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La ligne LGV Le Mans Rennes construite à grands renforts de réserve foncière agricole

Pour construire les 182 kilomètres de la nouvelle ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes, il a fallu amputer des terres agricoles. Si les agriculteurs touchés ont trouvé des solutions de compensation, les fermes départementales ont, elles, perdu de précieux hectares.

Le 2 juillet, Paris ne sera plus qu’à 1 h 27 en train de la Bretagne, grâce à l’ouverture d’un nouveau tronçon à grande vitesse entre Le Mans et Rennes. Si cette nouvelle ligne ferroviaire est un atout pour le tourisme, sa création a eu un coût de 3,4 milliards d’euros et un impact important sur le foncier. Pour gagner 31 minutes, il a fallu créer 182 kilomètres d’une nouvelle ligne sur des terres à 90 % agricoles. Entre Conneré, à l’est du Mans et Rennes, le chantier a nécessité une emprise foncière de 2 175 hectares.

Face à cet ouvrage, le monde agricole s’est mobilisé pour limiter les impacts sur son foncier. Dans les 3 départements concernés (la Sarthe, la Mayenne et l’Ille-et-Vilaine), des « associations départementales d’agriculteurs expropriés » ont été créées pour défendre les exploitants touchés par l’ouvrage, négocier les indemnités d’éviction et faire entendre la voix de l’agriculture dans les projets d’aménagements (rétablissement de chemins par exemple). « Les associations ont négocié, représenté les agriculteurs pour obtenir un maximum de compensations et d’aménagement », explique Alain Bignon, le président de l’ADE 35. Ce fut un travail de longue haleine, qui a débuté dès 1996 et l’étude des premiers tracés.

La présence des 3 associations a été appréciée par Eiffage, le maitre d’ouvrage de cette LGV. « Pour nous, c’est plus simple d’avoir un interlocuteur clairement identifié du monde agricole, reconnu par leurs pairs, souligne Loïc Dorbec, directeur opérationnel chez Eiffage. Ensemble, nous avons pu commencer le travail très en amont et négocier des grilles d’indemnisations. Nous avons pu trouver des compromis avec tous les agriculteurs touchés. »

Des compromis qui, s’ils ne sont pas parfaits, ont amoindri les impacts pour les exploitants. Car, une fois la déclaration d’utilité publique signée, Eiffage aurait été en droit de procéder à des expropriations. « Quand, sur d’autres grands ouvrages de cette ampleur, il n’y a pas une bonne organisation des agriculteurs, il faut plus de 10 ans après la fin du chantier pour arriver au bout des aménagements fonciers », reconnait Loïc Dorbec. A la veille de l’ouverture de la ligne, Eiffage estime qu’il ne reste qu’à régler les quelques derniers dossiers les plus compliqués.

Comment constituer un maximum de réserves foncières

Depuis 2002, soit 10 ans avant le premier coup de pelleteuse, des réserves foncières ont été constituées. Des conventions ont été passées entre les Safer de Bretagne et Maine-Océan, les collectivités locales et SNCF réseau pour les acquisitions foncières et les aménagements. Suite aux acquisitions à l’amiable, préemptions et échanges, 3 700 hectares ont été mis en réserve. « Car il faut compter l’emprise, les aménagements fonciers et les mesures de compensation environnementales », explique Loïc Dorbec. Aussi longtemps que possible, ces réserves ont été exploitées sous une convention d’occupation précaire provisoire. D’abord par des agriculteurs qui en avaient besoin, puis par les agriculteurs qui avaient perdu des surfaces suite aux travaux.

 « En Ille-et-Vilaine, la première parcelle a été mise en réserve en 2003 », se souvient Alain Bignon. Dans un rayon allant jusqu’à 3 kilomètres de la future ligne, la Safer a mis en réserve toutes les terres à vendre pour compenser les agriculteurs qui perdraient des terres par les travaux et pour autoriser les réaménagements parcellaires nécessaires. L’aménagement foncier a été réalisé sur une superficie de 30 fois l’emprise réelle du chantier. D’ailleurs 80 % des réserves ont servi aux aménagements. « En parallèle des travaux, il a fallu aménager le foncier pour rétablir la cohérence des parcellaires, explique Alain Bignon. Par exemple, retrouver des parcelles du côté des bâtiments quand une exploitation était traversée par la voie. »

Les compensations environnementales de la SNCF constituées à partir de terres agricoles

« On pensait être au bout de nos peines quand il a fallu retrouver encore des terres pour les mesures compensatoires environnementales », se souvient Alain Bignon. Car, quand on détruit une zone environnementale sensible (zone humide, forêt), on doit en reconstituer le double. En Ille-et-Vilaine 84 hectares ont été revendus par la Safer à SNCF réseau au titre des mesures compensatoires environnementales. Au total, pour 48,5 kilomètres de ligne sur ce département, une réserve de 714 hectares a été constituée. 443 hectares vendus à SNCF réseau pour l’emprise, le restant cédé aux agriculteurs. Une fois les travaux terminés, les terrains qui n’étaient plus utilisés (par exemple, ceux où avaient été stockés des matériaux, ou les voies d’accès pour les travaux de boisement des talus) ont été rétrocédés à des agriculteurs.

Au final, tous les agriculteurs qui ont perdu des terres ont retrouvé leur surface. Des solutions (relocalisation, retraite anticipée) ont été trouvées, plus ou moins facilement, pour ceux dont trop de surfaces étaient prises ou dont les bâtiments devaient être détruits. Rien qu’en Ille-et-Vilaine, 26 exploitations se trouvaient sur le trajet de la LGV. « Ça a été long et compliqué, il reste des traces chez certains de ces moments difficiles et des bouleversements d’exploitation mais on est globalement satisfaits car aucun agriculteur n’a été laissé sur le bord de la route, analyse Alain Bignon. En revanche, la ferme Ille et Vilaine s’est encore appauvrie avec ces hectares perdus. » Pour Eiffage, l’achat du foncier et les dédommagements pour les agriculteurs touchés représentent 10 % du budget de 3,4 milliards.

Et à l’avenir ?

Que ce soit pour des grands ouvrages ou tout autre projet d’aménagement, les terres agricoles ont trop longtemps servi de réservoir foncier. A l’emprise des travaux s’est ajoutée la compensation environnementale. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, de 2014, devait amoindrir cette perte à sens unique. Elle prévoit une compensation matérielle à cette perte de potentiel économique, suite à des ouvrages publics comme privés. Désormais, les maitres d’ouvrage devraient compenser la perte de foncier agricole par de la création de valeur ajoutée sur le territoire, en finançant des projets collectifs. Une mesure qui laisse Loïc Dorbec dubitatif. « D’abord parce que les grands ouvrages apportent du développement économique qui sert à tous. Ensuite, parce qu’on ne sait pas où ces mesures s’arrêteront. On doit déjà prévoir des mesures environnementales compensatoires pour les aménagements fonciers faits suite aux mesures compensatoires de l’impact du chantier. »


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