La technique de décomposition de la récolte du colza par andainage est éprouvée de longue date par les farmers canadiens, et remise au goût du jour plus récemment par les producteurs de colza porte-graine et en agriculture bio. Elle représente un atout pour gérer diverses situations problématiques même si les variétés modernes sont aujourd’hui bien moins sensibles à l’égrenage.
Assurer une récolte sèche et homogène, limiter les pertes, faire face à un épisode maladif, à un salissement important, ou mieux s’organiser à la moisson… En France, l’andainage du colza peut trouver des applications dans plusieurs situations spécifiques où la coupe directe peut s’avérer moins efficace. Lorsqu’il existe une hétérogénéité marquée de maturité au sein des parcelles, souvent liée à des sols irréguliers ou à des stress hydriques, l’andainage permet ainsi d’uniformiser le séchage des graines avant la récolte. Cette méthode est également particulièrement utile dans les zones exposées à des risques climatiques, comme les régions ventées ou sujettes à des orages fréquents en fin de cycle. Ces conditions augmentent en effet le risque d’égrenage naturel et de pertes, que l’andainage limite en réduisant le temps d’exposition des graines à ces aléas, même si les variétés modernes de colza sont beaucoup moins sensibles à ce phénomène. Dans certains secteurs très humides notamment, sur les façades littorales du nord de la France, la pratique est mise en œuvre aussi lors des années les plus délicates.
Dans les parcelles à l’enherbement mal contrôlé ou en présence de plantes compagnes envahissantes qui compliquent la récolte, l’andainage offre une solution pratique. Il permet de dessécher efficacement les adventices, simplifiant ainsi la moisson et améliorant la qualité des graines récoltées. Dans le cadre de l’agriculture biologique, l’andainage du colza présente d’ailleurs des avantages spécifiques liés à la gestion des adventices et à l’absence de recours aux herbicides chimiques. Cette technique permet de dessécher les mauvaises herbes encore vertes présentes dans la parcelle au moment de la récolte, réduisant ainsi leur impact sur la qualité des graines et facilitant le travail de la moissonneuse. En bio, où la gestion des adventices repose souvent sur des pratiques mécaniques et préventives, l’andainage agit ainsi comme une ultime intervention pour maîtriser un enherbement tardif difficile à gérer autrement. De plus, l’andainage aide à prévenir les problèmes de pourriture et de maladies fongiques en accélérant le séchage des plants. Cela est particulièrement bénéfique dans un système où l’utilisation de fongicides est exclue ou limitée.
Depuis l’interdiction des dessiccants chimiques à base de diquat, comme le Réglone 2, l’andainage est devenu une pratique qui s’est répandue pour les agriculteurs multiplicateurs de semences certifiées de colza. Dans la production de semences, où l’homogénéité et la viabilité des grains sont des critères stricts, l’andainage est envisagé comme une alternative efficace pour maîtriser la maturation sans recourir à des produits chimiques. De plus, il limite les risques de pertes par égrenage, essentiels dans ce secteur à forte valeur ajoutée. Cette méthode est utilisée le cas échéant pour réduire les aléas météorologiques possibles à la moisson. Dans les filières porte-graine, ces travaux d’andainage sont souvent réalisés en contrôle étroit avec les services techniques et de qualité des stations de semence.
Amortir la machine
Outre le colza, la technique de l’andainage présente des intérêts dans les cultures enherbées, notamment dans les systèmes bio ou pour la récolte de céréales, par exemple lorsqu’elles sont cultivées en mélange, car elle facilite le séchage et la maturation uniforme des grains. L’andainage est pratiqué également pour des cultures comme le lin oléagineux, le pois chiche, le pois, la lentille, l’orge, le chia, les semences de betteraves, ou autres petites graines spécifiques où il permet de gérer des récoltes complexes en facilitant le séchage et en réduisant les pertes.
