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L’amendement de la loi d’avenir qui veut détruire la presse agricole

Dans une loi très large, il est toujours possible de passer des « petits » amendements qui ne figurent pas dans le texte original qui sont parfois très insidieux. C’est le cas de l’amendement CE 778 de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui vise à retirer tout droit aux firmes phytosanitaires de faire de la publicité sur quelque média que ce soit, professionnel ou non. Soit une ressource vitale en moins pour la presse agricole.

D’abord l’info brute. Voici l’amendement en question, il est court mais explicite :

« Article 21 – Rédiger ainsi l’alinéa 6 : « Toute publicité commerciale est interdite pour les produits mentionnés à l’article L. 253 – 1 à l’exception des produits de bio-contrôle figurant sur une liste établie par l’autorité administrative. » EXPOSÉ SOMMAIRE Cet amendement vise à interdire toute publicité commerciale pour les produits phytosanitaires, quel que soit le public visé ou le support utilisé. Ces produits dont les risques sont avérés pour l’homme, la santé et l’environnement, ne doivent pas faire l’objet d’une publicité.« 

Désinformation de l’agriculteur, menaces directes sur la presse agricole et les foires

Ensuite, parlons-en. D’abord, en nous mettant à la place des agriculteurs. Oui, les produits phytosanitaires peuvent être risqués pour l’homme. Et alors ? Justement pour cette raison, il faut informer sur leur utilisation, et non les bannir, car cette utilisation n’est pas interdite aujourd’hui, loin s’en faut. De même que la voiture peut tuer, mais que grâce aux publicités, le consommateur sait que tel ou tel modèle présente davantage d’équipements de sécurité que l’autre. L’intitulé de l’amendement, considéré comme favorable par la commission économique chargée de les valider, explique ainsi des « risques avérés » qui sont réels, et qui méritent de fait l’information, et non l’absence de celle-ci. Même en étant le plus « écolo » des agriculteurs, si demain des maladies reviennent dans vos champs faute de traitements, vous devrez en apposer à nouveau : autant que vous sachiez lesquels prendre, dans quelles proportions, comment les utiliser… Au passage, Brigitte Allain, la députée Verte à l’origine de l’amendement, le justifie en précisant qu’interdire la publicité ne signifie pas interdire les « fiches techniques d’utilisation« . Question : l’agriculteur sera-t-il ainsi suffisamment informé, puisqu’il devra d’abord déballer le produit une fois acheté avant de lire la notice… Et même en assortissant la mesure d’une obligation de notice externe, qui la lira ?

L’autre solution pur les agriculteurs consiste à laisser se développer les maladies en question. Et donc, faute de pesticide (littéralement « qui tue la peste »), de laisser revenir la peste. Le fait qu’il y ait des publicités dans les médias agricoles, des publi-reportages, c’est une première information. Les articles de presse issus des conférences de presse en sont une autre. Or, évidemment, sans publicité, plus de conférence de presse. Vous imaginez des journalistes lisant des notices ?

Deuxième aspect, celui de la presse agricole. Tous les groupes ou journaux fonctionnent différemment, mais dans tous les cas en se fondant sur plusieurs piliers : la vente (majoritairement par abonnements), et les publicités. Dans un monde où Internet autorise l’accès à de plus en plus d’informations gratuites, la vente, proportionnellement, baisse. La publicité est donc vitale. Pour la presse agricole, plusieurs sources : les banques et assurances, le machinisme, et les phytosanitaires pour tout le monde, et selon les cultures quelques possibilités dans les bâtiments, serres… Les phytosanitaires représentent en fait une ressource plus qu’essentielle pour tout le monde de la presse agricole, elle est vitale.

Troisième aspect : tous les salons et autres manifestations agricoles (foires, conférences…) ! L’amendement précise bien « quel que soit le support utilisé« . Donc, vous tous qui organisez des foires agricoles, vous savez que vous allez perdre des partenaires…

Pourquoi retirer le droit à l’information de l’agriculteur ?

