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Guerre en Ukraine, produire du lait est un acte de résistance

Dès le début des hostilités en Ukraine, la filière laitière a été impactée. Des étables ont été bombardées et des dizaines de milliers de vaches ont été abattues. A Buky dans la région d’Uman, Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubniy sont éleveurs laitiers à la tête d’un troupeau de 140 vaches de race Holstein. Ils sont aussi agriculteurs sur 4500 ha. Mais produire du lait n’est plus rentable.

Dès l’entrée en conflit de la Russie avec l’Ukraine, la filière laitière ukrainienne a été fortement impactée par la violence des combats. En tentant d’envahir le pays et en occupant des fermes, les soldats russes ont semé la terreur. Ils ont abattu des vaches laitières et ils ont détruit des stabulations.

60 000 bêtes ont été tuées et des dizaines de milliers d’autres ont été lâchées dans la nature, livrées à elles-mêmes. Or elles auraient dû être traites deux fois par jour.

En abattant ces dizaines de milliers de vaches, les Russes ont voulu montrer aux Ukrainiens qu’ils étaient prêts à les abattre en masse s’ils s’opposaient à leur invasion.

A Buky dans la région d’Uman, Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubniy sont des éleveurs laitiers à la tête d’un troupeau de 140 vaches de race Holstein en plus d’être agriculteurs sur leur exploitation de 4 500 ha. Celle-ci emploie 130 salariés (1).

Printemps 2022, des vaches tuées par l’armée russe dans un village situé dans la région Chernihiv (@AMP)

Leur ferme n’a pas été bombardée car elle est située à plusieurs centaines de kilomètres du front où se déroulent les combats. Mais Yvan et Oleksandr n’ont pas été épargnés par la désorganisation de la filière laitière survenue dès que leur pays est entré en guerre.

Pendant plusieurs semaines, la collecte de lait était irrégulière. Beaucoup de lait a été perdu.

En fait, l’ensemble l’industrie agro-alimentaire ukrainienne est déstabilisée depuis le début de la guerre. Les coupures de courant compliquent le fonctionnement des entreprises laitières.

Or la filière de transformation consomme beaucoup d’énergie pour produire de la poudre de lait. Et comme les interruptions de courant sont soudaines, des quantités énormes d’ingrédients sont perdues car les processus de transformation sont interrompus en cours de cycles.

Par ailleurs, le marché de la viande bovine s’est effondré faute de débouchés à l’export depuis le début de la guerre.

Avant la guerre, des carcasses et des animaux vivants étaient massivement exportés en Géorgie, au Kazakhstan ou en Turquie. Il s’agissait alors de vaches de réforme ou des jeunes bovins.

Dorénavant, la vente de bovins ne constitue plus une source de revenu complémentaire. Yvan et Olksandr ne comptent plus que sur leur production de lait pour rentabiliser leur élevage.

Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubniy dans la cour de leur ferme à Buky dans la région d’Uman

Mais à 367 € les 1 000 litres, les deux éleveurs considèrent que leur activité est dorénavant déficitaire. Le coût de production des 1 000 litres de lait est de 267 € mais ce dernier ne prend pas en compte les montants des fermages, l’amortissement des bâtiments et le  cash-flow suffisant pour rembourser les prêts contractés.

Les 140 vaches de race Holstein (6 500 l/an) d’Yvan et d’Oleksandr sont en zéro pâturage. Elles sont entièrement nourries avec les fourrages et les céréales produits sur l’exploitation.

Les tourteaux de soja et de tournesol distribués aux animaux sont issus des graines récoltées sur place puis transformées dans une entreprise de trituration.

A l’avenir, le troupeau sera croisé avec des taureaux de race Jerzey afin d’améliorer les taux de protéines et de matières grasses du lait produit.

7 millions tonnes de litre de lait par an

D’ici deux ans, moins de viande sera produite car les vaches seront de plus petite taille. Mais les animaux seront plus rustiques et moins exigeants  en fourrages.

