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Grande distribution et agriculteurs, je t’aime moi non plus

Le débat est d’actualité… En fait, il l’est depuis des années, plus ou moins prononcé selon la rugosité de la crise agricole, ou celle du pouvoir d’achat des consommateurs. Et quand les deux arrivent en même temps… Décryptage.

Dans le domaine, on a tout eu : des tables rondes avec claquages de porte, des occupations de centrales d’achat, des manifestations de tous les genres… Aujourd’hui, la « guerre » entre la grande distribution et les agriculteurs se poursuit sur internet, jusque sur les blogs personnels du président du syndicat des Jeunes Agriculteurs François Thabuis ou du distributeur Michel-Edouard Leclerc (pour citer des exemples, il en existe d’autres). Sans parler des comptes ou pages des réseaux sociaux.

Qui plus est, chaque corporation a ses spécificités. La grande distribution est sensée être représentée par la FCD, fédération des entreprises du commerce et de la distribution. Mais si on y trouve Casino, Auchan, Cora, Carrefour… Et beaucoup d’autres, il y manque Intermarché, Super U et Leclerc. Même chose côté agricole, où il existe un discours majoritaire (celui de la FNSEA et des JA) mais pas unitaire (je ne me souviens pas avoir vu la moindre manifestation conjointe avec les autres syndicats de la Coordination rurale ou de la Confédération paysanne). De fait, pour qu’un accord intervienne, il ne doit pas seulement concerner deux acteurs, la distribution et les agriculteurs, mais bien plus. Et au-delà, il faut ajouter les industriels transformateurs, les unités de transport…

Prix, marges, rester viable…

En jeu, les prix, et les marges de chacun. Le problème vient du fait que personne n’a pu déterminer quelles étaient réellement les limites de l’acceptable pour les uns et les autres, et donc sur quels curseurs précis il était possible de jouer. Il existe ainsi une énorme opacité sur le revenu dont ont « besoin » les uns et les autres, et son complément que j’appellerais « de confort ». A la limite, à l’intérieur de cette opacité, c’est l’agriculteur qui est le plus lisible. Donc, estime-t-il, le plus « plumable », et donc celui qui doit le plus défendre ses intérêts, d’où les différentes formes de manifestations décrites plus haut.

Le problème pourrait pourtant paraître simple. Il existe un gâteau à diviser en différentes parts. A priori, ce gâteau est suffisant pour nourrir tout le monde, mais à la condition que des parts trop grandes servies au début n’empêche les suivantes de s’auto-suffire. Le fait qu’il y ait une opacité sur le besoin « réel » de chacun (opacité entretenue depuis très longtemps, rappelons-nous des marges arrière de la loi Galland) n’autorise pas aujourd’hui un partage équitable. Alors que si l’on commençait par là, il serait plus facile ensuite de fixer les prix en fonction, de les augmenter un peu dans les périodes qui le réclament, et de penser éventuellement à taxer les importations pour conserver un attrait concurrentiel à nos productions. Ou encore de prévoir une part de gâteau « neutre » qui serait partagée différemment selon les problèmes conjoncturels rencontrés par l’un ou l’autre acteur. S’il n’y avait que cette part de gâteau neutre qui posait problème, personne ne courrait le risque de cesser son activité.

Opacité quand tu nous tiens

Bien sûr, il existe parallèlement une pression des consommateurs. Mais cette pression sert de prétexte aujourd’hui à des campagnes publicitaires comparatives sur les prix des grandes enseignes entre elles. Comme c’est un coup l’une, un coup l’autre qui est « la moins chère », ces campagnes ont à l’arrivée surtout pour implication de rendre inéluctable la baisse de la part agricole sur le gâteau du produit fini : il faut être moins cher, et à tout prix, si j’ose dire.

Il existe également des complications venues d’intérêts personnels. Certains agriculteurs négocient « en direct » avec des grandes surfaces de leur secteur géographique, et s’en sortent très bien ainsi. Je me souviens ainsi de l’un d’entre eux qui, bien que membre d’un syndicat qui avait décidé une action, s’esquivait à titre personnel car il ne voulait pas risquer de perdre son propre marché contractualisé avec l’enseigne en question… Ou encore d’interventions d’agriculteurs disant qu’il ne fallait pas aller trop loin non plus dans les actions pour ne pas risquer de perdre les débouchés… Mais globalement, même si les exemples que je viens de citer existent, lorsque la pression sur les prix au premier fournisseur qu’est l’agriculteur est trop forte, le risque d’assister à l’arrêt de l’activité d’exploitations est réel.

L’opacité du système permet aujourd’hui à la fois aux associations de consommateurs de réclamer des prix bas, aux agriculteurs de réclamer une part plus importante, aux grandes surfaces de dire aux agriculteurs de s’adresser aux marges des transformateurs, et aux transformateurs de renvoyer la balle dans le rond central. Il n’existe donc aucune solution qui soit correcte. Levons l’opacité (bien sûr les entreprises sont privées, mais leurs comptes ne sont-ils pas publics ?), déterminons la part minimale dont a besoin chacun, créons une part conjoncturelle à partager selon l’intensité des crises de chaque secteur en cause, et une grande partie du problème aura été résolue.

Cette solution est-elle trop simple ?

Et vous, qu’en pensez-vous ? Pour en débattre, rendez-vous ci-dessous dans l’espace « Ecrire un commentaire ».

En savoir plus : http://www.michel-edouard-leclerc.com/wordpress/archives/category/economie/agriculture (les articles signés Michel-Edouard Leclerc sur l’agriculture) ; http://presidentdesja.wordpress.com/2012/11/23/298 (dernier article de François Thabuis sur le sujet) ; http://www.fcd.asso.fr/les-enseignes (liste des enseignes adhérentes de la FCD).

Notre photo illustrant une action syndicale récente devant une grande surface est issue de la page Facebook de la FDSEA du Morbihan.

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