Des représentants du secteur agricole étaient présents à chacune des tables rondes de la conférence environnementale. Ce n’est pas un hasard. Lassés d’incessantes critiques quant à leurs pratiques, ils veulent montrer le chemin parcouru et ambitionnent de se réapproprier la couleur verte.
Les agriculteurs en ont assez. Ils façonnent le paysage tout en assurant leurs cultures, mais ils se heurtent encore souvent à un prêt-à-penser qui les montre du doigt, comme s’ils étaient coupables de tous les maux environnementaux. Certes, il existe des exemples qui viennent étayer ces critiques. Aujourd’hui encore (pour n’en citer qu’un), la Bretagne n’en finit plus de se débarrasser de ses algues vertes. Mais le monde agricole a réagi et les formes d’élevage ont radicalement changé pour éviter ces effluents polluants.
Il ne s’agit pas seulement d’une réaction à des mouvements d’opinion, les pratiques agricoles sont en cours d’évolution. Aujourd’hui, le céréalier est devenu particulièrement attentif au parcours agronomique de ses plantes. Les techniques culturales faisant appel à des connaissances agronomiques pointues sont de plus en plus répandues. Elles consistent à diminuer les intrants et autres traitements du sol, tout en conservant les attraits économiques : les rendements. Désormais, l’ère de l’« environnement contrainte » est révolue. Au contraire, les agriculteurs reviennent aux sources de la nature avec laquelle ils travaillent, tout en se l’appropriant, c’est-à-dire en formulant un verdissement qui soit compétitif économiquement, avec les moyens de notre époque. La croissance verte version agricole en somme.
Plusieurs associations d’agriculteurs diffusent ces idées. Et les unes comme les autres prennent de l’ampleur. L’Agriculture écologiquement intensive (AEI) est un rassemblement de tous ceux qui veulent poursuivre leur mission de production tout en respectant l’environnement, quel que soit le chemin choisi. Lancée par l’agronome Michel Griffon, elle est composée à sa tête tant d’ingénieurs ou d’agronomes que d’agriculteurs. Mais les membres, eux, sont bel et bien en majorité des chefs d’exploitations. L’AEI est venue en fait compléter efficacement le mouvement initié il y a quelques années par Farre (forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement, né en 1993), qui mettait en avant des techniques écologiques, mais pêchait dans son rapport économique.
Autre association, elle créée par des agriculteurs pour des agriculteurs, Base (Biodiversité, agriculture, sol et environnement) compte chaque année une centaine de membres en plus (tous agriculteurs, se regroupant par centres d’intérêt régionaux), ils sont aujourd’hui 800. La spécificité de Base est de rentrer dans le vif du sujet en prônant directement des techniques réclamant un sens de l’observation de la terre qui est en soi une appropriation exemplaire de l’environnement. Il s’agit ainsi des techniques culturales simplifiées (TCS) consistant à labourer moins (moins souvent ou moins profond), voire plus du tout pour certains. L’enrichissement de l’humus propre à la croissance des plantes cultivées est ainsi assuré par un nombre croissant de lombrics proches de la surface. A l’arrivée, les rendements sont maintenus (et qui plus est ils s’améliorent avec le temps), avec un sol moins meurtri que par le labour classique. On peut associer à ces TCS la conduite agronomique dite du semis direct (mise en terre des graines sans travail du sol préalable).
En termes d’agroéquipements, cette tendance vers une nouvelle forme de labour s’est traduite sur l’exercice 2011 (source Axema) par une progression des ventes des herses à dents et des disques (c’est-à-dire de matériels permettent de labourer peu profond) largement supérieure à celle des charrues (+ 75 % pour les herses, + 30 % pour les disques, et seulement + 12 % pour les charrues), 2011 étant une année de réinvestissement pour les agriculteurs après la crise.
Ces techniques ne sont toutefois pas applicables à tous les sols, ni pour toutes les cultures ou toutes les surfaces. Mais y compris sur les grandes surfaces céréalières, des solutions sont trouvées. On appelle cela l’agriculture de précision. Elle consiste en des équipements intégrant moult ordinateurs et GPS permettant par exemple aux moissonneuses de récolter un champ en effectuant le chemin le plus court et sans oublier un centimètre carré : quand on connaît la pression du poids de la moissonneuse sur la terre, cette avancée qui ressemble à un gadget à la James Bond (le chauffeur n’a plus besoin de tenir son volant, tout est programmé à l’aide de plusieurs GPS) est loin d’être négligeable.
Si l’on ajoute à cela le bio qui intéresse de plus en plus d’élevages ou d’exploitations légumières ou fruitières (même si la croissance reste inférieure aux prévisions), les efforts considérables pour maintenir les petites exploitations de bocage ou de montagne après la crise laitière, et l’on comprendra qu’il existe là un catalogue complet pour revendiquer un véritable exemple agricole dans le verdissement.
En savoir plus : cet article paraît également sur Atlantico.fr sous l’url http://www.atlantico.fr/decryptage/agriculture-francaise-peut-elle-se-reconcilier-avec-culture-ecologique-antoine-jeandey-484058.html.