Jacques Chirac a toujours eu la cote auprès des agriculteurs. Il eut plusieurs mesures marquantes à son actif quand il fut ministre de l’Agriculture (de 1972 à 1974), et sans cesse depuis cette date il put tracer son sillon politique grâce à une base électorale agricole solide. Désormais disparu, il laisse un grand vide : quel homme (ou femme) politique pourrait à ce point être aimé par les agriculteurs ?
Je ne vais pas retracer ici toute la carrière de Jacques Chirac que vous trouverez par ailleurs sans doute mieux informée. Mais uniquement à son lien, étroit, avec l’agriculture française.
Ministre de l’Agriculture de 1972 à 1974, on lui doit entre autres la DJA, dotation jeune agriculteur (une aide à l’installation), et l’ISM, indemnité spéciale de montagne (ancêtre des ICHN actuelles, indemnités compensatrices au handicap naturel). C’est aussi sous son mandat ministériel que furent lancés les services de remplacement. Jacques Chirac avait donc perçu des besoins totalement insatisfaits à l’époque, ceux consistant à favoriser un terroir (dont il rafolait) de montagne présentant des risques de disparition sans aide particulière, mais aussi le renouvellement des générations en agriculture. Si par la suite le système a pu présenter des défauts (mais était-ce la faute de l’instigateur ?), il faut savoir qu’à l’époque ces mesures furent ressenties avec un énorme soulagement par la population agricole qui, comme aujourd’hui, réclamait des repères clairs, et, à l’inverse d’aujourd’hui, avait réussi à les obtenir avec Jacques Chirac.
Depuis cette date, 1972, et jusqu’en 2011 (à l’exception de la seule année 1979 où il était souffrant après un accident de voiture), Jacques Chirac s’est rendu tous les ans au Salon de l’agriculture, et tous les ans il y a été ovationné. Si le Salon est aujourd’hui un lieu de rendez-vous incontournable pour tous les politiques, c’est évidemment parce qu’il a fallu tenter de suivre son exemple pour exister politiquement auprès de la population agricole. Jacques Chirac s’arrêtait à de très nombreux stands et appréciait visiblement de déguster des fromages, cochonnailles, et bien sûr les fameuses bières qui font partie de son histoire. A la fois jovial et compatissant quand il le fallait, à l’écoute, très à l’aise « au cul des vaches », Jacques Chirac s’est aussi rendu à de multiples reprises dans des fermes sur le terrain.
Tour à tour président du RPR, ministre à différents postes jusqu’à Matignon, maire de Paris, candidat à l’élection présidentielle malheureux avant enfin de parvenir à ses fins, Jacques Chirac a eu un agenda on ne peut plus fourni très longtemps, mais n’a jamais manqué d’avoir un mot pour les agriculteurs dès qu’il le pouvait.
Mais en tant que Président de la République (1995-2007), qu’a-t-il fait pour l’agriculture française ? Deux lois d’orientation agricole ont été votées sous son « règne », en 1999 et en 2006.
La première, c’était pendant la cohabitation, avec Lionel Jospin Premier ministre et Jean Glavany ministre de l’Agriculture, il était question de CTE (contrats territoriaux d’exploitation)… Elle n’a guère plu aux agriculteurs, normal ça venait d’un ministre de gauche donc « pas avec eux », mais aucun d’entre eux n’en a alors voulu à Jacques Chirac d’avoir été directement à l’origine de la cohabitation (en ayant « maladroitement » dissous l’Assemblée nationale). En 2006, le fonds agricole ou le bail cessible font peut-être avancer les choses, mais les DPU « imposés par l’Europe » contrebalancent largement. Là encore, à aucun moment Jacques Chirac lui-même n’est tenu pour responsable de l’instauration des DPU (droits au paiement unique). « C’est la faute à l’Europe » était alors l’idée largement répandue.
En 1996 et 2000, le Président de la République Jacques Chirac a dû gérer deux crises majeures de l’agriculture française, celles de la vache folle, ou encéphalite spongiforme bovine (ESB). Et le moins que l’on puisse écrire est que ce ne fut pas simple, qu’il y a eu des erreurs de commises, des reproches, y compris a posteriori par rapport aux solutions trouvées pour la seconde crise, contestées par la Commission européenne.
Politiquement, c’est surtout en 2000 qu’il aurait failli. Nous sommes alors en période de cohabitation, Jean Glavany est ministre de l’Agriculture. Jacques Chirac, au-dessus des partis, se contente de quelques paroles « de sage », rassurantes, demandant par exemple qu’aucune polémique droite-gauche ne naisse sur un sujet pareil. Mais il sait montrer son attention, sans agir lui-même. Et il laisse faire (en tout cas n’apparait pas) lorsque l’accord conclu qui permettra aux éleveurs de sortir financièrement de la crise (des aides directes à la trésorerie) est tel qu’il suscitera plus tard les foudres des institutions européennes, et une amende record à la ferme France. Mais personne ne reproche quoi que ce soit au chef de l’Etat. « La faute à la cohabitation », « la faute à l’Europe », jamais la faute à Chirac… Il faut dire qu’en fin politique, alors que le gouvernement tergiversait sur les mesures à adopter, il a prononcé le 7 novembre 2000 un discours réclamant l’interdiction des farines animales… Etant suivi une semaine plus tard par Lionel Jospin, Premier ministre.
Depuis 2011, dernière visite de Jacques Chirac au Salon de l’agriculture, aucune personnalité du monde politique n’a réussi à reprendre le flambeau. Celles ou ceux qui se font applaudir, en particulier en campagne électorale, le doivent avant tout à une « claque » organisée sur leur parcours, pas vraiment à un engouement populaire spontané. Bien qu’énarque, bien qu’ayant été longtemps maire de Paris, et malgré des erreurs qu’il a pu commettre, Jacques Chirac reste incontestablement l’unique personnalité politique de notre ère actuelle à symboliser la défense du monde paysan. Je ne serais d’ailleurs pas étonné qu’un hommage particulier lui soit décerné par celui-ci.
La photo qui illustre cet article est une photo de l’AFP… Que j’ai personnellement prise ! En 2006, au Salon de l’agriculture, nous étions en pleine grippe aviaire, une catastrophe pour tous les éleveurs de volailles. A ce moment, j’étais rédacteur en chef du magazine du syndicat des Jeunes agriculteurs, JA Mag. J’ai personnellement émis l’idée, rapidement partagée par les responsables des JA de l’époque, qu’il faudrait obtenir du Président Chirac qu’il mange de la volaille devant des appareils photos ou caméras, que ça aiderait le public à retrouver le goût du poulet, lui qui s’en éloignait par crainte de la maladie. Je me suis moi-même procuré les précieux morceaux cuits à point pendant la visite présidentielle, pour qu’ils soient présentés sur le stand des JA au Président lors de son passage. Evidemment aux premières loges, j’ai sans doute eu la meilleure photo, preuve de l’engagement présidentiel en faveur des éleveurs de volailles. Quand l’AFP me l’a demandée, j’ai bien sûr accepté… (sur la photo, à gauche la viticultrice Fabienne Joly aujourd’hui présidente de la Chambre d’agriculture du Var, au milieu Bernard Layre, président des JA à l’époque).