Je ne veux pas parler (rien ne m’y autorise) au nom de l’ensemble de la presse agricole dans son ensemble, alors je vous cite le cas de WikiAgri : nous ne demandons rien à personne, ne percevons pas le moindre centime de subvention de qui que ce soit. Nous participons à l’économie et au social à travers : plusieurs journalistes payés à la pige, des partenaires rédactionnels (CerFrance, Agritel), une entreprise (Dezup) chargée des évolutions techniques du site internet, une entreprise (Notre Studio) chargée de la maquette du magazine, l’impression de notre magazine (imprimerie Léonce Desprez), une entreprise (Hicéo) qui nous aide à gérer les abonnements et autres petits services… Tout le monde est payé en temps et heure, le siège de la société WikiAgri est en France, les impôts y sont payés. Nous retirer les publicités de phytosanitaires devient mortel pour nous, je le dis tout net, nous retirerions un marché à chaque entité que je viens de citer : perte d’emplois pour certains, d’activités et de pouvoir d’achat pour tous.

J’en suis à me demander si ce dommage collatéral ne déplairait pas à notre gouvernement actuel. S’il est liberticide, refuse la liberté d’expression, refuse la contestation démocratique argumentée par voie de presse, se moque de l’emploi autrement que comme argument électoral, qu’il poursuive dans cette voie.

Notre proposition d’amendement

S’il prend le temps de la réflexion, tant pour le bien-être de la profession agricole (qui a le droit à l’information, non seulement sur les produits phytosanitaires mais sur tous les autres sujets traités par la presse agricole appelée ainsi à disparaître) que pour la liberté et la pluralité de la presse, alors il suffit de passer cet amendement à la trappe.

Clairement, le conserver en cherchant ensuite à déployer une sorte d’aide compensatoire (donc à augmenter les impôts pour cela) conduirait à inféoder la presse au pouvoir. Ce n’est donc pas acceptable.

Une solution intermédiaire, déjà envisagée d’ailleurs par le passé, consisterait à permettre aux professionnels (tout sauf des gamins à qui il faut cacher la prise de courant tout de même) d’accéder à l’information. Et donc d’interdire les publicités aux « jardiniers du dimanche ». Il suffirait de changer ainsi le libellé : Cet amendement vise à interdire toute publicité commerciale pour les produits phytosanitaires, quel que soit le public visé ou le support utilisé. par Cet amendement vise à interdire toute publicité commerciale pour les produits phytosanitaires, sauf quand il s’agit de s’adresser à des utilisateurs professionnels.

Mesdames et messieurs les députés, qui le porte, « l’amendement WikiAgri » ?

En savoir plus : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/amendements/1548/CION-ECO/CE778.pdf (l’amendement) ; http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-eco/13-14/c1314042.pdf (le compte-rendu de la commission économique sur les amendements, celui qui nous intéresse ici est en pages 14 et 15).

Cet article est également en ligne sur le site généraliste Atlantico sous l’url : http://www.atlantico.fr/decryptage/comment-loi-avenir-pour-agriculture-pourrait-tuer-presse-et-foires-agricoles-antoine-jeandey-945903.html

3 Commentaire(s)

  1. Merci pour cet article. Oui vous avez raison, il y a tant et tant de décisions qui coupent les ailes et le sifflet! Il faut le dire. Le « phytosanitaire », ce mot barbare, ce sont les MEDICAMENTS des plantes. Interdisons donc la publicité pour les médicaments 🙂

  2. Hé bien il vous faudra revoir votre copie… Vous avez fait le choix de vendre aux annonceurs un espace publicitaire adressé à un public ciblé. C’est d’abord ce que vous êtes et avez choisi d’être avant d’être un magazine d’information. Ne demandez pas à nous paysans de vous soutenir. (…)
    Ensuite, ce sont les mêmes grandes firmes qui vont développer les nouveaux phytos « verts » sur lesquels ils pourront faire de la pub…pas besoin de tant de sensationnel.
    Certes internet est gratuit, mais l’info de qualité se paie toujours à travers un magazine spécialisé, de la formation, etc.

  3. Potatoes, vous n’avez pas compris. Notre modèle économique est tel à WikiAgri que nous sommes directement en danger. Mais pratiquement tous les autres supports agricoles y compris les plus historiques (en regard à notre récente histoire) sont aussi dans le collimateur. C’est toute l’information fournie aux agriculteurs qui est en danger. Sans parler des organisations faites par les agriculteurs eux-mêmes. On ne demande rien à personne, nous informons.

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