En Ukraine, la collecte de lait (7 millions de tonnes en 2021) a fortement baissé depuis le début de la guerre. Lorsqu’elles étaient traitent deux fois par jour, les 60 000 vaches aujourd’hui abattues, produisaient à elles seules 360 000 tonnes de lait.

Mais dix millions d’Ukrainiens, essentiellement des enfants et leur mère ont quitté le pays ou se sont réfugiés dans d’autres régions. Si bien que la production de lait est à peu près équilibrée.

Toutefois, davantage de lait est dorénavant consommé à l’ouest du pays où ont été accueillis de nombreux réfugiés tandis qu’à l’est, la demande de produits laitiers a diminué.

En quelques mois l’ensemble de la collecte laitière s’est réorganisée pour atténuer la baisse de la collecte de lait.

Au nord du pays, les éleveurs dont la ferme a été bombardée, ont tenté de remettre quelque peu en état leur exploitation pour la rendre fonctionnelle.

Dans la ferme d’Yvan et d’Oleksandr, l’étable des vaches et son aire de parcours édifiés pendant la période soviétque

Dans des fermes comme celle d’Yvan, les producteurs laitiers ont prolongé la période de lactation des vaches qui auraient été en temps normal réformées.

Ils ont aussi intégré dans leur troupeau des bêtes abandonnées malgré les risques sanitaires qu’une telle opération peut engendrer.

L’ensemble des éleveurs est accompagné et soutenu par Ukrain agro council (UAC), à la fois syndicat et organisation de développement agricole. Anna Lavrenyuk,  la directrice générale de l’Association des producteurs de lait (AMP), mobilise toutes les bonnes volontés pour redresser la filière laitière.

A la fin de la guerre, le paysage laitier sera transformé avec la disparition de nombreux petits détenteurs de vaches tandis que l’élevage « industriel » pourrait se développer sur l’ensemble du pays.

Avant le début des hostilités, le gouvernement ambitionnait déjà de porter l’Ukraine au rang des premiers pays exportateurs de produits laitiers au monde en s’appuyant sur un troupeau 600 000 vaches.

Une filière restructurée par la guerre

L’Ukraine possède un potentiel laitier important. Le maïs destiné à l’affouragement peut être cultivé sur les trois quart du territoire. Par la suite, sa culture sera aussi combinée à l’essor de la méthanisation.

Aujourd’hui, le plan de relance de la production laitière est toujours d’actualité. Les 175 000 vaches supplémentaires, nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par la filière, seraient élevées dans des grandes fermes dotées de salles de traites en manège.

Mais comme dans de nombreux pays, la filière laitière souffre d’un déficit d’attractivité auprès des jeunes. Aussi, l’AMP organise régulièrement des stages d’immersion pour  montrer aux étudiants que l’élevage laitier est à totalement connecté aux nouvelles techniques de communication.

Avant la guerre, on distinguait deux troupeaux laitiers en Ukraine. Dans de grandes exploitations telle que celle d’yvan et d’Oleksandr, 427 000 vaches produisaient 7 000 l de lait par an. Et 700 000 autres bêtes étaient détenues par une multitude de petits paysans.

Les vaches élevées sont de race Simmental, Ukrainienne noire, Ukrainienne rouge et Holstein. Sept millions de tonnes de lait étaient alors produites.

Mais pendant la période soviétique, on dénombrait 7 millions de vaches qui produisaient ensemble 7 millions de tonnes de lait par an, soit autant qu’avant le début conflit armé du mois de février dernier.

Photo légende en tête: Etable de l’exploitation laitière d’Yvan et d’Oleksandr située à Buky

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(1) A lire aussi sur le même thème: 

https://wikiagri.fr/articles/guerre-en-ukraine-ivan-et-oleksandr-pas-certains-de-pouvoir-cultiver-leurs-4-500-ha-/22606

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Un grand remerciement à “Ukrainian Agrarian Council” et à ses collaborateurs pour avoir organisé les interviews à Uman et à Buky.  Entretien réalisé en Ukrainien et traduit en anglais par Katerina Botvinnik.

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