L’andainage du colza est une pratique agricole qui nécessite des conditions spécifiques pour être efficace. Le moment optimal pour intervenir se situe lorsque l’humidité des graines est comprise entre 40 et 45 %, ce qui correspond à une coloration des graines passant du vert au marron (on parle d’un seuil d’intervention à environ 60 % de graines marron). Il est recommandé de réaliser l’andainage tôt le matin, la nuit, voire tard le soir, lorsque la rosée est présente, afin de minimiser au maximum les risques d’égrenage. Les conditions météorologiques ultérieures jouent également un rôle crucial : un temps sec et chaud après l’andainage favorise le séchage rapide des andains. Au contraire, des pluies prolongées peuvent augmenter les risques de pertes et de développement de maladies, comme le souligne le réseau des groupements en agriculture biologique (GRAB). Une attention particulière doit être portée à la hauteur de coupe, généralement entre 50 et 60 cm, pour assurer une bonne aération des andains et éviter leur contact direct avec le sol. On cherche ainsi à maintenir l’andain surélevé du sol de façon régulière jusqu’à la reprise par la moissonneuse.
L’épaisseur de l’andain doit être homogène, en évitant une accumulation excessive de matière, afin de prévenir les bourrages lors du passage de la moissonneuse. La largeur de l’andain est habituellement d’environ 2 m pour une coupe de 6 à 7 m, ce qui permet une reprise efficace par la machine. Regrouper deux passages de fauches en un seul andain peut être envisagé dans certaines situations. La problématique est alors de regrouper si possible les andains dans le même sens pour une reprise plus fiable par la moissonneuse (il est conseillé de moissonner dans le même sens que la fauche). Le compromis entre largeur de fauche, regroupement ou division des andains dépend aussi du potentiel de rendement du colza et de la biomasse afin que la moissonneuse puisse travailler convenablement et sans bourrage. L’andainage a aussi pour fonction de regrouper la biomasse dans le cas de parcelles à faible rendement pour optimiser le travail de la moissonneuse. Ou bien au-contraire dans les contextes de fort rendement, il s’agira de faire attention à ne pas produire des andains trop épais qui seraient difficiles à absorber par la suite. Dans tous les cas, l’usage et le réglage de rabatteurs sur la faucheuse ou sur la moissonneuse fait l’objet de la plus grande vigilance pour limiter au maximum l’égrenage.
L’andainage du colza offre des avantages organisationnels significatifs pour les chantiers de récolte. En scindant le processus en deux étapes – fauche puis battage -, cette méthode permet de mieux planifier les interventions, notamment en avançant la date de récolte d’environ une semaine par rapport à une moisson classique. Cette anticipation est dans certains cas salutaire pour optimiser l’utilisation du matériel et de la main-d’œuvre, surtout en période de forte activité. Les andains, bien formés et séchés, permettent à la machine d’opérer à une vitesse supérieure, augmentant généralement le débit de chantier. Cette efficacité accrue réduit la consommation de carburant et l’usure des équipements, tout en limitant les pertes de grains par égrenage. Ces gains supposés sont à mettre en regard des surcoûts que la technique peut engendrer. Comme toujours en agriculture, c’est ici une histoire de compromis. Le choix des matériels spécifiques semble assez limité. Les matériels automoteurs disponibles sur le marché sont réputés pour parfois dépasser les largeurs homologuées pour rouler sur route. Il faudra alors organiser des convois exceptionnels d’escorte, ce qui peut renchérir le coût et complexifier l’organisation des chantiers à cette période de tension sur la main d’œuvre. Certains automoteurs respectent cependant les normes françaises d’empâtement. Les faucheuses andaineuses accouplées sur le relevage du tracteur assureraient dans certains cas une plus grande flexibilité avec possibilité de monter la barre de coupe sur une remorque pour préserver la possibilité plus souple de rouler entre deux parcelles.
S’inspirer des pratiques canadiennes
Dans certaines provinces du Canada, l’andainage du canola est une pratique qui s’est généralisée avec un savoir-faire qui s’est maintenu et amélioré au fil des années. Les conditions canadiennes sont cependant en partie spécifiques avec de grandes parcelles à faibles productions de biomasse, conduites en culture de printemps et avec parfois des risques de gelées pouvant rendre incertaine la récolte. Ces spécificités sont à prendre en compte si l’on souhaite transposer les techniques canadiennes en France. D’autant plus que l’andainage systématique du colza semble reculer au Canada dans certains états, notamment grâce aux variétés moins sensibles à l’égrenage.