Bonjour Thierry, qu’est-ce qui vous a incité toi et tes associés à créer la SEP de Bord ?

« En 2008, à 48 ans, j’avais envie de faire évoluer mon activité professionnelle. Le système conventionnel dans lequel j’étais bien installé fonctionnait bien. A l’époque, le prix des céréales était beaucoup plus avantageux qu’aujourd’hui. Ma motivation première était de changer mes méthodes de travail. Je jugeais qu’il serait plus facile d’y parvenir avec des collègues que tout seul. De plus, l’idée de ne plus avoir toutes les responsabilités et la charge de travail qui reposent uniquement sur mes épaules me séduisait particulièrement.
 
J’avais l’habitude de travailler avec mes voisins, 2 frères éleveurs de porcs et de volailles, j’épandais leur lisier et leur fumier sur mes terres, on travaillait ensemble au niveau de la récolte. Nous voulions aller plus loin dans la mutualisation. Ils connaissaient un parent qui était au sein d’une SEP (Société En Participation qui permet de gérer un assolement en commun), la SEP du Signal dans l’Aube avec laquelle nous avons pris contact.
 
Suite à cette rencontre, nous avons invité tous les agriculteurs dans un rayon proche de nos 2 exploitations pour une réunion d’information sur l’assolement en commun. Sur 20 invitations, 18 personnes sont venues. A l’issue de cette rencontre nous avons proposé aux agriculteurs intéressés par cette démarche, de nous rejoindre. Au cours de l’année 2008, nous avons effectué 300 heures de réunion à 6 ! Ce qui est énorme. Nous nous sommes, entre autre, aidés d’un guide édité par une Chambre d’Agriculture mais nous n’avons pas fait appel à un animateur externe. Au final, en 2009 l’assolement en commun de 4 exploitations géré par 5 personnes, la SEP de Bord, était né. »

Comment vous y êtes-vous pris concrètement pour mettre cette SEP en place ?

« Lors de cette année d’échange et de partage sur notre volonté de travailler en commun, nous avons procédé par étape. Nous nous sommes pris en charge avec des ordres du jour et des rapports rédigés à chaque réunion.
 
La première étape a été d’apprendre à se connaître personnellement et apprendre se connaître mutuellement.
 
Lors de la seconde étape, on a défini ce qu’on voulait faire ensemble. Pour nous c’est « Produire mieux ensemble »
 
Nous avons suivi deux formations. La première était consacrée à l’optimisation du potentiel relationnel. C’est-à-dire mieux comprendre qui l’on est, qui l’on parait être aux yeux des autres et comment s’entendre avec tel ou tel profil. La seconde nous permis de définir ensemble notre objectif commun.
 
Lors de la troisième étape, nous nous sommes attachés à savoir quel était le meilleur statut juridique pour notre projet commun.
 
La quatrième a été dédiée au volet économique.
 
La cinquième et dernière étape fut le chantier expérimental de récolte et de semis.
 
C’est bien la volonté humaine de travailler en commun qui est à l’origine du projet et non une nécessité économique. C’est très important de le faire dans cet ordre pour que l’association fonctionne bien sur le long terme. »
 

Comment votre SEP fonctionne-t-elle ?

« Une SNC est prestataire de service de la SEP pour apporter le matériel car une SEP ne peut pas juridiquement avoir d’immobilisation. Le résultat de la SEP est partagé entre les 4 exploitations au prorata des hectares apportés. Une autre SNC gère la partie stockage composée de 6 cellules, d’un pont à bascule et d’un boisseau d’expédition.
 
Concrètement, la partie élevage d’une des 4 exploitations n’est pas inclue dans la SEP. De plus, nous avons mis en place un système d’enregistrement de notre temps de travail. Normalement, la répartition du temps de travail devrait se faire de manière identique à la répartition des hectares. Mais comme il y a une différence entre les surfaces que chaque exploitation a mis en commun et que l’un des associés souhaite travailler plus que moi qui ai apporté le plus d’hectares, je lui reverse une partie de ce qui m’est dû à la fin de l’année.
 
Chaque exploitation individuelle conserve une comptabilité qui lui est propre avec les règlements de fermages, la MSA et les aides PAC.
 
Ce système m’apporte une vraie sérénité car je sais que si je suis confronté à une difficulté tout ne s’arrêtera pas. »
 

Comment fonctionnez-vous pour optimiser la gestion et les coûts ?

« Pour la quasi-totalité de nos dépenses, que ce soit pour les banques, les assurances, les semences, les engrais… nous réalisons des appels d’offre pour bénéficier d’un avantage de volume permis par la taille de notre structure. »

Vous êtes-vous répartis les rôles ?

