Exporter des céréales ouvre un champ d’opportunités politiques, économiques, institutionnelles et militaires considérables. La Russie l’a très bien compris. En exportant ses céréales en Afrique, elle se sert de sa puissance agricole pour établir des liens diplomatiques avec des pays amis et pour peser sur l’ordre du monde. Elle offre par exemple une protection militaire aux Etats ‘’qui le souhaitent’’. Et lorsque l’Union européenne est absente, la voie est libre.
Cette campagne 2024-2025, la Russie disposait d’un pactole de 45 millions de tonnes (Mt) de blé pour inonder les marchés céréaliers alors que la France ne pouvait en exporter que 3-4 Mt. Sa récolte calamiteuse en 2024, la plus faible depuis quarante ans, a réduit de 70 % ses capacités d’exportations hors Union européenne.
Mais l’appétit des pays d’Afrique sub-saharienne croît chaque année, favorisé par une démographie galopante, une agriculture qui peine à répondre à des besoins plus importants chaque année et à des habitudes alimentaires de plus en plus occidentalisées. Par ailleurs le prix du blé très bon marché a aussi rendu la céréale très attractive ces derniers mois.
Alors que le commerce mondial de blé (202 Mt) a reculé de 10 % en 2024/25 (source USDA) par rapport à l’année précédente, l’Afrique sub-saharienne a acheté plus de grains. Le seuil de 30 Mt de blé importées, franchi en 2024-2025, sera de nouveau atteint au cours de la prochaine campagne. L’ensemble du continent africain importe ainsi plus de 60 Mt de blé chaque année, soit le potentiel d’exportation de la Russie et de l’Ukraine réunies.
L’Afrique subsaharienne est bien la seule région de la planète où les échanges commerciaux de blé ont progressé ces douze derniers mois (+7 % versus 2023-2024 selon l’USDA). La Chine, la Turquie, le Pakistan et le Kazakhstan ont considérablement réduit leurs achats.
Panorama sub-saharien
La production africaine sub-saharienne de blé est très réduite, localisée en Ethiopie et en Afrique du Sud essentiellement. Elle n’excède pas 10 Mt chaque année.
Dans cette partie du globe, les principaux pays importateurs sont le Nigéria, le Kenya, le Soudan, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et la Tanzanie.
L’Afrique subsaharienne s’approvisionne principalement en blé auprès de la Russie et de l’Union européenne, relativement absente cette campagne-ci en raison notamment de la défection contrainte de la France.
Les années passées, ces deux exportateurs représentaient au moins 70 % des importations sub-africaines de blé. La céréale de haute qualité est particulièrement convoitée.
A l’échelle mondiale, le Nigéria devrait devenir le 11ème importateur mondial de blé en 2025-2026, avec 6,4 Mt. Ce pays exportateur de pétrole a les moyens d’acheter de grandes quantités de grains. Par ailleurs, « le Nigéria dispose d’une industrie meunière robuste qui mélange du blé à bas prix provenant de l’UE et de la mer Noire avec du blé de meilleure qualité expédié du Canada et des États-Unis, analyse l’USDA. Cette farine est utilisée pour satisfaire la demande croissante des consommateurs en pain, gâteaux et biscuits ».
D’après la Commission européenne, le Nigéria est le premier pays destinataire des exportations européennes de blé vers les pays tiers (2,7 Mt expédiées en 2024-2025). Mais le Kenya (2,6 Mt) a opté pour le blé russe mais aussi argentin et canadien.
Le Soudan en guerre a importé autant de grains mais surtout sous forme de farine et de produits dérivés en provenance de Turquie et d’Egypte. Auparavant le pays se faisait livrer massivement du blé mais son industrie meunière n’est plus en état de marche.
En Afrique du Sud, « la production de blé est complétée par des importations estimées à 2 Mt pour 2025/26, souligne l’USDA. Si le maïs est la principale céréale de base pour l’alimentation humaine, la consommation de blé est également en hausse ».
Les autres pays africains sub-sahariens importateurs majeurs sont l’Ethiopie (1,4 Mt de blé tendre et dur) et la Tanzanie (1,3 Mt en partie de Russie), dopée par son secteur hôtelier hypertrophié.
En Afrique du Nord, le Maroc est le principal partenaire commercial de l’UE puisque l’Algérie boycotte le blé français. La Russie est devenue son principal fournisseur alors que le Royaume chérifien s’en méfie.