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Intempéries, quelles conséquences sur les céréales à paille ?

Les épisodes orageux à répétition qui touchent la France depuis plus d’un mois interviennent le plus souvent entre la floraison et la maturité des céréales d’hiver. Les conséquences sur le rendement et la qualité vont beaucoup dépendre de la variété, des pratiques des agriculteurs, du milieu et de la synchronisation entre stades de la culture et aléas climatique.

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Il s’agit ici de présenter de grandes tendances à l’échelle nationale et d’identifier les risques. L’évaluation précise des impacts ne peut être réalisée qu’à l’échelle locale, avec les spécificités des régions, exploitations et parcelles.

Un climat chaud et humide

Les séquences orageuses sont d’une ampleur et d’une durée rarement rencontrées. Ces intempéries se traduisent selon les secteurs, par de la pluie, du vent, de la grêle ou des orages. Elles ont essentiellement concerné le Sud, le Centre-Est et le Nord-Ouest du pays. Les précipitations cumulées au cours des dernières semaines peuvent être localement très élevées et violentes. Ce phénomène, déjà précédé d’un mois d’avril très chaud, est associé à des températures historiquement hautes sur la période 1er mai – 15 juin sur la moitié Nord.

Carte 1 : Cumul de pluie du 1er mai au 15 juin 2018

Carte 2 : Ecart à la moyenne pluriannuelle du cumul de température 2018 entre le 1er mai et le 15 juin

La combinaison des températures chaudes et du temps perturbé affecte le quotient photothermique, c’est-à-dire la quantité d’énergie lumineuse reçue par degré-jour. Plus il est élevé, plus la culture dispose de ressource lumineuse abondante pour mettre en place une biomasse importante et constituer de nombreux grains bien remplis. Ce printemps, cet indicateur est en berne presque partout. En contrepartie, les pluies à répétition limitent l’apparition de stress hydrique. Il est donc probable que les milieux superficiels, habituellement pénalisés par des manques d’eau, profitent de cette séquence climatique.

Carte 3 : Déficit hydrique cumulé (en mm) entre épi 1 cm et grain laiteux

Carte 4 : Rapport à la moyenne pluriannuelle du quotient photothermique entre les stades épiaison et grain laiteux

Des stades en avance, surtout au Nord

Les cumuls de températures sont nettement supérieurs à la moyenne pluriannuelle sur une grande partie du territoire, ce qui conduit à des développements de culture accélérés. Ainsi dans le quart Nord-Est, la maturité physiologique (c’est-à-dire l’arrêt du remplissage du grain) est anticipée d’une semaine à dix jours, voire plus. Les orges d’hiver ont atteint la maturité physiologique dans la majorité des situations. De leur côté, les blés sont au milieu du remplissage, voire vers la fin.

Carte 5 : Date estimée de maturité physiologique en 2018

Des stress biotiques et un risque de verse accrus

Les conséquences des orages sur les cultures peuvent être multiples et dépendent très fortement du stade de la parcelle, de son type de sol, de la variété et des dernières interventions réalisées.

En premier lieu, les pluies ont été abondantes autour de la floraison des blés. Le risque associé, pour les situations à risque et/ou non protégées, est l’apparition de fusariose de l’épi. Cette maladie est causée par des champignons du genre Fusarium ou Microdochium dont la prévalence est variable selon les conditions agro-climatiques.

Avec l’humidité persistante, les maladies foliaires peuvent également être très présentes. Ces stress biotiques pourraient impacter le rendement (avortement de grains, grains fusariés à faible PMG), ou favoriser la présence de mycotoxines (DON) principalement produites par Fusarium graminearum sur le territoire français.

En second lieu, la violence des pluies peut déclencher la verse des céréales, avec des conséquences a minima sur les critères technologiques à la récolte (PS abaissé, risque d’humidité et d’impuretés accru), et éventuellement sur le rendement. Le stade d’apparition de la verse va conditionner l’impact sur le rendement, via une limitation du PMG (figure 1). Passé la maturité physiologique (cas des orges d’hiver), le rendement ne sera pas affecté (hors pertes à la récolte), car le PMG est défini. Sur des céréales en début de remplissage, la réduction de rendement peut être significative car le grain ne peut plus se remplir dans les meilleures conditions. L’abaque ci-dessous donne une indication de la réduction de PMG (cas d’une variété à petit grain) en fonction de l’intensité et de la date d’apparition de la verse.