« Oui, en fonction de nos compétences, envies et disponibilités nous nous sommes répartis les tâches. Nous fonctionnons en binômes avec un responsable pour la mécanisation, la communication, la gestion de l’assolement, la commercialisation, la comptabilité, le plan de fumure, etc… Nous travaillons en toute autonomie au quotidien, par contre pour toutes les décisions importantes sont prises d’un commun accord. L’investissement du stockage par exemple est beaucoup mieux pensé et conçu que si je l’avais imaginé seul, c’est là que l’on voit la force d’un groupe »

J’ai bien compris l’aspect « produire ensemble » mais qu’entendez-vous par « produire mieux ?

« Chacun avait ses motivations propres. Nous avons fait le choix, au cours de nos 300 heures de réunion, de l’agriculture de conservation des sols car elle correspondait aux besoins, aux souhaits de tous. A savoir : mieux répondre aux attentes sociétales, un challenge technique, une envie d’autonomie… Le problème c’est qu’on y connaissait strictement rien et que cela nous faisait un peu peur, mais à plusieurs on s’est motivé pour relever le défi. On a trouvé des ressources et des informations auprès de la Chambre d’Agriculture, du groupe AgroSol animé par une coopérative voisine et des associations BASE et APAD. Par ses différents réseaux, nous nous sommes formés et avons échangé. L’envie de travailler ensemble était forte. Nous nous sommes fédérés autour de cette notion de sol vivant.
 
Aujourd’hui, nous avons une rotation un peu spécifique : culture protéagineuse, colza, orge d’hiver, blé. Le colza bénéficie de l’apport d’azote du précédent. L’orge avant le blé nous autorise à avoir une inter-culture plus longue ce qui nous permet soit d’avoir une culture dérobée soit d’avoir plus de biomasse dans le couvert. De plus, depuis 3 ans, nous expérimentons le semis d’orge d’hiver associé avec le pois d’hiver, la couverture permanente à base de luzerne. Par ailleurs, tous nos colzas sont implantés avec des plantes compagnes. »

La transition a-t-elle été facile ?

« Sur les terres que je cultivais, j’avais observé une dégradation du taux de matière organique. Il faut du temps pour que le sol retrouve sa porosité grâce à l’activité des vers de terre notamment. Nous savions que nous prenions des risques. Ensemble il nous a été plus facile de surmonter les baisses de rendement en céréales les 2 premières années. Nous avons ensemble choisi de persister dans cette voie car notre socle commun n’était pas uniquement financier.
 
La troisième année, les rendements étaient encore légèrement inférieurs à ceux du voisinage et aujourd’hui ils sont similaires voire supérieur. Notre objectif n’est pas d’avoir le rendement le plus élevé mais d’avoir une meilleure marge nette et d’être dans un processus vertueux. Par exemple en 2016, nous avons, certes fait une très mauvaise récolte mais bien meilleure que nos voisins. Notre système a atteint un certain degré de résilience.
 
Nous avons plus d’autonomie sur notre structure grâce aux effluents d’élevage, grâce aux engrais verts et grâce à l’activité micro-biologique des sols. Aujourd’hui, l’activité biologique des sols est impressionnante ; la minéralisation du carbone et l’azote s’effectue très facilement. C’est à nous d’entretenir cette vie du sol en apportant un maximum de biomasse.
 

Témoignez-vous de votre expérience ?

« Oui, beaucoup, d’ailleurs c’est pour cela que nous avons initié notre propre GIEE. Nous accueillons très régulièrement des élèves de lycée agricole et de MFR. Nous recevons fréquemment des groupes d’agriculteurs qui s’intéressent à l’assolement en commun et/ou à l’agriculture de conservation. Je suis par ailleurs sollicité pour intervenir lors de différentes réunions, assemblées générales… J’explique cette nouvelle agriculture sur sol vivant, j’explique pourquoi et comment un groupe d’agriculteur a choisi de travailler étroitement en commun.
 
Je présente de bons résultats sociaux environnementaux et économiques : nous sommes heureux de travailler ensemble ; nous stockons du carbone produisons une eau de qualité dans le bassin de captage, couvrons les sols en permanences, plantons des haies ; nous sommes en mesure maintenant de montrer que nous sommes efficaces et résilients économiquement. Par exemple, nous avons diminué par deux nos charges de carburant.
 
On est devenu en quelques sortes une « vitrine de l’agro-écologie » dans le département de l’Yonne même si tout est loin d’être parfait, on souhaiterait être encore plus performant sur les problèmes de désherbage, de limace, de campagnols mais malgré tout, j’ai un grand plaisir à partager mon expérience et nos résultats. J’ai beaucoup d’espoir dans le développement de l’agro écologie dans les années à venir. »

Une anecdote pour conclure notre échange ?

« Dernièrement, un groupe de 28 agriculteurs d’Eure-et-Loir est venu à la SEP, à la fin de la journée, une agricultrice est venue me voir en aparté et m’a dit « Merci Thierry, tu nous as donné envie » et pour moi cela c’est le meilleur compliment que l’on puisse me faire. »
 

Vous voulez aller plus loin avec Thierry et qu’il témoigne de son expérience de terrain, retrouvez-le sur la plateforme Agrifind Connexion.

 

www.agrifind.fr

 
 

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