Au-delà de l’Oural, la Sibérie serait la principale région de la planète bénéficiaire du réchauffement climatique d’ici la fin du siècle si la hausse moyenne des températures atmosphériques excède 2°C. Mais une telle perspective scellerait l’échec cuisant des programmes de réduction des émissions des gaz à effet de serre conduits depuis 2015. Et le futur grenier à blé de la planète serait l’objet d’enjeux géopolitiques phénoménaux.

Ce qui fut un rêve (et un échec) à l’époque soviétique est en voie de devenir une réalité d’ici la fin du siècle. En Sibérie, le réchauffement climatique rendrait plus de 200 millions d‘hectares de taïga cultivables. La superficie agricole russe doublerait alors pour atteindre 420 millions d’hectares.
Actuellement, la production russe de céréales et d’oléo-protéagineux oscille entre 90 Mt et 140 Mt selon les années, autorisant d’exporter entre 20 Mt et 60 Mt. La Russie est le premier pays exportateur au monde de blé. A rendement constant, cultiver 200 millions d’hectares supplémentaires en Sibérie doublerait la production de grains.
« Mais les augmentations combinées de superficie et de production unitaire pourraient arithmétiquement faire grimper le potentiel de récolte de plus d’un milliard de tonnes de grains, alors que production mondiale de céréales est actuellement de plus de 2,7 milliards de tonnes », affirment Jean-Jacques Hervé et Hervé Le Stum. Ce sont les auteurs de l’article « Sibérie, futur grenier à grains du monde » et contributeurs de l’édition du Déméter 2021 présenté le 6 février 2021.
Un climat plus clément en Sibérie rendra possible la culture de céréales de printemps sur des aires aujourd’hui encore inhospitalières. Ailleurs, des céréales d’hiver plus productives seront cultivées là où seules des céréales de printemps sont actuellement envisageables. Et du maïs pourra être planté dans des régions les plus chaudes et les plus irriguées.
Toutefois, le climat qui règnera d’ici la fin du siècle se caractérisera par de fortes variabilités de températures interannuelles. Aussi, les productions de céréales ne seront pas régulières.
L’expansion de l’agriculture russe sur de nouveaux territoires s’appuiera sur la recherche variétale. « Les autorités (russes) et les entreprises encouragent les recherches génomiques dans le but de proposer des variétés présentant des caractéristiques de résistance climatique en s’appuyant sur les résistances cycliques au froid et aux pointes de températures », relatent Jean-Jacques Hervé et Hervé Le Stum. La présence en Russie de plusieurs grands bassins d’origine des plantes cultivées – notamment autour de la Sibérie est un atout de choix pour l’innovation végétale ».
L’exploitation agricole des plaines sibériennes, aujourd’hui quasiment inhabitées, serait réalisée par de grandes compagnies agro-industrielles. Des grandes marques de matériels agricoles sont sur les rangs.
De nouvelles infrastructures pour stocker et transporter
Mais elle impliquerait une reconfiguration des routes commerciales pour livrer vers les zones de consommation les millions de tonnes de grains supplémentaires. La fonte des glaces arctiques rendront les mers praticables une grande partie de l’année. Mais comme les fleuves sibériens coulent vers le nord, de nouvelles infrastructures portuaires devront être édifiées pour acheminer les grains des champs vers les ports d’embarquement. A moins que les lignes de chemin de fer trans-sibériennes soient renforcées par la construction de nouvelles voies.
Par ailleurs, la conquête de terres agricoles à proximité de l’Empire du milieu surpeuplé pourrait attirer les convoitises du gouvernement chinois. « L’ironie de l’histoire serait que Pékin invoque à terme la protection de ces populations sinophones pour annexer certaines régions de la Sibérie orientale comme l’a fait Moscou sur les populations russophones de l’Etat de l’Ukraine et de la Crimée, d’autant que la Chine n’est pas insensible aux ressources dont dispose la Sibérie, notamment en or, en bois et en gaz », analysent Jean-Jacques Hervé et Hervé Le Stum.
Mais si la Sibérie devient le nouveau grenier à blé de la planète, la Terre sera alors un brasier ! Car au-delà ces considérations géopolitiques entre pays voisins évoquées ci-dessus, la conquête agricole de la Sibérie signera l’échec cuisant des politiques de lutte contre le réchauffement climatique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre lancées depuis l’accord de Paris en 2015.
Or celles-ci visent à limiter la hausse moyenne des températures de la planète à 1,5 °C par rapport à la période pré-industrielle.
« La fonte des pergélisols libérera des quantités considérables de méthane et de carbone que certaines sources évaluent à 1 400 gigatonnes, soit deux fois plus que ce que contient l’atmosphère terrestre, assurent Jean Jacques Hervé et Hervé Le Stum. 1,7 million de tonnes de mercures pourrait aussi se répandre ».
Autrement dit, tous les efforts fournis par les hommes pour limiter les émissions de gaz à effet de serre générées par leurs activités seraient réduits à néants. En Sibérie, une hausse de 5 °C des températures n’est pas exclue.
Mais sur le reste de la planète, certains bassins de production de céréales deviendraient des déserts arides. Des millions de personnes seraient aussi tentées de migrer vers des pays où le climat reste supportable. Sans compter la succession de catastrophes climatiques (typhons, sécheresses, cyclones etc.). La vie sur notre planète serait complètement chamboulée.
Ci-dessous, la Sibérie en hiver aujourd’hui (près du lac Baikal en l’occurrence). Qui imagine d’immenses champs céréaliers en lieu et place des forêts enneigées ? (photo Adobe).