Figure 1 : Réduction du PMG en fonction de l’intensité et de la date d’apparition de la verse

Parcelles inondées : tout dépend de la durée du phénomène

Les fortes pluies cumulées en un délai court peuvent engendrer un excès d’eau temporaire, et donc une anoxie. Dans ces situations, l’absorption racinaire est arrêtée, avec probablement des conséquences en cascade sur les parties aériennes de la plante : production d’acide abscissique et/ou d’éthylène, fermeture des stomates, arrêt de la photosynthèse.

Si ce phénomène se résorbe rapidement (< 3 jours avec des températures fraîches), les conséquences peuvent se limiter à une pause dans le remplissage. S’il est plus durable, il peut initier une sénescence anticipée des feuilles, irréversible et synonyme de fin de remplissage des grains.

La chaleur peut lever la dormance des variétés

La chaleur particulièrement présente cette année dans certaines régions a pu modifier considérablement la dormance des variétés. C’est un mécanisme naturel qui empêche la germination trop précoce du grain. Lorsque la dormance est levée et que, conjointement, des pluies s’abattent entre la maturité physiologique et la récolte, le phénomène de germination sur pied peut se produire, entraînant lui-même une dégradation du temps de chute de Hagberg.

Quels paramètres surveiller ?

Aujourd’hui, les rendements sont d’ores et déjà orientés, à la fois par le statut à floraison (biomasse, nombre d’épis et fertilité épis) et par l’avancement du remplissage.

Par contre, certains critères peuvent encore évoluer en fonction des conditions climatiques récentes :
– la teneur en protéine. Elle peut « bénéficier » d’un remplissage tronqué, mais l’absorption tardive d’azote risque d’être limitée par les excès d’eau et les maladies.
– la présence de mycotoxines. Elle est dépendante des conditions de floraison et d’éventuels traitements.
– le poids spécifique. Il peut notamment être dégradé post-maturité par des pluies. C’est la situation des orges d’hiver.
– la germination sur pied. Elle peut se déclencher en l’absence de dormance et en présence de pluie.
– le temps de chute de Hagberg. Il peut être dégradé par la germination sur pied

Des différences notables avec 2016

Les conditions météorologiques peuvent faire penser à la fin du printemps 2016 : fortes pluies qui entraînent maladies et anoxies. Si les mécanismes sont les mêmes, l’intensité et le stade d’apparition sont différents : en 2016, les conditions d’excès d’eau et de manque de rayonnement ont été extrêmes au moment précis de la floraison, générant des défauts de fécondation ou des avortements précoces, et un début de remplissage compliqués. Cette année, la floraison et le début du remplissage ont certes pu être perturbés par des pluies, mais les excès d’eau ne sont réellement apparus que milieu remplissage, laissant aux grains le temps de s’initier. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la présence de grains dans les épis.

Carte 6 : Cumul de pluies à ± 10 jours de la floraison

Perspectives climatiques pour les semaines à venir

Ce temps pluvieux et orageux devrait prendre fin cette semaine avec le retour progressif d’un temps plus sec dans le Nord-Ouest, alors que le Sud devrait continuer à subir des orages. A partir de la semaine prochaine, un temps plus sec se généralisera sur le territoire avec des températures légèrement supérieures aux normales de saison.

Au niveau saisonnier, les premières tendances annoncent pour le trimestre juin – juillet – août des températures supérieures aux normales sur le pourtour méditerranéen et une grande partie est du territoire. La façade atlantique devrait bénéficier de températures proches des valeurs habituelles.

Du côté des précipitations, la tendance chaude devrait s’accompagner de conditions plus sèches sur le sud-est du pays. Pour les autres régions, aucune tendance ne se dégage.

Carte 7 : Prévisions saisonnières probabilistes de températures (à gauche) et de précipitations (à droite) pour le trimestre juin – juillet – août 2018

Mai 2018 : le mois le plus chaud en EuropeAu niveau européen, le mois de mai 2018 se classe à la première place des mois les plus chauds (moyenne 1981-2010), avec un temps très ensoleillé et chaud sur une grande moitié nord. Seul le sud de l’Europe (Péninsule Ibérique) a connu des conditions fraîches et humides.
C’est ainsi le mois le plus chaud depuis le début des relevés météorologiques dans les pays scandinaves et les pays Baltes, en Pologne, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en République Tchèque et en Slovaquie.

Carte 8 : Ecart de température (en °C) enregistré sur l’Europe en mai 2018 par rapport à la médiane pluriannuelle

 

 

 

Jean-Charles Deswarte, Olivier Deudon, Guénolé Grignon (Arvalis – Institut du végétal)

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